Assemblée plénière – Lundi 20 juin 2022 – Intervention de Rudy L’Orphelin – Présentation de l’étude « Futurs énergétiques 2050 » (RTE)

Assemblée plénière

Lundi 20 juin 2022

Intervention de Rudy L’Orphelin suite à la présentation de l’étude « Futurs énergétiques 2050 » par Nathalie Lemaître, Déléguée régionale Ile-de-France et Normandie de Réseau de Transport d’Electricité (RTE)

Madame Lemaître, je tiens tout d’abord à vous remercier pour cette présentation et pour cet exercice permettant de décliner, à l’échelle normande, les scénarii relatifs à notre avenir énergétique régional.

Il faut le souligner, l’étude conduite par RTE au plan national en la matière a le mérite, pour une fois, de n’écarter aucune des hypothèses, y compris celle d’un scénario 100 % sobriété – efficacité – énergies renouvelables.

Tant le contexte géopolitique international que les efforts à consentir pour diminuer drastiquement les émissions de gaz à effet se serre impliquent que les citoyen.ne.s puissent démocratiquement décider de leur devenir énergétique de manière éclairée et sur des bases pleinement objectives.

Il faut relier la publication de ce rapport aux annonces qui ont suivi et de ce qui était appelé à l’instant « la tendance nationale » : la sortie des énergies fossiles associée au développement technologique aboutit à une augmentation croissante de la demande en électricité. Pour y répondre, vous suggérez un triptyque : efficacité énergétique / renouvelables / nucléaire.

1/ Le scénario 100% renouvelables ne serait pas envisageable eu égard aux intermittences générées par ces technologies, lesquelles ne seraient pas en mesure, à elles seules, de sécuriser l’approvisionnement énergétique du pays.

Pour autant, le nucléaire n’est-il pas lui aussi intermittent ? En France, près d’un réacteur sur deux est actuellement l’arrêt[1]. Les raisons sont multiples et vont de la visite de sécurité décennale aux opérations de maintenance en passant par des problèmes de sûreté (12 réacteurs seraient concernés par des défauts de corrosion[2]). Avec un parc vieillissant d’un côté et les effets induits du dérèglement climatique de l’autre, ces mises à l’arrêt[3] vont logiquement se multiplier.

Le nucléaire ne tourne jamais à pleine puissance et n’offre donc pas la sécurité énergétique prétendue (Ainsi au mois d’avril, nous étions à 30 GW sur les 61,4 GW de puissance installée) ; et la situation en la matière ne fait que de se dégrader. Dès lors et au regard des angles morts d’une telle technologie (gestion des accidents majeurs, dangerosité des déchets…), pourquoi ne pas explorer plus avant un scénario qui pourrait allier sécurisation de l’approvisionnement énergétique et sécurité des populations ? Soit un scénario de sobriété énergétique, de développement massif des énergies renouvelables à lier avec les technologies de stockage que le développement de l’hydrogène (vert) est à même de nous offrir.

N’oublions jamais que pour l’heure, le nucléaire ne représente que 10% de la production d’électricité mondiale, 2% de la consommation d’énergie finale et de ne permet d’éviter que 2,5% des émissions de gaz à effet de serre.

2/ Maintenir un niveau élevé de nucléaire dans le bouquet énergétique serait la seule option pour respecter les accords de Paris

Pour respecter nos engagements climatiques et selon le GIEC, l’échéance est à 10 ans. En matière nucléaire, les technologies existantes sont d’une part l’EPR et de l’autre le SMR. Inutile de revenir sur le SMR qui est aujourd’hui à l’état de concept. Quant à l’EPR, technologie « révolutionnaire » des années 90, il est surtout l’illustration d’une débâcle industrielle.

  • En Finlande, à Olkiluoto, un nouveau décalage vient d’être annoncé après 12 ans de retard. La mise en service normale, déjà repoussée de fin juillet à septembre est désormais prévue pour décembre 2022. On se dirige vers les 13 ans de retard. Ce réacteur tournera-t-il un jour à pleine puissance ? nul ne le sait.
  • En Chine à Taischan, sur les 2 seuls EPR mis en service dans le monde, l’un d’entre eux est à l’arrêt depuis juillet 2021 du fait d’un « incident technique ».
  • En Grande-Bretagne à Hinkley Point, un deuxième report vient d’être annoncé pour début de production d’électricité programmé en 2027 et un coût qui devrait avoisiner les 30 milliards d’euros.
  • Enfin, en France, je ne reviens pas sur les déboires de l’EPR de Flamanville que nous connaissons si bien. Annoncé pour 3,3 milliards, il en coûterait aujourd’hui 12,7 milliards selon EDF (près de 20 milliards selon la cour des comptes). Sa mise en service, maintes fois reportée, est désormais annoncée pour le deuxième semestre 2023. EDF se dit « confiant » tout en reconnaissant que « les marges sont faibles ». On est habitué. C’est la méthode coué que pratique EDF depuis le début des déboires sur ce chantier. Dès lors, comment accorder la moindre crédibilité à ce nouveau calendrier ?

