Assemblée plénière
Lundi 12 décembre 2022
Discours de politique générale de Laetitia Sanchez
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les conseillers,
Avec la cyber-attaque qui nous frappe – après d’autres collectivités, les hôpitaux, les administrations, les entreprises -, avec la guerre, les pandémies, le dérèglement climatique, nous voilà entrés dans une ère à la Mad Max, où les plus brutaux profitent du chaos, pendant que les plus fragiles en sont les premières victimes.
Pourtant, de COP en COP, de Covid en guerre d’Ukraine, nous alertons. Nous voudrions croire qu’enfin nous allons prendre nos responsabilités politiques, et changer. Changer nos orientations les plus destructrices, pour aller dans le sens dans d’un développement basé sur la régénération, qui permettrait seul de mettre fin à la guerre contre la Nature, cette Nature dont nous dépendons entièrement – comme l’a rappelé il y a quelques jours le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, en ouverture de la COP 15 sur la Biodiversité. Cette COP, actuellement en cours au Canada, permettra-t-elle enfin que ces enjeux soient enfin sérieusement pris en compte ?
Le 1er décembre dernier à Pacy-sur-Eure, Dorine Bregman, garante du débat public pour la Commission Nationale du Débat Public, résumait deux mois de concertation sur le doublement de la RN13 entre Evreux et Chaufour-lès-Bonnières, avec plus de 300 contributions déposées, par ces mots : « On a changé d’époque ».
Le bilan de cette concertation, disponible sur le site de la CNDP, fait apparaître un projet daté, voire obsolète – ce sont les mots du bilan -, qui ne répond pas aux impératifs environnementaux (le réchauffement climatique, la pollution, le ZAN, la destruction de terres et d’espèces), ni aux impératifs sociaux – avec l’explosion du prix des carburants, et la nécessité de proposer aujourd’hui des mobilités alternatives à la seule voiture individuelle. Enfin, l’utilité économique même du projet a été contestée, avec des gains de temps faibles, voire inexistants. En conclusion, les garants du débat public ont interrogé sur la possibilité d’un autre scénario d’aménagement, le « scénario zéro », qui se contenterait d’améliorer l’existant en le sécurisant et en abaissant la vitesse à 80km/h pour la sécurité des usagers.
Ces mots de bon sens écologique, dans la bouche d’un garant de la CNDP, nous laissent espérer que l’idéologie de la route pour seule réponse aux besoins de mobilité, touche à sa fin. Les habitants se sont emparés de ce débat pour mettre en avant leur désir de recourir aux alternatives à la voiture, et au premier chef le train.
Lorsque le Président Macron soutient publiquement les RER métropolitains, à la veille de la parution du rapport tant attendu du Conseil d’Orientation des Mobilités, qui orientera les futurs CPER sur le volet Mobilités, nous voulons croire que ça y est : « Nous y voilà, nous y sommes ! » pour citer la romancière Fred Vargas.
« On a changé d’époque » : c’est ce que nous espérions trouver dans la lecture du premier plan d’actions faisant suite aux travaux du GIEC normand.
Nous adhérons bien sûr totalement aux 34 actions proposées, mais comme vous le confessez vous-même, c’est une approche du « pas à pas ».
C’est promis, « Demain, j’arrête ! », et la Région promet donc d’engager en 2023 une restructuration profonde et une priorisation de ses politiques régionales, pour les rendre, je vous cite, « plus climatiquement neutres ou positivement contributives à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ». Quelle déception alors à la lecture d’un budget copié-collé de celui de l’an passé, de l’année d’avant, de celle d’avant, et d’encore avant…
Chaque année les écologistes vous proposent de mettre en place une règle d’or climatique, assortie de conditionnalités environnementales et sociales des politiques publiques, seules à même d’assurer notre future neutralité carbone, en anticipant les impacts sociaux du changement de modèle. Ce sont les 3 boucliers, environnemental, social et économique, que nous vous présenterons tout à l’heure lors de l’examen du budget.
Car il existe une économie de la régénération, de la sobriété, et des alternatives vertueuses aux activités polluantes d’ici ou d’ailleurs. Avec les matériaux biosourcés, l’économie circulaire, la réhabilitation de l’existant, la réparation, la conception de produits plus durables, une agriculture plus saine pour nos santés, pour les sols, l’air et l’eau. Avec tous les emplois liés aux mobilités du futur, autour des transports collectifs, du vélo, et bien sûr du train, pour les voyageurs et les marchandises.
Avec plus d’un million de kilomètres de routes en France, et le réseau routier le plus dense d’Europe, contentons-nous, comme pour la RN13, de sécuriser l’existant, et reportons nos investissements du routier vers le ferroviaire. Avec l’Etat, dont les recettes pâtissent déjà de la perte de croissance liée aux conséquences de la Guerre en Ukraine ; avec le département de Seine-Maritime, qui doit faire face à une augmentation des besoins sociaux avec la crise qui nous frappe : rejoignez la métropole de Rouen-Normandie, l’Agglomération Seine-Eure et le département de l’Eure, et renoncez enfin aux autoroutes à péage à l’Est de Rouen.
A l’heure où la France et l’Europe vont financer le Canal Seine Nord-Europe, auquel il faut aujourd’hui connecter la Seine et les ports normands ; à l’heure où nous devons nous engager dans une politique de fret ferroviaire volontariste, travaillons sur les alternatives à ce nouvel axe autoroutier Calais-Bayonne, redondant avec l’A28, l’A16, l’A1 ou l’autoroute des estuaires.
