Assemblée plénière
Lundi 20 juin 2022
Intervention de Bastien Recher relatif au compte administratif 2021 du budget Principal de la Région Normandie
Monsieur le Président,
Madame la Vice-Présidente,
Cher.e.s collègues,
Je souhaiterais commencer mon intervention en remerciant les services de la Région et notamment la direction des finances pour la qualité des documents produits et la pédagogie dont ils font preuve lors des présentations.
Je souhaiterais remercier mes collègues de la commission des finances, dont le rapporteur Serge Tougard. Les désaccords n’empêchent pas les échanges respectueux et c’est bien ce que l’on attend d’une institution comme la nôtre.
En revanche, je déplore le fait que le quorum n’ait pu être atteint et que donc commission des finances n’ait donc pu rendre d’avis sur deux documents budgétaires majeurs : le compte administratif et le budget supplémentaire.
On ne peut pas dire que l’activité des commissions thématiques de façon générale soit trépidante, elles ne traitent pas par exemple des projets de CP contrairement aux autres régions, mais il pourrait être opportun, que la commission des finances puisse être honorée de votre présence, monsieur le président.
Pour revenir au compte administratif, je commencerai par rappeler que l’’an dernier, j’avais déploré la soumission aux dogmes libéraux qui s’incarne dans votre stratégie financière : la crise n’aura rien changé, vous continuez, et vous êtes le seul parmi les présidents de Région à persister à ce point, dans cette voie de l’austérité.
I. Un compte administratif de sortie de crises et de recul de l’investissement
I.1. L’année 2021 est effectivement une année de retour progressif à la normale
Le coût total net de la crise covid passe de 128,3 M à 45,7 M.
Globalement, les recettes fiscales remontent significativement sans toutefois atteindre les niveaux de 2019.
- La situation s’améliore donc et pourrait justifier un changement de stratégie.
I.2. La structure des dépenses régionales de fonctionnement est de plus en plus déséquilibrée
Les dépenses régionales de fonctionnement augmentent de 65 M pour atteindre 1,22 MM, quand les recettes de fonctionnement augmentent de 114 M pour atteindre 1,51 MM.
Cet écart ou inadéquation entre le niveau de recettes et le niveau de dépenses s’observe même pour les dispositifs nouveaux.
Ainsi pour la mise en œuvre du PRIC, on constate 30 M de recettes mais 23 M de dépenses.
Pourquoi ? pour faire des économies ?
Ce sont ainsi 288 M d’épargne brute qui sont dégagés sur la section de fonctionnement.
I.3. Une chute de l’investissement qui s’explique par la fin du PPI ferroviaire… et par la volonté de ne pas mener de politiques contracycliques en temps de crise
Certes, la baisse des dépenses de 222,6 M, fonctionnement et investissement, est conforme à la trajectoire du PPI ferroviaire.
La chute des dépenses d’investissement de 900 M à 612 M, 552 M en réalité, était effectivement prévisible.
Mais on peut s’étonner malgré tout de voir que lorsqu’une trajectoire d’investissement soutenable s’arrête, elle n’est remplacée par une autre stratégie de dépenses d’avenir.
Vous pensez sérieusement Monsieur Morin que la Normandie n’aurait pas besoin d’un nouveau plan massif d’investissement dans le transport ferré qui pourrait permettre de rouvrir de petites lignes par exemple ou d’améliorer la qualité de desserte ?
Mais on pourrait aussi imaginer des plans d’investissement dans d’autres secteurs, notamment l’environnement, par exemple pour les territoires littoraux ?
Certes les 366 M mobilisés sur les lycées sont conséquents. Mais ne pourrait-on pas imaginer un plan massif de rénovation énergétique ? en période de crise climatique et d’augmentation du coût de l’énergie ?
- Vous vous glorifiez d’avoir créé un GIEC normand.
- Encore faudrait-il l’écouter monsieur le président.
I.4. Une gestion des crédits pluriannuels qui interroge
J’avais déjà évoqué cette question lors de mon intervention sur le budget primitif 2023.
Le ratio entre les AP votés et les AP réellement engagés interroge puisque l’on atteint péniblement les 42 %, contre d’ailleurs 82 % en 2020.
