Assemblée plénière – lundi 19 juillet 2021 – Intervention de Bastien Recher sur le rapport de la Chambre Régionale des Comptes sur la gestion de Normandie Participations

Monsieur le Président,

Cher.e.s collègues,

C’est toujours un plaisir d’avoir à lire des rapports de la chambre régionale des comptes dont les travaux sont toujours d’une précision chirurgicale et dont les remarques s’avèrent extrêmement pertinentes.

J’étais donc particulièrement heureux de voir que nous avions un rapport d’inscrit pour la première commission des finances et pour cette séance.

Ce rapport est particulièrement intéressant car il montre que ceux qui se prétendent de bons gestionnaires sont en réalité peu scrupuleux avec le principe de bonne utilisation de l’argent public.

Ce rapport sur Normandie Participations doit également être lu au regard du rapport de la CRC sur l’Agence de développement pour la Normandie communiqué en février dernier.

Ce rapport, ces rapports, sont riches d’enseignements sur le précédent mandat, et riches de recommandations qui sont autant de points de vigilance pour le prochain mandat.

Il serait donc bon que l’exécutif ne les traite pas avec trop de désinvolture…

I. Une initiative essentielle mais au pilotage politique défaillant

I.1. Une implication trop faible de la Région dans la gouvernance et le fonctionnement de Normandie Participations qui nuit à la cohérence et l’efficacité des politiques régionales

Le choix fait de ne pas avoir d’élus régionaux au sein du conseil d’administration est considéré comme particulièrement préjudiciable pour la Région par la CRC.

Il est préjudiciable à deux titres :

  1. Tout d’abord, la CRC relève un manque d’articulation entre les interventions de la société et les stratégies régionales :

Ce manque d’articulation est lié à l’absence d’élus au CA mais aussi au fait que la stratégie du fonds d’investissement, présenté en annexe des accords de financement avec la Région « ne comporte pas d’élément de nature à assurer la cohérence de la politique d’investissement du fonds avec les priorités et les politiques régionales »…

  • Nous appuyons donc les recommandations de la CRC : introduire une participation de la Région au CA, et à défaut élaborer un dispositif conventionnel robuste pour que la Région puisse encadrer la stratégie d’investissements de Normandie Participations.
  • La composition choisie du CA, à savoir des représentants d’entreprises privées essentiellement, conduit également à augmenter les risques de conflits d’intérêt !

La CRC pointe ainsi à raison des manquements sérieux sur la prise de participation : deux membres du CA n’ont démissionné qu’après la prise d’une décision favorable à leur propre entreprise !

  • Ces remarques se retrouvent d’ailleurs dans le rapport de la CRC concernant ADN

I.2. Ce pilotage politique défaillant est encore accentué par la création d’une filiale et la prise d’une participation

En 2018, Normandie Participations a donc créé une filiale, Normandie Horizon, pour accorder de nouvelles formes de prêts, des prêts participatifs, dont le remboursement est subordonné au remboursement préalable des créances bancaires…

Ces prêts sont donc plus risqués que les prêts classiques.

Aujourd’hui ce sont près de 9 M d’euros qui ont été prêtés à 13 entreprises, jusqu’à 1,5 M pour une seule entreprise…

Les informations relatives à ces entreprises ne figurent d’ailleurs pas dans le rapport, contrairement à celles relevant de Normandie Participations.

En 2020, Normandie Participations a pris en plus une participation au capital de la société Normandie Littoral pour 1,7 M soit 46 % du capital total.

La pertinence de créer une filiale pour les activités maritimes et fluviales peut se concevoir, en revanche le principe de créer de nouvelles sociétés interroge profondément le contrôle que la Région peut exercer et donc vérifier la bonne utilisation de ses fonds…

  • La CRC explique ainsi que la Région ne dispose d’aucun droit de regard direct sur le pilotage de ces filiales.

Il convient donc de reconsidérer radicalement cette pratique et recentraliser, sous contrôle de la Région, les prises de participations.

I.3. Une action d’évaluation insuffisante pour mesurer l’impact réel sur l’emploi et éviter les effets d’aubaine

Normandie Participation doit fournir à la Région un rapport annuel reprenant toutes les données de son activité.

