Assemblée plénière – Jeudi 19 octobre 2023 – Intervention de Rudy L’Orphelin relative aux orientations budgétaires pour 2024

Assemblée plénière

Jeudi 19 octobre 2023

Intervention de Rudy L’Orphelin relative aux orientations budgétaires pour 2024

Monsieur le Président, cher.e.s collègues,

Comme chaque année, nous abordons l’exercice budgétaire en responsabilité et nous nous préparons à faire des contre-propositions, via des amendements au budget primitif, afin d’illustrer le fait que nous sommes une opposition constructive qui cherche à changer dès maintenant les politiques publiques, pour changer la vie et préparer les grandes transitions.

Nous en sommes profondément convaincus : la région est pour cela un échelon pertinent et une collectivité qui a les moyens d’agir.

2 milliards de budget ! Voilà qui doit avoir de l’impact, faire sens et encore une fois améliorer la vie et le cadre de vie de nos concitoyen.ne.s.

Le présent exercice des orientations budgétaires est toujours très contraint, et c’est bien normal car il ne peut anticiper le débat sur le budget primitif de notre collectivité.

On peut cependant regretter que la description des objectifs et des missions ne s’accompagne pas d’un cadre plus précis avec un retour sur les exercices précédents et des éléments de prospective qui permettraient de faire des comparaisons. Vous donnez l’impression de vouloir, à dessein, compliquer le travail de l’opposition.

Dans le détail, la lecture du document qui nous est présenté interroge tant il est dans la continuité, voire dans la similarité avec celui de l’année passée. Si l’on excepte les dépenses supplémentaires liées au COVID, rien ne change ou presque, à l’exception notable d’un nouveau rebond conjoncturel des dépenses d’investissement du fait de l’achat de nouvelles rames.

Tant de constance interpelle dans le contexte actuel.

Tout d’abord, le diagnostic que vous faites de la situation du pays et de notre région méconnaît gravement la crise sociale

Une crise sociale occultée pour mieux justifier l’absence d’intervention de la Région :

En déclinant les notes de conjoncture et le cadre du Projet de Loi de Finance, vous faites vôtre la sémantique de l’actuel gouvernement sur la situation économique actuelle.

On imagine la réaction interloquée de nos concitoyen.ne.s qui subissent la crise face au vocabulaire employé, comme « croissance hésitante », ou les satisfécits sur la question de l’emploi.

Comment ne pas savoir que la baisse du chômage s’accompagne d’une augmentation des emplois précaires et partiels et d’une tension extrême sur les salaires ?

Pourtant, même le Président de la République semble commencer à le comprendre, au point qu’il s’est senti obligé de convoquer une conférence sociale sur les salaires.

Une demi-page, page 11, dans ces orientations budgétaires suggère cependant l’ampleur de la crise mais, hélas, sans en tirer aucune conclusion.

Un seul exemple : le graphique 7 est terrible, il montre clairement que les dépenses explosent en valeur sur les produits alimentaires et s’effondrent dans le même temps en volume. L’ampleur de la crise est telle que les arbitrages de dépenses des ménages se font sur l’alimentation !

La « croissance hésitante », c’est donc cela : une croissance fondée sur l’inflation qui pèse sur les dépenses des ménages, et bien sûr particulièrement des classes moyennes et des ménages les plus fragiles.

En résumé, il manque donc des éléments chiffrés documentés, puis des analyses, sur la crise que nous traversons et sur la situation sociale des familles normandes.

Construire des orientations budgétaires en méconnaissant cela, c’est se condamner à refuser d’agir pour améliorer les conditions de vie des Normand.e.s. 

La trajectoire budgétaire que vous proposez est ainsi toujours aussi inadaptée au moment où le besoin en intervention contracyclique est au plus haut

  • Tout d’abord, vous persistez à renoncer à la capacité à agir de notre collectivité pour les familles normandes par des dépenses de fonctionnement

Les recettes de fonctionnement continuent à augmenter de 4 % pour les Régions. Pour la Normandie, vous projetez 1,549 Mds d’euros de recettes de fonctionnement, soit une hausse de 5,8 M€ par rapport à l’année dernière. 