Pour le fret, relançons une ligne du Blé entre le port de Rouen, 1er port céréalier d’Europe, et la Beauce, en utilisant la ligne historique Rouen-Orléans, ou en travaillant sur des alternatives de grand contournement de l’Ile de France par Le Mans, que l’on pourra connecter à l’autoroute ferroviaire Cherbourg-Bayonne.
Les alternatives aux autoroutes à péages sont aujourd’hui recherchées par les entreprises qui veulent améliorer leur bilan carbone, leur équilibre financier et leur image commerciale, avec des transports plus propres. Le camion électrique ou à hydrogène restent des chimères lourdes et couteuses, et il est illusoire de croire que nous pourrons conserver le même nombre de véhicules et les mêmes modes de déplacements avec la fin programmée des moteurs thermiques.
Nos concitoyens l’ont compris également, et plébiscitent aujourd’hui le train : pour autant que le service et les tarifs proposés leur permettent de concilier vie professionnelle, études, santé et loisirs. En matière ferroviaire, on sait que l’offre conditionne la demande, et c’est alors un très mauvais signal qu’envoie la Région lorsqu’elle diminue le nombre ou la longueur des trains, et qu’elle augmente en parallèle les tarifs ! On ne s’y prendrait pas autrement si l’on voulait faire fuir les voyageurs – au moment même où vous relancez une étude Normandoscopie sur les habitudes de déplacements, assortie d’un comptage des voyageurs et d’une enquête sur les besoins de mobilité.
Avec l’entrée en vigueur du ZAN, opposable aux documents d’urbanisme, le modèle d’étalement urbain qui a prédominé depuis 50 ans va s’achever – ce qui était un modèle de vie et de travail basé sur l’allongement des distances, où l’on habitait toujours plus loin des pôles d’emplois et de services, en étant livré à soi-même et à la seule voiture pour se déplacer.
Rajouter deux nouvelles autoroutes à péage sur les plateaux Est (à l’opposé des pôles économiques normands situés à l’Ouest) permettrait-elle aux habitants de l’Eure ou de la vallée de l’Andelle de mieux rejoindre la métropole ? Il est illusoire d’imaginer de rallonger son trajet, en ajoutant un péage, pour aller déboucher… au rond-point des vaches, bien connu pour être la pénétrante la plus embouteillée aux heures de pointe !
L’Eure est déjà reliée à la métropole par l’A13 et la Sud III : il suffit de supprimer le péage d’Incarville – schunté tous les jours par les automobilistes et les poids lourds –, pas de rajouter un péage supplémentaire !
Pour les poids lourds, sécurisons les axes existants à l’Ouest, via les boulevards industriel et maritime.
Il faut surtout avancer rapidement sur la réouverture de la liaison ferroviaire entre Evreux et Rouen, et soulager la vallée de l’Andelle de ses trafics (avec beaucoup de poids lourds, contournant là encore les péages) par la réouverture de la ligne Pont de l’Arche-Gisors, pour les marchandises et les voyageurs. Voilà des investissements utiles pour la mobilité des normands, et pour un transport fret plus propre. Assez de camions, assez de bitume, Monsieur le Président, « on a changé d’époque ».
Enfin, un mot sur un sujet à 200 milliards, qui ne manquera pas de creuser encore le déficit de nos finances publiques : la relance du nucléaire français – avec les programmes EPR, le grand carénage, et la gestion insoluble des déchets radioactifs. Non, Monsieur Morin, ce n’est pas la faute des écologistes si l’EPR de Flamanville ne fonctionne toujours pas au bout de 15 ans – malgré un très lourd investissement de près de 20 milliards -, et si la moitié du parc existant est à l’arrêt – faute là d’investissement depuis le mandat de Nicolas Sarkozy, pour justement promouvoir son projet de nouveaux EPR. Le débat public, qui est mené actuellement sur ces EPR, illustre le verrouillage idéologique qui existe dans les institutions sur ce sujet, avec une participation difficile et très restreinte du public dans les réunions, ce sur quoi nous avons alerté les garants du Débat. Nous verrons ce soir à la réunion du Petit Caux si ces observations ont été prises en compte.
Et comme la France a fait le choix de mettre tous ses œufs dans le panier du nucléaire, nous sommes le SEUL pays parmi les 27 pays européens à n’avoir pas atteint notre objectif de développement des énergies renouvelables en 2020. Le projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, qui est en cours d’examen à l’Assemblée nationale, permettra-t-il enfin de nous remettre sur la bonne trajectoire ? En Normandie, nous pouvons avoir des inquiétudes, quand vous proposez d’inscrire dans le SRADDET de soumettre tous les projets d’implantation éoliens à la délibération des conseils municipaux. Nous y reviendrons dans nos amendements.
Comme pour les routes, sécurisons l’existant, et investissons massivement dans les économies d’énergie, avec l’isolation des bâtiments, la chasse au gaspi, l’efficacité énergétique, et les énergies renouvelables. Choisissons des énergies de paix : jamais une éolienne, si laide soit-elle pour certains ici, ne servira d’arme de guerre comme la centrale de Zaporizhzhia ou les pipelines que l’on fait exploser. Redonnons de l’espoir à nos concitoyens, un espoir de sécurité et de paix, en tournant le dos à ces énergies dangereuses pour notre avenir. Donnez-nous l’espoir qu’enfin, « on va changer d’époque ».