Monsieur le Président, cher·e·s collègues,
Le chaos politique et institutionnel que nous vivons laisse sans voix. Le spectacle est à la fois affligeant et désespérant.
Un premier ministre nommé depuis plusieurs semaines annonce enfin la composition de son Gouvernement – lequel ressemble à s’y méprendre au précédent – et qui, quelques heures plus tard, remet sa démission au président de la République qui l’accepte. Un président de la République qui rappelle son Premier Ministre démissionnaire pour un nouveau round de négociation. Et pour quoi ? Pour, in fine, renommer le vendredi celui-là même qui avait rendu son tablier le lundi précédent.
C’est du vaudeville. On peine à y croire, mais on ne peut même plus en rire.
Après sa décision invraisemblable de dissoudre l’Assemblée nationale au risque de livrer le pouvoir à l’extrême droite, après son refus d’appeler au gouvernement une personnalité issue de la gauche et des écologistes pourtant arrivés en tête, après les nominations successives de Premiers ministres issus de formations désavouées dans les urnes, Emmanuel Macron, dans son obstination, ne fait qu’ajouter du chaos au chaos.
Si l’on rejoue sans cesse la même partition, on ne peut espérer une mélodie différente. Et pour toute mélodie, nous n’avons qu’une cacophonie — celle d’un pouvoir déconnecté, enfermé dans son entêtement. Pendant ce temps, la droite, en pleine faillite morale, fait un pas supplémentaire vers le Rassemblement national. Il est minuit moins une. Et dans ce moment grave, ce qui reste du socle commun semble bien plus préoccupé de sa survie que de l’avenir du pays, des Françaises et des Français.
C’est pathétique.
Il est temps d’entendre l’aspiration du pays à un véritable changement de cap. De la réforme des retraites à la taxe Zucman, en passant par la loi Duplomb, tout montre que nos concitoyennes et nos concitoyens aspirent à davantage de justice : justice sociale, justice fiscale, justice environnementale.
Face à cela, la Macronie et ses alliés apparaissent à bout de souffle, incapables de proposer autre chose que l’austérité et la dérégulation.
Mais si la situation nationale appelle un sursaut, regardons aussi ce qui se joue ici, en Normandie. Car les perspectives offertes par l’exécutif régional ne diffèrent guère de celles qui nous conduisent, partout, dans l’impasse.
Dans quelques semaines, du 10 au 21 novembre, se tiendra au Brésil la 30e conférence internationale sur le climat. Dix ans après l’Accord de Paris, l’objectif de limiter le réchauffement à +1,5 °C n’a pas été tenu. Les émissions de CO₂ continuent de progresser et les énergies fossiles constituent encore une part trop importante de notre bouquet énergétique.
Les effets du dérèglement sont chaque jour un peu plus évidents. Et ici, en Normandie, l’exécutif régional continue de s’acharner contre les énergies renouvelables.
Tartuffe.
Comment ne pas voir la flagrante contradiction consistant, d’une part, à se prétendre à la pointe du combat climatique et, d’autre part, à s’opposer de manière aussi systématique aux énergies renouvelables, pourtant indispensables à la transition ?
Aujourd’hui, le Président Morin appelle carrément à faire une pause. Une “pause” dans la transition écologique, au prétexte que cela coûterait trop cher.
Nous le récusons totalement. Investir aujourd’hui dans les énergies renouvelables, la transition écologique et l’adaptation, c’est préparer les économies de demain et garantir notre souveraineté.
Pour le bilan en Normandie, les chiffres parlent d’eux-mêmes.
En matière de photovoltaïque, la Normandie est avant-dernière parmi les régions de France continentale. Les puissances nouvelles raccordées en 2025, c’est deux fois moins qu’en Bretagne ou dans les Hauts-de-France, trois fois moins qu’en Pays de la Loire.
Le tableau n’est guère plus reluisant pour l’éolien terrestre : alors que notre région bénéficie d’un potentiel exceptionnel, la Normandie se classe neuvième sur treize régions métropolitaines pour la puissance raccordée.
Et puisque nous connaissons la guerre que vous menez contre les énergies renouvelables, notamment le solaire photovoltaïque et l’éolien terrestre, rappelons ce que disent les Français.
Un sondage IFOP commandé par ENGIE montre que près de deux tiers d’entre eux souhaitent une accélération du développement des énergies renouvelables dans les cinq ans à venir.
84 % en ont une image positive, et ce chiffre grimpe à 94 % chez celles et ceux qui vivent à proximité des installations.
Ce sondage confirme ce que nous savons déjà :
- l’énergie solaire est largement plébiscitée,
- l’éolien terrestre bénéficie de 78 % d’opinions favorables,
- loin devant le nucléaire (61 %) et, fort heureusement, bien au-dessus des énergies fossiles (57 % pour le gaz, 37 % pour le pétrole, 32 % pour le charbon).