Le taux d’engagement des AE est également en baisse à 64 %.
Ce qui est inquiétant ce sont également les tombées de crédits pluriannuels :
- 53 % des AE annulés concernent l’année 2021,
- 81 % des AP annulés concernent l’année 2021, pour 179,2 M
Au total, ce sont 73 % d’annulation pour l’année 2021, alors que seulement 2 % concernent des AP ou AE d’avant 2016.
Le problème n’est donc pas le stock mais ce qui semble être l’inadéquation des dispositifs.
Nous reviendrons plus longuement sur ce sujet à la fin de l’année.
II. La Région Normandie est une collectivité dont la capacité d’action est contrainte par l’obsession de la dette
II.1. La course à l’épargne brute et donc à l’économie de dépenses se poursuit
L’épargne brute est portée à 288 M et est donc encore en progression.
Tout comme l’encours de dette d’ailleurs à 629 M.
Une remarque sur la répartition de l’encours de dette. Nous souhaiterions que vous adoptiez des critères plus drastiques en matière de finance responsable. Ainsi le crédit agricole qui détient 7 % de la dette régionale est la deuxième pire banque française avec 11,5 % de ses bénéfices dans les paradis fiscaux.
Il faut que cela change.
Au final, donc, avec 189 euros par habitant, la Région Normandie est de très loin la moins endettéie de France. Plus de deux fois sous la moyenne nationale !
- C’est bien la marque d’un réel sous-investissement de la collectivité régionale en Normandie.
Je l’ai déjà exprimé ne pas avoir profité des taux extrêmement bas de ces dernières années est absurde.
Il faut se féliciter d’avoir un taux moyen de 0,49 % sur l’emprunt régional. Mais avec des OAT à 10 ans qui remontent à de 0,3 % à 1,7 %, la situation va se dégrader rapidement.
Nous pensons donc que c’est donc une faute politique majeure de ne pas avoir profité de taux d’intérêt très bas pour mener des politiques de sortie de crise et de relance ; a fortiori pour la région la moins endettée de France.
II.2. L’austérité comme cap, les difficultés pour horizon
Cette stratégie pourrait s’entendre pour une région extrêmement dynamique et sans difficultés particulières.
Mais il se trouve que la Normandie est la 2e région bénéficiaire de la péréquation financière entre les régions après les Hauts de France…
Ne croyez-vous pas monsieur le président, qu’être à ce niveau dans le classement des régions, et en même temps se satisfaire d’être la région la moins endettée tient pour le moins du paradoxe ?
III. Pour terminer ce CA, montre que vos orientations stratégiques sont à rebours des enjeux de transitions
III.1. Un budget d’inaction climatique voire de dépenses écocides
Le budget de l’inaction climatique est assez simple à faire, il suffit de compiler différentes lignes budgétaires :
- OS3, mission « moderniser et améliorer les infrastructures ferroviaires » : 26,1 M en baisse de 7,2 M ;
- OS3, mission « favoriser l’intermodalité et les nouveaux modes de déplacement » : 2,4 M en baisse de 0,8 M ;
- OS1, mission « faire de la Normandie la région de toutes les énergies », 24,4 M en hausse de 3,5 M ;
- OS4, mission « Offrir un cadre de vie et un environnement de qualité », 8,7 M en baisse de 0,2 M
Soit 61,6 M de dépenses directes (et encore) en direction de l’environnement mais en diminution de 4,7 M.
- En pourcentage des dépenses totales on est à 3,3 %…
- Non seulement le volume est évidemment trop faible pour avoir un impact réel, mais en plus la tendance est à la baisse…
Vous me répondrez, si vous daignez répondre… que j’ai oublié des lignes.
Je vous répondrai alors que j’ai déjà demandé un jaune budgétaire « environnement » pour compiler toutes les dépenses régionales dans ce secteur, mais que vous n’avez évidemment pas répondu à cette demande.
Le budget des actions écocides est plus compliqué à consolider :
L’écocide se définit comme la destruction d’un écosystème, notamment par l’exploitation excessive de celui-ci dans le but de subvenir à d’autres processus ou systèmes.