Or, il s’avère que l’effet de l’intervention de la société sur l’emploi devrait être mieux suivi et donc clairement présenté à la Région.

La CRC explique que les données transmises par les entreprises sont parfois incomplètes, notamment sur les effectifs ce qui fausse l’analyse de l’évolution de ces effectifs, alors même que la question du maintien ou du développement de l’emploi est une motivation majeure de l’existence de Normandie Participation.

  • Nous exigeons donc que ces données sur les effectifs, et donc l’impact des prises de participation sur l’emploi, soient fournies par les entreprises.

De même, il est pointé un risque d’un effet d’aubaine également sur la capacité des entreprises à accéder au marché de l’investissement.

  • Des études, a posteriori, sur les premiers résultats obtenus, un benchmark plus global même sur les dispositifs créés par les autres régions, permettraient sans doute de nous renseigner sur cet effet d’aubaine et sur l’impact des activités de Normandie Participations sur l’emploi.

II. Une logique idéologique d’externalisation à tout prix qui coûte cher à la région et au contribuable

II.1. Des choix particulièrement contestables pour impulser la création de Normandie Participations

Le rapport de la CRC retrace précisément les conditions de création de Normandie Participations et l’on ne peut que s’interroger sur le choix fait d’avoir recours à un prestataire privé plutôt que de s’appuyer sur les compétences des services de la Région et éventuellement des prestations de conseil très ponctuelles.

Ainsi, il est indiqué clairement que les 1,3 M dépensés auprès de SOFIMAC Partners pour des prestations de gestion de portefeuille « auraient pu être effectuées en interne pour un coût bien moindre ».

La CRC est même plus précise que cela puisqu’elle compare les deux sommes suivantes :

  • 1 037 706 euros pour du conseil en investissement
  • Alors que le coût annuel d’un chargé d’affaire est de 78 261 euros…

Pire, Normandie Participations a estimé que la société de gestion n’avait pas suffisamment mis ses ressources à sa disposition ce qui l’a contrat à des recrutements en raison de, je cite, « d’absence d’assistance manifeste ».

La responsabilité de cette gabegie incombe donc au donneur d’ordre dans cette histoire, soit vous indirectement Monsieur le Président, notamment parce que le contrat conclu était trop imprécis et à conduit à conduit à payer la totalité de la prestation alors que la réalité celle-ci était devenue plus qu’évanescente…

II.2. Des pertes liées à un criant manque de prudence dans la gestion du portefeuille

Sur ce point également, les conclusions de la CRC sont sans appel :

  • 2,5 M ont été perdus en raison de la liquidation de 3 entreprises : pertes classiques mais la CRC note un trop grand optimisme dans les business plans qui auraient dû être étudiés avec plus de prudence

Au total, une actualisation des valorisations des prises de participation montre des pertes comptables de 6.2 M à ce jour, car sur 49 entreprises pour lesquelles la Région est entrée dans le capital, 15 rencontraient en 2019 des difficultés financières…

Dans leur langage châtié, les rapporteurs relèvent ainsi « le caractère parfois manifestement optimiste des prévisions en matière de chiffre d’affaire (qui) aurait pu conduire à mettre en doute la fiabilité des hypothèses sur lesquelles l’investissement de Normandie Participations a pu être accordé ».  

L’ambition affichée, et réaffirmée dans la délibération de modification des statuts, d’investir 100 M d’ici 2023 est également relevée par la CRC qui s’inquiète à ce sujet.

  • Pour elle, cet objectif ne pourra être atteint « sauf à prendre des risques importants » !

Chacun sait ce que l’on dit à propos du fait de persister dans l’erreur…

III. Une succession de rapports de la CRC qui montrent les améliorations à conduire dans la politique de soutien aux entreprises en Normandie

III.1. La nécessité de repenser l’éco-système régional de soutien aux entrepris après deux rapports accablants de la CRC

Pour rappel, la CRC a également rendu en février un rapport d’observations définitives à propos d’ADN. Et le moins que l’on puisse dire c’est l’efficacité et les modalités d’intervention de la structure sont à revoir…

Je passe les remarques sur les locaux dont dispose ADN et dont l’utilité ne semblent pas toujours avérée.