Comme l’indique la Cour des comptes, l’Etat a transféré des recettes dynamiques dans le cadre de la prise en charge de nouvelles compétences. Et les collectivités ont donc la capacité à agir pour exercer ces compétences et même être ambitieuses dans le cadre de l’exercice de ces compétences.

Ainsi quand vous vous glorifiez d’avoir atteint « 332,52 M€ d’épargne brute en 2022, soit un taux d’épargne de 21,01 % plus élevé que la moyenne des Régions », nous nous disons d’abord que l’on aurait pu en faire des choses face à la crise pour venir en aide aux familles normandes !

Ticket climat, gratuité des transports scolaires, véritable tarification sociale des cantines…

Sans aller jusque-là, nous regrettons que vous fassiez parfois des économies, directement, contre le pouvoir d’achat des ménages : alors que nous avons plus de 300 M€ de marges de manœuvre, comment pouvez-vous justifier d’avoir augmenté les tarifs de transport scolaire de 8 % à la rentrée !

Mais dans le concours Lépine des mécanismes de contraintes d’orthodoxie budgétaire, la palme revient comme souvent au gouvernement, puisque Bruno Le Maire envisage un système d’auto-assurance qui pourrait conduire à écrêter automatiquement les recettes pour contraindre les collectivités « à faire face en cas de coup dur » : comprendre en réalité pour les empêcher de dépenser.

Mais vous n’êtes pas en reste en matière d’orthodoxie budgétaire. Vous êtes même le champion des présidents de Région.

Comme nous vous l’avons indiqué à plusieurs reprises, votre obsession d’accroître sans cesse l’épargne brute et votre refus de recourir à l’emprunt font de nous les champions en matière de dette : et sur la dette par habitant.e et sur le nombre d’années de désendettement.

Un chiffre encore : vous affichez une capacité de désendettement à 1,97 an en 2022, quand la moyenne des régions est à 5,5 ans.

Ce concours est absurde, la vocation d’une collectivité n’est pas de ne pas dépenser, de viser l’équilibre, mais au contraire de prévoir et de s’endetter pour construire aujourd’hui ce qui sera utile ou nécessaire pendant de nombreuses années.

Et ce concours est d’autant plus absurde que depuis le début de votre premier mandat, les taux étaient ridiculement bas.

En refusant de dépenser maintenant, pour un impact modéré sur la collectivité, vous contraignez en réalité à dépenser plus tard, et probablement plus, lorsque les contraintes liées au changement climatique ne pourront alors plus être différées.

Ce sont les capacités d’action des futurs exécutifs de la Région que vous êtes en train d’obérer.

  • C’est bien la deuxième chose que nous vous reprochons : non content de ne pas vous attaquer à la crise sociale, vous ne vous projetez pas non plus sur les nécessaires dépenses d’avenir à enclencher.

Chacun pourra ainsi constater que votre trajectoire d’investissement est en trompe l’œil avec des oscillations entre 500 et 800 millions par an.

Le niveau moyen d’investissement de la Région est en effet artificiellement gonflé par l’acquisition de nouvelles rames de trains, dans le cadre du transfert de la compétence transport.

En 2024, ce sont 264 millions pour l’achats de rames qui seront assumés par la Région. Toutes les autres politiques d’intervention en matière d’investissement sont gelées ou diminuent pour cela. Le choix que vous avez fait au début de votre premier mandat interpelle vraiment.

D’autant qu’avec la contribution de l’Etat de 700 M€, comme vous nous l’avez indiqué en commission des finances, et les ventes des anciennes rames à la région Grand Est pour 100 M€ en 2024 et 2025, la plus grande partie des 1,2 Mds€ d’achats de rames et d’aménagements dédiés est déjà financée. Plus des deux tiers en réalité !

Votre présentation du niveau d’investissement de la Région Normandie n’est donc pas sincère.

Le pire, c’est que vous prévoyez de persister dans cette trajectoire, puisque les dépenses d’investissement ont vocation à diminuer de façon constante jusqu’en 2028 comme l’indique clairement votre graphique page 77.

