Assemblée plénière – Lundi 17 octobre 2022 – Intervention de Véronique Bérégovoy relative à la convention régionale France 2030

Assemblée plénière

Lundi 17 octobre 2022

Intervention de Véronique Bérégovoy relative à la convention régionale France 2030

Monsieur le Président, mes chèr-e-s collègues,

Tout d’abord avant de s’engager dans cette nouvelle convention, il aurait été essentiel que l’on puisse faire une évaluation précise du programme d’investissement d’avenir 3 (PIA3). Soit cela a été fait et nous n’en avons pas eu connaissance, soit cela n’a pas été fait et c’est un grave manquement.

Comment connaître l’impact réel des subventions versées sur notre économie, sur l’emploi, s’il n’y a pas d’évaluation ? Il s’agit de millions d’euros d’argent public versées aux entreprises, aux projets de recherche, on doit avoir le retour.

Concernant cette nouvelle convention qui nous est proposée, je crois qu’il est important de prendre un instant sur ce qu’est vraiment le « Plan France 2030 » : Tout d’abord, il faut savoir que ce nouveau plan d’investissement, d’une coquette somme de 30 milliards d’euros sur 5 ans, dévoilé en octobre 2021 par le Président de la République n’a fait l’objet d’aucune concertation ; ni le parlement, ni les élus locaux, ni la société civile n’ont été associés à l’élaboration des priorités de ce plan. Il a été piloté directement par l’Elysée avec quelques grandes entreprises et industries de notre pays. Ce qui pose un vrai problème démocratique !

L’objectif du Président est, avant tout, je le cite : « de continuer à développer de très grands champions français, notamment dans le domaine de l’innovation industrielle et technologique » et non pas, malheureusement, d’engager la transition écologique et énergétique de notre société qui devraient pourtant être la priorité pour répondre aux crises climatiques, environnementales et sociales.

Dans le domaine de l’énergie, se sont le nucléaire et l’hydrogène qui continuent à capter la majeure partie des investissements ; d’ailleurs l’objectif n°1 est de faire émerger en France des réacteurs nucléaires de petites tailles (SMR) qui seraient, soi-disant, plus sûrs et comme le rappelle le Président « améliorer toujours la sureté en baissant les coûts » je ne suis pas sûr, pour ma part, que nous devons être rassurés de cette affirmation. Je rappellerai juste ici que concernant la gestion des déchets qui pour une part se trouve être traité à la Hague mais qui pour une bonne partie est traité aussi en Russie. Au vu du contexte actuel, je ne pense pas que tout cela soit bien rassurant et garantisse notre indépendance ! (A fortement réfléchir pour la suite)

L’objectif n°2 est le développement de la filière hydrogène. Et tous les discours actuels des gouvernements ou des entreprises nous font croire que l’hydrogène serait déjà une technologie verte prête à l’usage alors que ce n’est qu’une fraction de l’hydrogène produit qui est réellement vert, le reste étant produit à base de gaz fossile avec des procédés fortement émetteurs de gaz à effet de serre. Généraliser les usages de l’hydrogène, tout en le verdissant, impliquerai un recours massif à l’électrolyse à base d’électricité renouvelable au risque de nuire aux autres usages. Mais en réalité c’est surtout et on l’aura bien compris, un levier pour augmenter la demande d’électricité nucléaire.

Je ne vais pas vous énumérer les 10 principaux objectifs mais force est de constater que ce nouveau plan est principalement dédié aux industriels, en particulier à leurs projets de développement technologiques ; ainsi on peut voir les milliards mis sur les composants électroniques, la robotique, le numérique l’automobile hybride et électrique, ou l’avion « zéro carbone ». Et donc en pratique, ce sont les solutions technologiques prônées par les industriels qui sont systématiquement privilégiées alors même que ces secteurs ont déjà abondamment été aidés. Et non seulement, ils ont bénéficié d’un soutien public massif depuis 2020 mais en plus ils ont continué à supprimer des emplois ou à verser des dividendes records comme Safran, Stellantis ou ArcelorMittal…pour ne citer qu’eux.