Votre politique est donc à contre-temps — non seulement de l’histoire, mais aussi de la société.
Nous avons besoin de politiques qui préparent l’avenir, pas de postures qui nous enferment dans l’inaction et le monde d’hier.
En matière ferroviaire, faut-il revenir sur votre choix d’ouvrir les liaisons régionales à la concurrence, là où nous aurions pu – et contrairement à ce que vous affirmez – comme d’autres Régions prolonger et actualiser la convention existante avec l’opérateur historique ? Déjà cette ouverture à la concurrence s’opère à grands renforts de deniers publics (études, travaux suivi des procédures, personnel) : du temps et des moyens qui auraient pu être mobilisés pour une amélioration du service ferroviaire proposé aux Normand.e.s.
Car de ces dernières années, on retient surtout la fermeture des haltes et des guichets, le déclassement des gares et l’abandon de la quasi-totalité des projets de réouvertures de lignes régionales. Avec l’ouverture à la démultiplication des opérateurs n’est pas sans soulever des questions sur l’organisation et la qualité du service tout comme sur le moins-disant social que risque de subir les cheminots concernés par les transferts (Plus de 350 cheminots concernés, rien que pour l’étoile de Caen).
Pour construire l’avenir en Normandie, nous aurons besoin de toute l’énergie, de l’intelligence et de la compétence de nos agents régionaux.
Je veux ici saluer les milliers agents de la Région, qui chaque jour font vivre le service public régional.
Je sais combien les propos du Président Morin, cet été, ont pu être violents lorsqu’il a suggéré de mettre fin au statut de la fonction publique territoriale, avec des mots indignes pour celles et ceux qui servent l’intérêt général.
Voilà encore une illustration de la doctrine néolibérale portée par l’exécutif (il n’y a qu’à avoir votre recours tous azimuts aux contrats de projet) où la dérégulation côtoie toujours le moins-disant.
Comme si les droits acquis constituaient un obstacle au bon fonctionnement du service public !
C’est tout l’inverse. Depuis la RGPP, toutes les réformes visant à “rationaliser” la fonction publique ont conduit à une perte de sens, à la disparition de compétences, à la dévitalisation de pans entiers de l’action publique.
Le pari de la contractualisation généralisée, le pari de l’externalisation se paie au prix fort, lorsque confrontés à des défis sans précédent, nous nous attaquons à celles et ceux dont nous avons impérativement besoin pour planifier les politiques publiques et accompagner leur mise en œuvre.
Affaiblir les agents, c’est affaiblir la puissance publique elle-même.
Cette perte de sens, elle est aussi palpable dans le mouvement associatif.
Ce week-end encore, le cri d’alarme a retenti : « Ça ne tient plus ! »
Coupes budgétaires, généralisation des appels à projets au détriment des conventions pluriannuelles, crise du bénévolat : les associations souffrent.
Trop souvent, elles sont contraintes de passer du statut de partenaire à celui de prestataire pour survivre.
Dans nos villes et dans nos communes, dans nos quartiers et nos villages, les associations sont le ferment du vivre ensemble. Partout, elles tissent des liens et créent des solidarités.
La fragilisation des associations c’est aussi la fragilisation de l’emploi (11,5 % de l’emploi salarié en Normandie, soit 133 468 salariés) quand le modèle associatif porte des pans entiers de certaines de nos activités : du social à la culture, du sport à l’environnement, de l’éducation à la santé et j’en passe.
Ce cri d’alerte doit être entendu par notre collectivité.
À l’heure de la présentation des orientations budgétaires, nous vous demandons solennellement que les associations ne soient pas, une fois encore, la variable d’ajustement de la cure d’austérité annoncée.
La Région doit assumer pleinement son rôle : garantir visibilité, stabilité et confiance à celles et ceux qui font vivre l’intérêt général.
Notre pays traverse une période de confusion, d’incertitude et de désillusion politique.
Mais au milieu de ce vacarme, une exigence se fait entendre : celle du sens, de la justice et de l’action.
C’est à nous, ici, dans les territoires, de montrer qu’une autre voie est possible.
Une voie où l’on gouverne avec la société, pas contre elle.
Une voie où la transition écologique n’est pas une option, mais une promesse tenue.
Une voie où le service public et le monde associatif ne sont pas des charges, mais des forces.
Ne cédons ni au cynisme, ni à la résignation.
Retrouvons le cap du bien commun, celui de la transition, de la solidarité et de la justice.
C’est ce cap que nous continuerons, inlassablement, à défendre — au nom des Normandes et des Normands.
Je vous remercie.