Les enjeux de changement climatique, de pollution, d’engorgement des villes poussent de plus en plus de nos concitoyens à se tourner vers le train.
En Normandie, l’augmentation de la fréquentation reste pourtant la plus faible de France, après les Hauts de France (seule région avec un pourcentage de progression moindre, mais sur une masse bien plus élevée). La Normandie décroche fortement par rapport à la Bretagne par exemple, avec +7,8% en Normandie entre 2019 et 2023 contre +48% en Bretagne.
Cela s’explique par plusieurs facteurs : la diminution de l’offre avec la fermeture d’une dizaine de points d’arrêt en zones rurales et périphériques en 2020 ; le manque d’amplitude et un mauvais cadencement horaire ; enfin une augmentation globale des tarifs (de 11% en 2022, 7% en 2023, 2,9% en 2024, 2,3% en 2025, soit beaucoup plus que l’inflation !) et des abonnements qui sont parmi les plus chers de France.
Pourtant quand, exceptionnellement, sous la pression des usagers et uniquement vers Rouen, une seule desserte est renforcée, comme celle de Pont de l’Arche, le succès est là, avec 26% de fréquentation en plus.
Le Rapport présenté aujourd’hui emploie des expressions fortes comme le « droit au transport » (p.13) et rappelle la nécessité d’un service public de transport ferroviaire pour assurer l’égalité de l’accès à ce droit au transport.
Rappelons tout d’abord que la Région, malgré les directives européennes, aurait pu faire un autre choix que celui de l’ouverture à la concurrence et reconduire pour 10 ans le monopole de la SNCF. Monsieur Morin et sa majorité ont hélas choisi la voie de la dérégulation, et nous risquons de le payer au prix fort dans les années à venir.
En quoi le choix d’une ouverture à la concurrence et la mise en concession du service public de transport ferroviaire permettraient-ils une amélioration de la situation actuelle ?
Notre président de Région nous avait promis un grand Plan Marshall du rail, mais il a échoué à le mettre en place en deux mandats, préférant fermer les guichets et les points d’arrêt, renoncer aux réouvertures de lignes et augmenter les tarifs du train. Deux lignes ont même été fermées, entre Le Havre et Rolleville et entre Serqueux et Gisors, avec un réel potentiel sur ces lignes, mais une exploitation désastreuse en terme d’offre.
Vous aimez pourtant vous targuer dans la presse, Monsieur Morin, d’avoir dépensé 2,5Md€ dans le train sur vos 10 ans de mandat.
Tout d’abord, il est un peu surprenant pour un homme de droite de considérer comme un succès une grosse dépense publique, sans s’interroger sur le lien avec les résultats pour les usagers. Si on devait parler d’efficacité de la dépense publique, ce serait plutôt un désastre. Et surtout, tout cela est très flou ! Pour commencer, en 10 ans, cela ne fait en réalité que 200M€ par an.
Ensuite, d’où vient cet argent ? Pas seulement de la Région, car ce que vous oubliez toujours de préciser, c’est que sur ces 2,5Md€, 1,5Md€ concerne le renouvellement des trains Omneo (« grandes lignes »). Certes, cela est appréciable pour les usagers, mais c’est bien la moindre des choses de renouveler le matériel à bout de souffle, et cela n’a rien à voir avec un plan Marshall. De plus, cette somme versée par la Région est alimentée en quasi-totalité par l’Etat qui a pris en charge cet investissement en contrepartie de la délégation à la Région de l’exploitation des ex-Intercités.
Il reste donc 1Md/€, soit 100M€ par an environ investis par la Région. A quoi cela correspond-t-il ?
-180 M€ pour la rénovation des rames TER-AGC, rien de plus normal pour assurer la continuité du service public.
-250M€ pour la construction d’ateliers de maintenance à Sotteville, Caen, Granville et le Havre. C’est certes important, et permet indirectement d’améliorer ou plutôt ne pas dégrader le sort des usagers.
-120M€ pour les pôles d’échanges multimodaux, c’est-à dire la réfection des parkings des gares et quelques abris à vélo mal conçus pour amuser la galerie.
-140M€ SEULEMENT sur les infrastructures, soit 14M€/an, soit à peu près rien. Improprement appelées « opérations de modernisation », ce ne sont en réalité que des opérations de maintenance, de maintien à niveau, qui n’ont permis : aucun gain de vitesse, aucun gain de capacité sur les sections surchargées, aucune électrification.
En conclusion : le soi-disant plan Marshall n’existe pas, c’est de l’enfumage avec :
ZERO amélioration de l’offre
ZERO amélioration de vitesse
ZERO amélioration de capacité sur sections surchargées
ZERO électrification
ZERO réouverture de ligne
Alors, en quoi l’ouverture à la concurrence permettrait-elle d’améliorer cette situation, extrêmement dégradée du fait d’un manque de volonté politique et d’un manque criant d’investissement dans les infrastructures de la part de l’Autorité Organisatrice des Transports qu’est la Région ?
