Assemblée plénière
Lundi 17 octobre 2022
Intervention de Marianne Rozet relative à l’ouverture à la concurrence des services de transport ferroviaire de voyageurs en Normandie
Monsieur le Président, Chers collègues,
« Au commencement des difficultés, il y avait l’automobile… Prix des carburants, congestion, pollution, la voiture a mauvaise presse et pouvoir s’en passer est devenu un luxe. Mais dans une région où 80% des trajets domicile-travail sont effectués en voiture, et où les usagers n’ont souvent pas d’alternatives, comment agir ? ». Ainsi commençait un communiqué du CESER du 4 avril 2019 au sujet de la mobilité du quotidien et de sa soutenabilité.
Depuis, la crise Covid, la guerre en Ukraine, la crise climatique dont les effets deviennent palpables pour nos concitoyens et concitoyennes…
Depuis, la flambée des prix de l’énergie avec en tout premier lieu le gaz et les carburants…
Aujourd’hui il nous est proposé de voter une délibération pour acter l’ouverture à la concurrence dés 2027 sur l’étoile de Caen et acter le découpage des lots pour l’ouverture à la concurrence de l’ensemble du réseau ferroviaire normand en 2030.
L’ouverture anticipée à la concurrence pour une partie du réseau Normand est rendue possible par le fait que :
Je cite : « l’article 6.4.1 de la Convention d’exploitation du service public de transport ferroviaire régional de voyageurs sur les lignes normandes 2020/2029, prévoit la possibilité pour la Région d’ouvrir à la concurrence une partie du périmètre de la Convention, dans la limite de 15% de l’Offre de Transport Théorique 2026 exprimée en t.km, dès lors que les objectifs d’amélioration de la qualité de service ou des objectifs de recette ne sont pas atteints. »
Et : je cite encore : « Que le niveau de recettes atteint par SNCF Voyageurs en 2020 et 2021, dans le cadre de la convention d’exploitation du service public de voyageurs, ne répond pas aux prévisions initiales et s’écarte notablement de la trajectoire financière (58 % de recettes ont été réalisées par rapport à l’objectif initial) ».
Nous parlons bien des résultats de la SNCF Voyageurs sur les années 2020-2021, 2 années pendant lesquelles il ne vous aura pas échappé que la crise Covid était passée par là et avait considérablement impacté les déplacements en général et les transports en commun en particulier. S’appuyer sur cet argument pour justifier de l’ouverture à la concurrence anticipée sur l’étoile de Caen en 2027 relève donc d’un cynisme sans nom ! Cynisme assumé en plus puisqu’il est écrit en toutes lettre dans cette délibération je cite « qu’un écart notable se creuse entre les recettes escomptées et celles réalisées eu égard notamment à l’impact Covid. »
Quand au principe même d’ouverture à la concurrence, les arguments sont toujours les mêmes, on espère un gain d’efficacité, une amélioration du service pour les usagers, la concurrence permettrait de faire baisser les prix…
Pourtant, que penser des exemples de nos voisins qui avaient déjà fait le choix de la libéralisation et font désormais marche-arrière. C’est le cas de la Norvège, du Royaume uni et même de l’Allemagne souvent citée en exemple : elle voit la société Kéolis abandonner les trains régionaux et pire : Abellio qui fait faillite et laisse ainsi les usagers sur le quai.
Nous pouvons également citer l’exemple de l’ouverture à la concurrence pour le fret ferroviaire en France, depuis la libéralisation les parts de marché du fret ferroviaire n’ont cessé de s’éroder, passant de 20 à 9 % en 2019, tandis que la demande croissante globale de fret se fait au bénéfice du fret routier. Quel échec !
Je vous pose donc la question :
Pouvons-nous vraiment attendre une amélioration du service pour les usagers du train et une réelle baisse des prix des billets quand on sait que l’ouverture à des sociétés privées et la course aux profits qu’elle induit forcément ne fera qu’accentuer les effets que le démantèlement du service public ferroviaire provoque déjà… Il est désormais demandé à la SNCF d’être rentable là où elle devrait être un service public de transport au service des voyageurs et motrice pour une véritable transformation de nos modes de déplacement.
Cela se traduit par une politique de prix incompréhensible pour les usagers, des trains supprimés parce qu’ils ne sont pas suffisamment remplis, des fermetures de guichets et de gares, l’accompagnement des trains réduit, des arrêts supprimés, rendant l’accès au train plus difficile pour une grande partie de la population. Une déshumanisation choisie des gares et des trains, qui au passage a entraîné 150 suppressions d’emplois en à peine 6 ans.
Là où la région, en qualité d’Autorité Organisatrice des Mobilités devrait avoir une vraie politique de mobilité, avec des transports ferroviaires efficients, irrigant le territoire y compris les zones rurales aujourd’hui oubliées, ouvrant plus de gares, proposant plus de trains, plus de régularité, plus d’intermodalité aussi. Un service public qui garantirait la plus grande accessibilité à ses services et proposerait des prix de billets attractifs, et pourquoi pas une gratuité des transports pour les jeunes… tout ce qui amènerait de plus en plus d’usagers à se tourner vers le train tant se déplacer en voiture est devenue hors de prix et tellement à contre-temps.
Je vous entends déjà me répondre que tout cela a un coût et c’est vrai. Mais la région à des moyens et des moyens qu’elle décide d’orienter. La région doit faire des choix ! Celui de finance de nouvelles routes et des contournements routiers ou bien de mettre le paquet sur les mobilités durables que sont les transports en commun et les mobilités douces !
Alors oui, l’Europe nous impose l’ouverture à la concurrence, mais non vous n’êtes pas obligés d’anticiper avec l’ouverture sur l’étoile de Caen en 2027 !
Et oui, malgré l’ouverture à la concurrence que nous impose l’Europe vous pouvez décider d’avoir une vraie politique de développement des transports ferroviaires de voyageurs en Normandie au service de toutes et tous dans tous les territoires.
Nous voterons donc contre cette délibération.