Le plus préoccupant reste que la récurrence des remarques sur la bonne utilisation de l’argent public, l’externalisation de dispositifs qui pourraient être gérés par les services de la Région, l’efficacité des interventions, ou encore la nécessité de renforcer le contrôle par la Région afin d’éviter les conflits d’intérêt…

III.2. La question de l’efficacité des politiques publiques mises en œuvre dans ce domaine

J’invite tous les élus de cette assemblée à lire la page 18 du rapport de la CRC sur l’ADN. L’intégralité du rapport aussi bien sûr…

Pour mesurer l’efficacité des politiques régionales, il faut a minima recueillir les données nécessaires.

Il est particulièrement choquant de voir que, pour un sondage réalisé en 2018, sur l’impact des aides octroyées en 2016 et en 2017, seules 455 entreprises aient répondu pour un total de 734 entreprises aidées.


Comme pour Normandie Participations, il est donc particulièrement compliqué de mesurer l’impact de l’action d’ADN sur l’emploi.

III.3. Nous formulons donc à notre tour 3 recommandations à l’exécutif, à la lecture de ces rapports

1 ) réinternaliser à chaque fois que cela est possible la gestion des dispositifs de la Région

L’exemple d’ADN est criant : 55 % du budget de l’organisme est consacré aux charges de gestion contre 45 % seulement pour les aides aux entreprises…

2 ) mettre en place, comme le demande la CRC, un renforcement du contrôle régional qui passe par plusieurs décisions fortes :

  • La présence des élus régionaux dans tous les organes de décision : CA mais aussi directoire consultation et autres créations originales…
  • Construire dès maintenant, avec des représentants de l’opposition régionale, « une démarche structurée d’évaluation de la performance, fondée sur des données objectives » comme le réclame la CRC dans les deux rapports.

3 ) établir une véritable critérisation des aides régionales aux entreprises

L’argent public investi par la Région doit servir véritablement à notre territoire et à ses habitants, et pour cela :

  • Contribuer à préserver ou créer des emplois durables ;
  • Et favoriser la transition écologique du tissu économique normand.

Pour illustrer mon propos, je vous invite à regarder les annexes du rapport de la CRC sur Normandie Participations.

Ne pensez-vous pas qu’il pourrait être pertinent d’éviter de soutenir des entreprises polluantes ou des entreprises de luxe voire les deux à la fois :

  • Je citerai Iguana Yachts qui vend donc des Yachts à partir de 240 000 euros jusqu’à 600 000 euros pour les tarifs affichés car ensuite c’est sur demande, et qui se glorifie de proposer une « alternative électrique » sur ses motorisations… Et donc on découvre dans les annexes financières au rapport que la Région a injecté 1 016 984 euros en 2017, pour une valeur nette estimée à 627 059 euros en 2019. L’excuse de la performance ne peut même pas être invoqué dans ce cas…
  • Autre exemple édifiant : la société de holding Berger International qui a bénéficié d’une prise de participation de plus d’1 M… Rappelons que le but d’une holding est de faire écran entre le dirigeant et ses filiales et l’on comprend bien ce que cela peut donner en matière d’optimisation fiscale par exemple… On comprend également mal l’intérêt de prendre des participations, en tant que puissance publique, dans une société dont l’objectif est également de détenir des participations dans plusieurs sociétés…

Et je me suis contenté de ne regarder que les plus importantes participations…

En conclusion, Monsieur le Président, nous donnons acte effectivement d’avoir eu cette discussion sur ce rapport de la CRC, et nous serons particulièrement attentifs à la prise en compte de toutes les remarques formulées par la chambre, et aussi à la façon dont vous prendrez en compte les avis émis par l’opposition.

Aussi, nous nous étonnons des réponses transmises et du contenu de la délibération relative à Normandie Participation présentée à cette séance.

Ma collègue Véronique Bérégovoy aura l’occasion de s’exprimer à ce sujet.

Je vous remercie.