A travers ces choix, de soutenir massivement ces secteurs, contrairement à ce qui est annoncé par ce gouvernement ou par la Région (càd)« tenir compte de l’urgence climatique, des bouleversements géopolitiques, de revoir profondément les modes de production des entreprises… » en fait, c’est toujours la même volonté de préserver, quoiqu’il en coûte, le modèle commercial actuel des grandes entreprises, en subventionnant la transformation partielle de leur appareil productif, aux dépens et j’insiste bien, aux dépens de transformations structurelles nécessaires et vitales pour notre avenir.

Comme par exemple : investir massivement dans la sobriété et l’efficacité énergétique des logements et des bâtiments, réduire le recours à l’avion et aux véhicules individuels, développer les transports en commun, les mobilités douces et le fret ferroviaire, concevoir des systèmes énergétiques plus décentralisés basés sur les renouvelables. Rien de ce que je viens d’énoncer figure dans ce plan !

Et il en est de même dans le domaine de l’agriculture, de la santé ou de la culture où on retrouve ce prisme pro-technologie/pro-industrie à toutes les lignes !

En matière agricole, les aides sont fléchées vers les biotech, la robotisation et la numérisation agricole ! Vous croyez vraiment, sincèrement qu’on va résoudre la crise agricole, la réduction des emplois dans ce secteur, le mal vivre d’une grande partie de nos paysans subissant des revenus de misère, la pollution des terres, la perte de la biodiversité avec ce genre de mesures qui en plus ne vont bénéficier qu’à une minorité ? Il n’y a rien sur le développement de l’agroécologie, rien sur le développement du bio, rien pour soutenir les paysans en grande difficulté !

Dans le domaine de la santé, on mise sur une nouvelle génération de médicaments et la santé numérique mais rien sur les préventions pour qu’il y ait moins de maladies et moins de malades, rien sur le soutien aux hôpitaux, rien sur le soutien aux soignants !

Et même dans le domaine de la culture, là aussi, il ne s’agit pas de soutenir le secteur dans son ensemble ni de soutenir les professions artistiques les plus précaires mais de subventionner des infrastructures de tournage et de postproduction utilisées par les plateformes de streaming et soutenir le secteur du jeu vidéo qui, comme vous le savez !! est en très grande difficulté n’est-ce-pas !! Mais on va où là ? A nier les réalités, l’accroissement des inégalités sociales et environnementales, l’augmentation de la pauvreté, l’enrichissement des plus riches, l’accélération du réchauffement climatique avec son lot de déluges, méga-tempêtes, méga-feu, méga-sécheresse, être dans le déni constant en croyant que la technologie va résoudre tous nos problèmes, c’est d’un cynisme et d’une grande irresponsabilité !

Et malgré les apparences, l’objectif de France 2030 ainsi que de cette nouvelle convention qui nous est proposée, n’est pas de répondre aux défis économiques et industriels de la France ou de la région Normandie, pourtant récemment mis en exergue par la crise sanitaire. Non, ces financements, comme bien souvent vont encore aller dans des secteurs de niche, dans une logique avant tout de compétitivité, de créations de leaders à l’export et de champions du monde de tel ou tel secteur. Est-ce vraiment de cela dont a besoin la population, dont ont besoin les normands ? Je ne le pense pas.

Toujours dans son élan, le gouvernement érige les start-up au rang d’acteurs essentiels de la transition écologique et sociale.

