Assemblée Plénière – Lundi 23 juin – Discours de Politique Générale de Laetitia Sanchez

Monsieur le Président,

Chers collègues,

Depuis les premiers travaux du GIEC, il y a 35 ans, la réalité et les causes du changement climatique sont établies et prouvées. Pourtant, 10 ans après l’Accord de Paris, nous savons que nous avons d’ores et déjà échoué à contenir le réchauffement climatique en-dessous des +1,5°C d’ici la fin de notre siècle. Nous le savons, et que faisons-nous ?

A peine un épisode de canicule, une tempête ou une inondation sont-ils passés que nous oublions. Ouf, pour celle-ci j’en ai réchappé ! Le poids des routines est puissant et c’est une tendance naturelle de ne pas aimer changer nos modes de vie. On allume la clim’, on s’envole chercher des plages de carte postale, on se crée un monde virtuel avec des oiseaux et une jolie nature artificielle, et on oublie. C’est ce qu’on appelle l’amnésie environnementale. Souvenez-vous de ce petit bois de votre enfance, de ces fourrés où nichaient les alouettes et les lièvres. Quand ils ont disparu du paysage, on les oublie, et c’est comme s’ils n’avaient jamais existé. L’écologie c’est précisément cette conscience de notre environnement, et de notre façon de l’habiter.

La tendance aujourd’hui est à l’insulte, envers ceux qui portent les messages. Un météorologue de Lyon, la semaine dernière, a dû supprimer un post sur les réseaux sociaux montrant une carte en rouge pour annoncer la canicule, qui avait déclenché une avalanche de commentaires haineux. Il les a classés, dans une sorte de bingo des climatosceptiques depuis le : « C’est cyclique », « Le climat a toujours changé », à « C’est normal, c’est l’été ! » en passant par « Vous faites peur aux gens », « Vous ne parlez jamais du froid », « On ne peut rien y faire », « Propagande escrologique », «  Ecolo bobo », « Ils veulent juste des taxes », « vous n’avez pas connu 1976 » ou encore « Le GIEC ment ».

Nous savons pourtant que tout retard pris dans la réduction des gaz à effet de serre a des conséquences, et nous les vivons dès à présent. Ce ne sont pas seulement nos enfants qui auront à les subir et à s’en occuper. Des décès, des destructions… les atteintes touchent nos santés, l’agriculture, les forêts, nos conditions de travail, et ce sont aussi des points de PIB !

Je cite un journaliste économique généralement classé comme libéral, Dominique Seux, dans son édito éco jeudi dernier :

« Nous voilà dans la 50e vague de chaleur depuis l’après-guerre. Le nombre de vagues de chaleur a doublé depuis 2000. Malgré ce constat alarmant et ses conséquences économiques, la prise de conscience peine à s’imposer.

Météo France a fait le compte : 17 vagues de chaleur entre 1947 et 2000. 33 depuis 2000.

Deux fois plus en deux fois moins de temps = c’est un facteur 4. C’est factuel, ce ne sont pas des élucubrations. Et ce n’est que le début, des vagues de chaleur, il y en aura de plus en plus. Toute la planète est concernée.

Ce qui est fascinant, c’est le quasi-désintérêt face à ce mur que le monde se construit pierre à pierre. Ça bouge un peu. Mais trop peu : les émissions polluantes augmentent toujours.

En France, les émissions reculent un peu certes, mais les voix j’menfoutistes sont toujours là. On pérore sur les ZFE, les éoliennes, les voitures électriques ou la Prime Rénov, en oubliant le tableau d’ensemble.

Et personne n’a trouvé nulle part l’argument massue pour convaincre de l’urgence.

La peur ne marche pas. La culpabilité ne marche pas. La solidarité envers les jeunes ne marche pas. Et en Occident, la politique a un problème avec le long terme.

Ça ne marche pas parce que dès qu’une vague de chaleur ou un ouragan sont passés, on les oublie. Et il y a le fameux sentiment d’impuissance. Ce matin, 60 scientifiques français nous disent qu’il est désormais impossible de limiter le réchauffement de la planète à 1,5°. Nous sommes à +1,36°. Notre modèle mental, à nous Humains, ne l’entend pas.

Parler d’économie, en clair de la facture du réchauffement ? On peut essayer. 35% de l’économie est météo-sensible : les effets du dérèglement climatique sont partout. Les salades des maraîchers sont brûlées. Les arbres fruitiers fleurissent trop tôt puis et gèlent : pas de fruits. Les arbres meurent. Le BTP souffre et le tourisme va souffrir. Le prix des assurances s’envole. Etc. Etc.

Mais là encore, ça imprime peu quand le multilatéralisme s’efface sous les coups de boutoir des populistes auto-satisfaits et irresponsables.

Et donc, il faut rentrer dans notre tête dure qu’on n’arrivera pas à s’adapter à un monde et à une France à +3 ou 4°.

Il faut dire que les efforts comportementaux et financiers des urbains et des ruraux, des riches et des pauvres, ne doivent pas être les mêmes.