Certaines dépenses de notre collectivité relèvent directement de cette définition.
Il est difficile de mesurer précisément les dépenses qui conduisent à de l’artificialisation même si une bonne partie de la mission « Aménager et assurer la compétitivité des territoires », soit 72,5 M, consiste à financer des projets en extension.
Plus clairement :
- 12,7 M ont été utilisés pour les routes en 2021.
- 6,6 M pour les aéroports, en hausse 2,5 M
- Soit de près de 92 M d’argent public dépensé à l’encontre directement de l’urgence écologique.
On pourrait également considérer qu’une partie de l’investissement faible dans les ENR, ne va pas dans le bon sens, puisqu’on le voit en commission permanente vous ne finissez par ne plus financer que de la méthanisation.
III.2. Du gaspillage d’argent public du fait de dépenses non nécessaires et un sous-investissement récurrent dans les dépenses d’avenir
Parmi les dépenses qui interrogent, au regard de l’intérêt général régional, on trouve par exemple le financement d’établissements privés du supérieur.
Citons ainsi, pour 2021, les 20,45 M d’AP pour l’Institut Supérieur de l’Electronique et du Numérique à Caen
Le financement des lycées privés interroge également. Nous constatons ainsi que, dans le cadre de la mission 1 de l’OS 2, 52,2 M d’AE ont été dédiés aux 156 lycées publics normands, quand 23,3 M revenait aux 64 lycées privés de la Région.
A l’inverse les dépenses en matière d’ESS ne sont pas cités avant longtemps dans le rapport. Et pour cause, elles ne représentent que 2,4 M, en baisse de 100 000 euros !
Alors que l’ESS représente 15 % de l’emploi salarié total, elle ne bénéficie que de 1 % des dépenses totales de la région en matière de développement économique (195,68 M).
- En comparaison, dans le même OS1, le programme « promouvoir les haras » est porté en 2021 à 3,4 M avec une hausse de 2,8 M !
III.3. Une trajectoire de l’emploi au sein des services de la Région qui interroge
On l’a vu, le taux de tombée des AE et AP sur une même année interroge quant à la pertinence des dispositifs en place.
Cette tendance pourrait encore s’accentuer du fait de votre politique en matière de ressources humaines.
Nous nous inquiétons de constater le recours accru aux contrats de projet :
- 14 en 2020
- 66 en 2021 pour un coût total de près de 2,6 M
Ces contrats précaires ne nous semblent pas en mesure de conforter l’action de la région.
Nous demandons donc un moratoire sur cette pratique afin de dresser un bilan de l’utilisation massive de ce dispositif.
Conclusion :
Le cadre politique et budgétaire que vous avez construit réussit l’exploit de combiner :
- Austérité
- Inaction climatique
- Soutien à des logiques et des projets écocides
Avec vous, on a l’impression que le dérèglement climatique n’existe pas, que l’urgence à préparer notre région littorale à la montée des eaux n’est pas la vôtre…
On pourrait décliner à l’infini quand on regarde la structure des dépenses de la collectivité régionale.
Nous nous étions abstenus l’année dernière sur le CA 2020 car nous venions d’être élus et que nous avions considéré ne pas avoir de mandat pour juger de vos actions de la mandature précédente.
Dans un esprit de responsabilité et pour montrer notre volonté d’être une opposition constructive, nous vous avions cependant présenté quelques amendements au BS 2021 qui auraient pu permettre de corriger un peu le bilan de l’année 2021.
Nous avions proposé ainsi :
- De critériser les subventions aux collectivités à la lutte contre l’artificialisation ;
- D’amplifier les actions de rénovation énergétique en abondant le plan Normandie bâtiments durables ;
- De mettre en œuvre la gratuité des transports régionaux pour les moins de 26 ans.
Rien de révolutionnaire et un coût net pour la collectivité de seulement 15 M.
Vous avez fait le choix de ne pas le faire alors que l’actualité nous donne raison chaque jour, et encore ce weekend.
Nous voterons donc contre ce compte administratif qui je le redis est celui de l’austérité et de l’inaction climatique et nous proposerons des amendements au BS pour réorienter enfin les actions de la Région.
Je vous remercie.