Tout d’abord, la Région ne mettra pas plus de moyens, ayant refusé de percevoir le Versement Mobilité des entreprises, comme le font par exemple les communautés de communes.
Ainsi, c’est parce qu’elle perçoit 2% de versement mobilité que la Métropole de Rouen peut étendre son réseau de transport et proposer une intégration tarifaire avec le billet de train au même prix que le billet de tram ou de bus. Le résultat est qu’avec cette politique des transports ambitieuse, les fréquentations explosent et la pollution de l’air diminue.
L’augmentation de l’offre de transport, et des tarifs attrayants, permettent en retour d’augmenter les recettes et d’ainsi limiter le risque commercial.
Or, c’est précisément au nom de ce risque d’exploitation (sur les charges et sur les recettes) que la Région fait le choix de la concession. En faisant le parallèle avec la très chère mise en concession des autoroutes, on ne peut que souligner la contradiction entre la perspective souhaitée d’une augmentation de l’offre et des recettes, et l’argument de la mise en concession au nom de ce risque d’exploitation – tout en maintenant bien sûr la possibilité pour la collectivité de mettre au pot en cas de perte de chiffre d’exploitation (page 6). C’est vraiment la double peine pour les contribuables et les usagers ! Et pour quelle efficacité et amélioration de service ?
Ce que l’on peut observer dans les Régions qui ont déjà mis en place la concession comme la Région PACA ou les Hauts-de-France, c’est d’abord une hausse des coûts pour les collectivités et les usagers, les régions ayant dû investir massivement dans le matériel roulant et les infrastructures, sans toujours voir une amélioration proportionnelle de la qualité de service.
Les coûts d’exploitation ont également augmenté, avec la nécessité de doubler les effectifs administratifs pour gérer les appels d’offres et le suivi des contrats. Sans parler de la gestion de contrats multiples, qui alourdit la charge administrative, ce qui risque d’entraîner des retards dans la mise en œuvre des projets ou des surcoûts. Ce sont autant de deniers publics qui auraient pu être consacrés à un réel travail sur l’amélioration de la qualité des services ferroviaires. La multiplication des opérateurs complique aussi la coordination du service public ferroviaire, chaque opérateur ayant ses propres standards, ses propres systèmes de billetterie et de gestion, ce qui peut nuire à l’unité du réseau et à l’expérience utilisateur. La fragmentation de l’exploitation entre plusieurs acteurs risque également de fragiliser la continuité du service en cas de perturbations ou de travaux. Enfin, il y a des problèmes spécifiques liés à l’exploitation d’une étoile ferroviaire comme le SERM de Rouen.
C’est d’abord une complexité technique et opérationnelle : Le SERM de Rouen comme celui de Caen étant un projet évolutif, multipartenaire et complexe, qui repose sur une coordination fine entre plusieurs acteurs (État, Région, Métropole, SNCF, autres opérateurs). Confier l’exploitation d’une étoile ferroviaire à un nouvel opérateur pourra poser problème, pour une intégration parfaite des horaires, des infrastructures et des systèmes d’information, ce qui est difficile à garantir avec plusieurs exploitants. En effet, pour mémoire les lignes de l’étoile ferroviaire de Rouen seront utilisées par des régionaux pouvant être exploités par des opérateurs différents, ceux de l’étoile de Caen comme le Caen-Rouen, ou ceux de l’étoile ferroviaire de Rouen, mais aussi par les trains nationaux en provenance du Havre ou de Paris qui seront exploités par la SNCF jusqu’en 2034 !
En conclusion, on a pu observer que la mise en concurrence du ferroviaire en PACA et Hauts-de-France a certes permis d’augmenter l’offre et de fixer des objectifs ambitieux de régularité, mais qu’elle s’accompagne de défauts majeurs : la hausse des coûts, la complexité administrative, des risques pour la continuité et l’unicité du service public, et des difficultés accrues pour les projets multipartites comme le SERM de Rouen. La multiplication des opérateurs, si elle peut stimuler l’innovation, pose aussi la question de la coordination et de la pérennité du service public ferroviaire. Elle reste en outre tributaire de l’absence de politique de modernisation et de développement de l’infrastructure.
Le train est un outil essentiel pour répondre à l’urgence climatique et garantir la cohésion sociale et territoriale. Nous demandons que la Région cesse de livrer nos transports collectifs à la concurrence et choisisse enfin une véritable politique publique du rail. L’avenir du rail ne peut pas se décider au nom de la rentabilité, mais bien au nom de l’intérêt général, et du droit de toutes et tous à un service public ferroviaire de qualité.