Assemblée plénière – Lundi 18 octobre – Discours de politique générale de Rudy L’Orphelin

Assemblée plénière

Lundi 18 octobre 2021

Discours de politique générale de Rudy L’Orphelin

Monsieur le Président, cher.e.s collègues,

Début août 2021, les scientifiques du GIEC mondial dévoilaient leurs nouvelles conclusions. Le climat se dérègle plus et plus vite que prévu. Vagues de chaleur, pluies intenses, sécheresses et méga-feux : les manifestations de ce dérèglement sont rapides et s’intensifient ; elles ne sont plus ni théoriques, ni lointaines et frappent notre continent, notre pays et même notre région. Plus de doute possible, nous sommes entrés dans l’ère des catastrophes à répétition. La température mondiale a déjà augmenté de plus de 1° par rapport à l’ère pré-industrielle et les 50 dernières années auront été celles d’une accélération du réchauffement sans précédent. Le seuil critique des 1,5° devrait franchi non plus début 2040 mais début 2030. Autrement dit, nous avons à peine 10 ans pour éviter le point de bascule, seuil au-delà duquel les effets induits du changement climatique pourraient être irréversibles. Et dans cette bataille, chaque fraction de degré va compter. (+0,1 ° depuis 2018 et l’accord de Paris).

En ce 18 octobre 2021, où en sommes-nous en Normandie ? Avec plus de 600 km, notre région est d’abord celle qui a l’un des linéaires de côte parmi les plus étendus du pays alors que l’élévation du niveau de la mer serait de plus de 1m à l’horizon de ce siècle ; ses sites industriels et notamment ses sites SEVESO sont autant de bombes à retardement qu’ils soient situés en bord de Seine ou sur nos côtes. Notre territoire connaît une artificialisation galopante : chaque année 1 % de nos prairies disparaît et l’équivalent de la surface de Rouen se trouve bétonné.  La Normandie est enfin l’une des régions qui voit, aujourd’hui encore, ses émissions de gaz à effet de serre s’accroître quand d’autres ont amorcé une diminution.

Alors, à l’heure où nous nous apprêtons à examiner le rapport d’orientations budgétaires, il n’est pas inutile de rappeler la force de frappe qui est celle de la Région : développement économique, aménagement du territoire, transports, formation… La Région est en mesure non seulement d’impulser, d’orienter mais aussi de contractualiser voire de contraindre et ce, tant auprès des collectivités territoriales que du tissus industriel et économique. C’est le niveau de collectivité adapté et pertinent pour engager des politiques de transition dont nous avons ardemment besoin pour enrayer la crise climatique.

Tel n’est malheureusement pas le chemin que nous semblons emprunter aujourd’hui. Quand ce n’est pas dans les gesticulations, votre majorité se perd dans les contradictions, les actions engagées pour faire face à la crise écologique étant systématiquement annulées par d’autres, qui auraient plutôt pour effet de l’aggraver.

Votre politique M. Morin, c’est d’abord le retour en force de la Région dans le financement des projets routiers et autoroutiers. De l’autoroute à péage à l’est de Rouen à la 2×2 voies Granville-Avranches en passant par la litanie des projets qualifiés « d’intérêt régional » pour justifier l’intervention financière de notre collectivité, le développement de la mobilité individuelle motorisée occupe une place de choix dans votre politique de transports alors qu’il s’agit là d’un des principaux postes d’émissions de gaz à effet de serre. Pourtant, nous le savons bien, élargir les routes, en créer de nouvelles n’ont pour effet que d’augmenter encore et toujours le trafic, soit plus de pollution, plus d’artificialisation des sols avec à la clé un grand gâchis d’argent public.

Pendant ce temps, passé l’investissement dans les nouvelles rames Nomad et les bras de fer médiatiques avec la SNCF, les trains du quotidien sont à la peine, la ponctualité et la régularité sur nos lignes ne connaissent pas d’amélioration significative et les usagers, pourtant de plus en plus nombreux à se dire prêts à laisser la voiture au garage, attendent fort logiquement que les pouvoirs publics soient en mesure de leur proposer des alternatives crédibles, particulièrement quand le prix des carburants s’envole à la pompe. En Normandie, on repassera.

Pour faire face à la crise climatique sans remettre en question notre modèle de développement, il y a aussi les solutions miracle : Le 20 septembre 2021, vous preniez la tête d’un consortium d’élus locaux pour l’implantation de nouveaux EPR dans notre région. On célébrait déjà, sous couvert d’un unanimisme apparent, la contribution supposée du nucléaire à la lutte contre le réchauffement climatique, les investissements pour notre territoire et les nouveaux emplois à attendre d’un tel chantier.

Pourtant L’EPR, on connaît bien ici en Normandie et quelle vitrine !

Celui de Flamanville était annoncé pour 3,3 milliards d’euros et devait être mis en service en 2012 ; son coût avoisine aujourd’hui les 20 milliards d’euros selon la Cour des comptes et, sauf EDF, plus personne ne se se risque à prophétiser une date de mise en service tant les retards, malfaçons et autres négligences ont abouti au sinistre industriel que l’on sait.

Ajoutons qu’à niveau d’investissement égal, pour un emploi créé dans le nucléaire on peut en atteindre 3 dans l’efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables. Pour lutter contre le dérèglement climatique, nous n’avons pas besoin de solution miracle pour dans 20 ans, il nous faut des solutions maîtrisées maintenant. De ce point de vue, notre temps et nos moyens seraient bien mieux employés à engager de façon résolue les investissements nécessaires à l’isolation des logements et bâtiments du territoire ou encore à la concrétisation des projets éoliens normands.

Pour décarboner massivement notre économie, la Région ne manque pas de leviers. Est-ce un effet de la crise ?  Le robinet des aides et subventions est aujourd’hui ouvert aux quatre vents. On cherche sans les trouver les conditions qui président à l’octroi de telle ou telle aide régionale. Pas d’interrogation sur les impacts écologique et climatique des activités économiques, pas de réflexion sur les conditions de travail, les pratiques fiscales ou encore l’égalité femme-homme. Pas de soutien franc à l’économie sociale et solidaire dont le potentiel d’emplois utiles socialement et écologiquement n’est plus à démontrer.

Pourtant, sans une réorientation profonde de notre modèle développement économique, nous ne pourrons pas mener efficacement la bataille du climat. Nous faisons donc une proposition simple, Monsieur le Président : pour demain, chaque euro d’argent public dépensé devra être passé aux cribles des exigences climatiques et sociales. Et nous sommes prêts à travailler avec vous à définir de manière transpartisane les critères d’éligibilité aux aides qui permettraient de concilier la prospérité de notre territoire et la préservation de notre environnement.

Pour achever mon propos, j’aimerais ici saluer l’initiative qui a été la vôtre de mettre en place un GIEC normand. Depuis lors, les scientifiques normands ont réalisé un travail précieux qui doit nous aider à faire des choix à la hauteur des défis à relever au cours de cette décennie. Ce travail ne peut pas et ne doit pas rester sans lendemain. Pour cela, il est temps de passer du constat à l’action, du diagnostic aux solutions. L’horloge toune et chaque fraction de degré va compter.

Je vous remercie.