Monsieur le Président, cher.es collègues,
Avec nos expériences diverses, qui peut dire qu’il ou elle a déjà vécu une telle période politique ? L’instabilité touche tous les domaines qui régissent nos existences. Géopolitique, climat, économie, vie politique, médias… aucun domaine n’est épargné par les bouleversements qui marquent notre histoire collective.
Les tempêtes, physiques et politiques, jettent à bas les anciens modèles.
Et vouloir rejouer un retour vers le futur des années 1990 avec un François Bayrou Ministre, est une piètre et régressive tentative de voiler les réalités présentes.
Parce qu’une croissance infinie dans un monde fini n’a en réalité jamais été possible, notre économie marque le pas, la consommation baisse, et les plans sociaux menacent.
Parce que la Normandie est restée trop spécialisée dans des secteurs aujourd’hui en déclin face à la concurrence de la Chine et du développement de l’énergie électrique et des renouvelables, nous n’échappons pas à la menace de vastes plans sociaux, de Port-Jérôme à Holophane aux Andelys en passant par tous les sous-traitants de l’industrie automobile.
Le siècle de l’ébriété productiviste finit de se consumer – après avoir dépassé six des neuf limites planétaires, amené à l’extinction de milliers d’espèces, pollué l’eau potable, les sols, l’air, et jusqu’aux tissus biologiques du moindre organisme. Nos corps comme notre environnement sont contaminés par des polluants éternels. Nous le payons très cher, non seulement dans l’explosion de nos factures d’eau potable, mais aussi avec des effets cocktail hautement cancérigènes pour nos santés.
Les recettes d’une collectivité comme la nôtre, basées sur la TVA et la croissance, en subissent également de plein fouet les conséquences, nous poussant à des choix cornéliens et forcément à des renoncements.
Puisqu’il faut choisir : opterons-nous pour les services publics, ou pour le béton et les gaz à effet de serre ? Voilà une base de réflexion pour un budget vert.
Comme dans les crises de vie, il nous faut nous interroger sur ce qui est vraiment essentiel à notre avenir commun.
Dans un tel contexte, les esprits anxieux ne savent plus à quelle intelligence artificielle se vouer, pendant que les dirigeants politiques ne savent plus eux quel nouveau remède miracle proposer à leurs peuples désemparés en colère.
Les cyniques populistes seuls s’en réjouissent, car ils utilisent précisément ces ressentiments comme carburant.
Notre histoire humaine a déjà connu des périodes sombres, des règnes tyranniques, des fins de cycle.
Pourtant, dans ces périodes-mêmes, certains ont continué à espérer et à se battre, parce qu’ils croyaient en un nouveau monde plus juste.
Comme dans le poème du résistant Robert Desnos, il y a toujours une voix frêle « Qui traverse les fracas de la vie et des batailles / L’écroulement du tonnerre et le murmure des bavardages. » « Bien qu’elle semble sortir d’un tombeau / Elle ne parle que d’été et de printemps. » Ne l’entendez-vous pas ?
C’est ce monde nouveau qu’il nous faut aujourd’hui créer.
Comme au lendemain des grandes guerres, où l’on reconstruit les pays, où l’on invente la sécurité sociale, la démocratie scolaire, c’est à nous aujourd’hui qu’il appartient d’inventer de nouvelles façons de vivre, de produire, en questionnant ce qui compte vraiment pour nous.
Aller toujours plus vite, plus loin, plus haut, plus fort, plus cher ?
C’est vrai qu’on n’a jamais autant pris l’avion dans le monde qu’en cette année 2024…
Et si au contraire on travaillait moins, on gaspillait moins, on polluait moins, en produisant de façon écologique ce qui nous est utile, en soignant, en réparant ?
Les constats scientifiques ont été rappelés vendredi dernier, au sein de notre hémicycle, par des chercheurs pluri-disciplinaires. Vous avez pu constater, Monsieur le Président, que les sciences humaines, la psychologie, la sociologie, le droit ou l’économie, ont-elles aussi un rôle primordial à jouer dans la mise en œuvre des transitions de notre temps. Financer la recherche publique indépendante, sert aussi à cela !
Et si personne ici n’imagine plus nier les constats scientifiques – hormis Monsieur Balsan -, le message est clair : avec ces rapports du GIEC normand, nous avons établi les bases scientifiques, nous nous donnons les moyens de la connaissance. Il s’agit aujourd’hui de notre responsabilité de décideurs politiques de passer à l’action, et de sortir enfin des dissonances.
Si les anciennes recettes politiques sont d’ores et déjà mises en échec dans le court terme de l’actualité, ce sera bien pire à moyen et long terme, dans un monde à +3°C !
Y compris sur le strict plan de l’analyse socio-économique, les pertes seront incommensurablement plus importantes que les bénéfices de l’inaction – qui nous pousserait à ne rien changer à nos manières de produire ou d’aménager.
Parce que les villes et les vallées bétonnées deviendront de plus en plus des pièges, face aux canicules ou aux crues. Les dizaines de jeunes évanouis le 18 juin 2019 sur la belle place minérale de la mairie d’Evreux en sont une triste illustration. Et les événements météorologiques extrêmes, de Mayotte avant-hier ou d’Espagne le mois dernier, ont causés des pertes matérielles et humaines tragiques.
Plus près de nous, vous avez pu noter vendredi les 12 milliards d’euros qui seront nécessaires dans les prochaines décennies pour relocaliser les bâtiments et les routes avec le recul du trait de côte, et cela pour la seule ex-Basse Normandie ? Voilà ce que doivent être nos priorités.
Et si des emplois seront perdus avec la transition de notre économie, d’autres seront indispensables, pour produire écologiquement les biens utiles, pour réparer, pour isoler, pour soigner…
Et ce n’est pas l’écologie qui est punitive, pour reprendre la tristement célèbre formule de Ségolène Royal : c’est au contraire l’absence d’anticipation écologique qui nous a menés dans l’impasse où nous nous trouvons actuellement.
Respecter la nature, c’est en réalité prendre une assurance-vie pour nos santés et la pérennité de nos sociétés. Protéger l’eau, la terre, l’air, c’est nous protéger nous-mêmes et ceux qui nous entourent, les humains et les non-humains. Repenser nos façons d’habiter, de nous déplacer, de travailler, de consommer, c’est aussi maîtriser nos vies, plutôt que de subir brutalement les crises.