Bien sûr qu’elles ont toute leur place dans notre économie mais soyons vigilants à ce qui se passe vraiment : L’Elysée estime que 15 milliards des crédits de France 2030 seront destinés à des acteurs émergents. Pourtant, lorsque l’on regarde de plus près les entreprises cibles déjà annoncées, il s’agit pour la plupart, soit de coentreprises formées par de grands groupes (comme Genvia qui associe Vinci, Schlumberger et le Commissariat à l’énergie atomique ou encore Verkor financée par Renault) soit de petites entreprises fortement liées à des groupes par des relations commerciales et personnelles. Ainsi, les grandes entreprises du CAC40 risquent donc d’être les principales bénéficiaires de ce plan, soit directement sur les secteurs où elles sont incontournables (nucléaire, automobile, aéronautique et spatial) soit indirectement via « les acteurs émergents » avec lesquelles elles sont associées. Et pour couronner le tout, le chef d’orchestre de ce plan, nommé secrétaire général à l’investissement, Monsieur Bruno Bonnell, non sans remettre en cause ses qualités, illustre parfaitement le mélange des genres entre représentation de l’Etat, intérêts du CAC40 et complexe techno-financier comme son CV nous le démontre ; muti-entrepreneur dans le numérique, député LREM, siégeant au conseil d’administration de Danone et au conseil scientifique d’EDF. (la boucle est bouclée, sans commentaire !)

Ce plan est un énième plan qui va encore donner beaucoup aux lobbys qui pourtant avec leurs bénéfices historiques n’ont pas besoin de fonds publics supplémentaires. Et en plus, ce gouvernement a refusé que ces aides colossales soient soumises à des conditions telles que l’interdiction du versement de dividendes ou de la présence dans les paradis fiscaux, la préservation de l’emploi, l’égalité entre les femmes et les hommes ou la protection de l’environnement et du climat, donc aucune contrepartie et aucune éco-conditionnalités !

Un petit chèque en blanc de 30 milliards, je ne sais pas comment on doit appeler cela, tellement dans le contexte actuel, en fait, c’est assez scandaleux !

Et dans ce qui paraît être les orientations et les choix de la région, je ne vois que la reproduction identique de ce que souhaite l’Etat à travers son plan.

Pourtant, la région aurait pu orienter davantage son nouveau plan d’investissement d’avenir, vers des besoins liés à la transition écologique et énergétique de notre territoire dans les domaines de l’économie, l’agriculture, la santé, les transports…

Saisir cette opportunité pour orienter nos priorités régionales vers la transition écologique de notre économie afin de relancer une économie locale, développer des industries et entreprises créatrices d’emplois durables, tout en répondant aux enjeux climatiques, énergétiques et sociaux. Mettre le paquet sur un plan de sobriété et d’efficacité énergétique, de développement d’énergies renouvelables (autre que le méthanier), de soutenir, de façon conséquente, l’économie circulaire ainsi que l’économie sociale et solidaire, très créatrice d’emplois locaux et durables, développer massivement l’agro-écologie et le bio. Je ne vois aucun de ces objectifs dans ce qui nous est proposé !

De plus, alors que la part territorialisée du PIA4 aurait pu, à l’inverse dont fonctionne France 2030, être utilisée de manière plus transparente et démocratique, vous avez choisi de céder la gouvernance des projets d’innovation via l’ADN à BPI France. Bonjour l’opacité !

Au vu des crises structurelles que nous vivons, au vu de la prise de conscience des conséquences du réchauffement climatique, suite entre autre, aux travaux du GIEC Normand, ce qui nous est proposé, non seulement ne va pas dans le bon sens, puisqu’on continue à faire croire qu’on fait du neuf avec des vieilles recettes comme ; donner toujours plus à ceux qui ont tout, rechercher à tout prix le toujours plus de croissance dans un monde pourtant fragile et finie, prôner toujours et encore plus la compétitivité dans une économie toujours plus libérale, au mépris des plus fragiles, de soutenir un guichet supplémentaire de subventions, sans aucune conditionnalités, mais cela risque d’aggraver la situation, de continuer à détruire l’environnement et le climat, de détériorer la vie des plus vulnérables d’entre nous et d’accroître les inégalités.

Il ne suffit pas de faire émerger quelques leaders mondiaux et quelques prouesses technologiques et scientifiques pour sortir des crises dans lesquelles nous sommes confrontées ! Et miser d’énormes fonds publics dans cette trajectoire est un non-sens, irresponsable, voire dangereux pour l’avenir de l’humanité et notre planète !

A travers cette nouvelle convention, il n’y a aucune stratégie politique régionale pour enfin engager la transition écologique et énergétique de notre région dont pourtant nous avons tant besoin.

Pour tout cela notre groupe votera contre cette délibération.