Monsieur le Président,
En parcourant ce rapport d’activités, une impression domine : beaucoup d’autosatisfaction, des chiffres impressionnants, mais aucune remise en cause du modèle qui nous mène droit dans le mur.
Vous mettez en avant le programme 3NC : 10,4 M€ engagés en 2024, 64 M€ d’ici 2028, avec l’objectif de former 5 400 jeunes par an à l’horizon 2030… pour servir les besoins d’un secteur nucléaire que vous présentez comme un horizon indiscutable. Je vous l’avoue, tombe toujours une peu des nues quand on mélange les termes développement durable et nucléaire. La seul chose de durable dans le nucléaire, ce sont ses déchets que l’on laissera sous terre pour des milliers d’année. Même logique dans l’apprentissage : vous revendiquez “l’accompagnement du chantier EPR2 de Penly” comme une action de décarbonation. On travestit les mots : former pour un chantier EPR n’est pas une politique climat, c’est un investissement dans un modèle centralisé, industriel et productiviste qui détourne des moyens colossaux des énergies renouvelables et des transitions localesVous évoquez aussi le dispositif Normandie Carbone : oui, c’est une bonne idée d’accompagner les entreprises vers la réduction de leurs émissions. Mais à côté de ça, les investissements lourds continuent d’entretenir les secteurs les plus carbonés, sans conditionnalité forte.
Sur l’agriculture, la présentation laisse croire à une réorientation écologique massive : 41 M€ pour “anticiper le changement climatique, la décarbonation, la biodiversité, le bien-être animal et les nouveaux circuits de consommation”, soit 2 167 dossiers. Mais juste derrière, seulement 420 dossiers pour 9,38 M€ sur la transmission des fermes. Autrement dit : on met des rustines climatiques, mais on ne traite pas la racine du problème : le renouvellement agricole, le foncier, l’installation, le modèle de production.
Côté bâti régional, vous revendiquez une “approche environnementale intégrée”. Très bien : rénovation énergétique, réduction des consommations, clauses durables… Mais pendant ce temps, vous financez 12,73 M€ sur la nouvelle aérogare de Deauville, en expliquant sans trembler qu’elle deviendra “la première plateforme aéroportuaire d’Europe à atteindre un bilan carbone positif”. C’est de l’illusion verte, pas de la planification écologique.
Même logique dans les transports : vous mettez en avant la modernisation ferroviaire, tant mieux, mais vous glorifiez en parallèle un “car à hydrogène” rétrofité comme si c’était un tournant systémique. Le ferroviaire doit être le cœur de la transition, pas une vitrine ponctuelle au milieu d’un modèle dominé par la route, les cars et le fret routier.
Vous ajoutez l’hydrogène et la méthanisation dans le volet transition énergétique comme si cela réglait tout. Or, sans vision globale sur la sobriété, la gouvernance territoriale, l’équité d’accès et la réduction des impacts agricoles, cela reste du verdissement industriel.
Côté sport, vous annoncez avoir “sensibilisé” à l’impact climatique des pratiques sportives. Très bien, mais dans le même temps, la Région continue de financer des sports motorisés et des équipements énergivores. On sensibilise d’une main, on arrose de l’autre.
Vous vous félicitez d’expérimenter l’intelligence artificielle pour “la rédaction, la relation usagers et la gestion documentaire”. Mais aucune réflexion sur la sobriété numérique, l’impact énergétique, la dépendance aux géants du numérique ou la place de l’humain dans le service public.
Enfin, vous annoncez un deuxième bilan carbone et un budget vert. Très bien. Mais à quoi servent ces outils si c’est pour continuer à financer les mêmes infrastructures, les mêmes secteurs, les mêmes impasses ?
Ce rapport devrait être un outil de transformation et d’orientation, pas un catalogue où l’on met un coup de peinture écologique sur chaque chapitre. Les Normands voient les contradictions : on parle “d’équilibre territorial” pendant que les friches agricoles explosent et que les petites lignes de train restent menacées ; on affiche la transition pendant qu’on subventionne les aéroports ; on invoque la neutralité carbone pendant qu’on prépare 10 ans de travaux pour EPR2.
La prochaine étape ne doit pas être un rapport de plus, mais un changement de méthode : conditionner les aides, planifier les transitions, soutenir les territoires ruraux de manière structurelle, et aligner les investissements régionaux sur les objectifs climatiques, plutôt que sur les lobbys industriels.
Parce qu’on ne fera pas la transition avec des vitrines, mais avec des choix politiques clairs et assumés.