Deux fois plus de vagues de chaleur en deux fois moins de temps, et maintenant dès la mi-juin : les climatologues sont effondrés. Nous devrions l’être. Et chaque habitant de cette planète devrait se demander, quel que soit son pouvoir d’agir : je me remonte les manches ou je m’en lave les mains ? »

Ces quelques lignes illustrent bien ce qui devrait nous guider tous, et d’autant plus que nous sommes des dirigeants politiques.

Or, ce même jour, jeudi dernier, à l’Assemblée Nationale, notre député normand Les Républicains de l’Orne, Jérôme Nury, a fait adopter un amendement instaurant un moratoire immédiat sur toute nouvelle installation solaire ou éolienne dans notre pays ! J’imagine que vous l’avez félicité, Monsieur Morin, avec la droite et les bancs du Rassemblement National.

Profitant de la fragilité de nos institutions et du climat anxiogène qui règne chez nos concitoyens, les cyniques profiteurs de crise saisissent toutes les occasions de détricoter les quelques lois nous protégeant, à l’Assemblée, ou encore au Sénat, avec la réintroduction dans la loi Duplomb des pesticides tueurs d’abeilles et des méga-bassines qui accaparent l’eau. Et le gouvernement n’est pas en reste, avec les annonces confuses autour de Ma Prime rénov, qui plongent les particuliers et les entrepreneurs dans une incertitude complète sur leurs travaux.

Dans ce monde déboussolé, dans ce concours Lépine du cynisme, retenons pourtant quelques avancées.

C’est l’abandon ici de projets d’autoroutes destructrices, au profit d’un plaidoyer transpartisan en faveur du ferroviaire. Nous sommes aujourd’hui tous d’accord, pour renoncer à une LGV hors-sol au coût pharaonique, qui traverseraient des territoires sans les desservir, au profit d’une amélioration des trains du quotidien, qui, lorsqu’ils fonctionnent, sont plébiscités par nos concitoyens.

C’est l’exemple de l’expérimentation que vous avez menée pour passer de 4 à 15 dessertes dans la petite gare de Pont de l’Arche, et dont le succès dépasse très largement vos prévisions, illustrant parfaitement ce que nous répétons souvent : c’est l’offre, l’offre de qualité (l’amplitude, le cadencement et les tarifs) qui crée la demande ! Et de nombreuses communes, qui voient passer les trains ou les ont vu passer, sont volontaires elles aussi pour bénéficier de ces offres. C’est le cas des habitants d’Evreux, de Louviers, de Flers, ou de Saint-Pierre du Vauvray.

Enfin, concernant la LNPN, il faut ramener votre amie d’Ile de France à la raison, pour qu’elle entende que quelques kilomètres de travaux sur un tracé bien étudié feront enfin sauter le bouchon du Mantois, au profit des trains franciliens comme normands !

Pour finir, dans ces temps tourmentés, où les budgets de guerre augmentent, l’argent public est précieux, et nous devons l’utiliser à bon escient. Vous et vos amis aimez parler de sécurité : mais quelle sécurité face aux conséquences du dérèglement climatique ? Quelle sécurité pour nos installations existantes, pour nos ouvrages d’art, pour nos centrales nucléaires ?

Je suis tombée il y a quelques semaines sur une vidéo de notre sénateur eurois et président de commission, M. Hervé Maurey, qui, bien qu’il ait fait par le passé la promotion active au sein du Conseil d’Orientation des Infrastructures de nouveaux travaux d’autoroutes dispendieux et destructeurs, plaidait, dans cette vidéo, pour une réorientation des budgets publics vers l’entretien de l’existant, de nos ponts, de nos routes, afin d’éviter les catastrophes telles que celle qu’a connue l’Italie en 2018 avec l’effondrement du pont de Gênes qui avait couté la vie à 43 personnes.

Un peu dans le même registre, quelle ne fut pas ma surprise, il y a deux mois, d’entendre un matin la grande VRP du nucléaire des années 2000, celle qu’on surnommait Atomic Anne, la patronne d’Areva, Anne Lauvergeon, à qui on avait prêté à l’époque le fiasco de l’EPR finlandais d’Olkiluoto, qui avait occasionné pour Areva la perte de plus de 3 milliards d’euros. Quelle ne fut pas ma surprise donc, de l’entendre ce matin du 23 avril plaider pour l’abandon pur et simple des nouveaux projets d’EPR, pour réorienter les financements vers les centrales existantes, qui ne seraient d’après elle qu’à 30% de leurs capacités.

Ces quelques exemples m’amènent à conclure que même si les populistes irresponsables sont en roue libre, contre les énergies renouvelables, contre le ZAN, contre la protection de la nature et de nos santés, le pire n’est jamais certain, et qu’un peu d’optimisme reste permis, quand on voit certains promoteurs du monde d’avant changer leur fusil d’épaule. Car pour reprendre mon message initial, pour lutter contre le changement climatique, nous devons nous-mêmes changer.