Les Normand.e.s seront heureux d’apprendre que leur territoire n’a pas besoin de stratégie d’investissement face aux défis climatiques ! Pas besoin de financements de la rénovation énergétique des bâtiments, au premier titre pour les lycées, pas besoin d’une politique ambitieuse en matière de transports collectifs, à l’heure des RER métropolitains, pas de besoin d’investissements pour anticiper le recul des littoraux…

Nous aurons l’occasion de revenir lors du débat sur le budget primitif sur la façon dont vous gérez cette compétence transport ferroviaire.

Car vos choix continuent d’interroger : vous imposez ainsi aux Normand.e.s une double peine sur l’ouverture à la concurrence.

Vous avez fait le choix de devancer l’appel et d’ouvrir à la concurrence une partie du réseau. L’expérience anglaise a conduit la plupart de vos collègues à temporiser mais pas vous.

Cela a donc pour conséquence d’avoir à anticiper les dépenses de fonctionnement liées à l’ouverture à la concurrence et des dépenses d’investissement pour offrir aux nouveaux opérateurs de bonnes conditions d’entretien et de circulation en parallèle des services assumés par la SNCF.

Mais aucune ambition affichée en matière d’amélioration de l’offre, de réouverture de lignes, de cadencement, de réduction tarifaire…

L’orthodoxie budgétaire que vous prônez ignore en réalité les compétences stratégiques de la Région et sa responsabilité à penser les transitions pour préparer l’avenir

En vous contraignant sur les dépenses d’investissement, vous faites prendre du retard à la région et vous reportez en réalité la nécessité d’intervenir à plus tard, sur vos successeurs.

Ainsi, vous prévoyez, au sein des dépenses d’intervention 45 M€ pour le surcoût énergétique des lycées ;

Mais dans le même temps, vous différez encore un nouveau Programme Pluriannuel d’Investissement pour les lycées qui pourrait ambitionner d’être un vrai plan de rénovation énergétique de l’ensemble du patrimoine régional.

Vous soutenez, vous devancez même le programme 3NC « Nouveau Nucléaire Nouvelles Compétences » en prévoyant 64 M€ sur 5 ans.

En faisant du nucléaire, énergie dangereuse, qui renforce notre dépendance extérieure, l’alpha et l’oméga de la décarbonation, vous détournez en réalité des crédits régionaux qui auraient pu être consacrés aux énergies renouvelables. 

Nous avons déjà dénoncé la disparitions des crédits régionaux pour les énergies renouvelables dans le futur Contrat de Plan Etat-Région (CPER).

Là encore, vous agissez par dogmatisme, en pensant avoir réponse à tout avec l’argument de l’emploi.

Je vous renvoie à l’inverse aux publications sur les créations d’emplois dans les énergies renouvelables et les énergies marines renouvelables, notamment à celle de l’observatoire de l’éolien pour 2023. En Normandie, l’éolien balbutiant c’est près de 3000 emplois en 2022 et une hausse de près de 27 % par rapport à l’année passée.

En conclusion, quand on cherche votre projet politique pour la Normandie, on a souvent l’impression qu’il se résume à un relativisme écologique, à une construction théorique qui vise comme seul but la contestation des nécessaires transitions à enclencher.

Il est à craindre, qu’avec votre collègue Laurent Wauquiez, vous soyez passés à un nouveau stade dans le « climato-scepticisme ».

Après le greenwashing, que l’on retrouve d’ailleurs de façon encore très présente dans ce document, vous semblez, dans vos déclarations, revenir à vos fondamentaux, ceux de votre président Sarkozy, qui disait « l’écologie ça commence à bien faire ! », une sorte de posture de combat qui vous conduit à vous réjouir du réchauffement climatique, comme cet été, lorsque vous affirmiez que la crise climatique dramatique que nous traversons est en réalité « une opportunité pour la Normandie ».

Ce cynisme interpelle autant qu’il interroge sur les politiques que vous allez continuer à nous proposer dans les années à venir.

Nier le les transitions ne fait pas un programme politique Monsieur le Président, et nous vous proposerons lors du débat budgétaire, des amendements de réorientation qui montreront que changer c’est nécessaire, mais c’est aussi parfaitement possible.

Je vous remercie.