Vous l’aurez compris, pour faire face à la crise climatique, et même à reconnaitre que le nucléaire est une énergie décarbonée, rien de tout ceci n’est vraiment sérieux. Ces exemples démontrent à l’envi que l’industrie nucléaire n’est pas opérationnelle eu égard aux échéances qui sont les nôtres pour surmonter la crise climatique. Les immenses défis qui sont face à nous et que l’actualité, y compris ici en Normandie, nous rappelle chaque jour exigent des solutions à mettre en œuvre immédiatement. Les coûts qu’elles vont occasionner sont déjà suffisamment impressionnants pour ne pas en rajouter avec des technologies dispendieuses, le tout pour produire à peu près 0kw/h d’électricité.

3/ Dérèglement climatique, sites nucléaires

Il est impossible aujourd’hui, 20 juin 2021, de ne pas évoquer l’épisode de canicule qui traverse notre pays. Impossible car parier sur la relance du nucléaire sans poser la question de son potentiel catastrophique accru par le dérèglement climatique. Le réchauffement met aujourd’hui en évidence la vulnérabilité des centrales à l’élévation des températures. C’est ainsi que ces dernières années, les arrêts et ralentissements de production se sont multipliés pour de tels motifs (Saint-Alban, Le Bugey, Golfech, Chooz ou encore Le Blayais). Bien entendu ces situations n’ont pour l’heure pas d’autres conséquences que le ralentissement de la production électrique. Mais première alerte, ils interviennent de plus en plus tôt dans l’année ; et alors que les épisodes climatiques extrêmes se multiplient dans un monde à +1°C sans qu’ils n’aient été la plupart du temps prévus, comment les anticiper dans un scénario qui va +2°C à +4°C et à l’échelle de la durée de vie des nouvelles centrales ? Comment le parc nucléaire s’accommodera-t-il de l’élévation constante du niveau des mers, des épisodes de submersion, inondations, canicules ou autres sécheresses sévères ? Comment établir un modèle de probabilités pour sécuriser les sites dans un monde qui n’existe pas encore ?

Faut-il parler de la gestion des déchets ? Pour lesquels nous ne disposons d’aucune solution technologique éprouvée et qui va impliquer de réaliser de gigantesques sites de stockage à l’image de la piscine en projet dans le Nord-Cotentin ou de jouer les apprentis-sorciers avec l’enfouissement en grande profondeur.

Derrière un consensus apparent, la relance d’un programme électro-nucléaire soulève donc de lourdes questions qui ne peuvent être tranchées que démocratiquement. D’où l’urgence d’un véritable débat transparent au plan national et régional.

Alors oui un scénario 100% renouvelable représente lui aussi un immense défi mais ô combien plus performant sur bien des aspects. Pour la protection de l’environnement tout d’abord (le lobbying intense de la France pour faire passer le nucléaire comme énergie verte au plan européen vient de connaître un sérieux revers après le vote concordant des commissions environnement et économie au parlement européen), pour la création d’emplois et le développement local ensuite, pour la préservation des deniers publics enfin (on voit le gouffre financier que représente le développement d’un seul EPR).

Pas si loin d’ici, le parc éolien mer de Saint-Nazaire sort progressivement de l’eau avec « un mois d’avance ». Cela tranche sérieusement avec le désastre industriel en matière nucléaire. Nous ne proposons rien de révolutionnaire ici, seulement de mettre en œuvre les solutions qui fonctionnent, qui peuvent être mises en œuvre dès maintenant et écarter celles qui ne marchent pas :

  • En osant réinterroger nos besoins énergétiques pour définir une véritable stratégie de sobriété plutôt que tout miser sur le développement technologique, lequel viendrait comme par magie résoudre les dégâts qu’il a engendrés ;
  • En engageant un grand plan de transition dans le domaine des transports, du logement ou encore de l’agriculture ;
  • En développant massivement toutes les énergies renouvelables industrielles et citoyennes.

Loin des caricatures de M. Penelle et son de parti shooté au nucléaire, aux hydrocarbures et à l’industrie sucrière, nous soutenons un tel projet de transition non pas pour quelques-uns mais pour permettre à chacun, quels que soient ses revenus, quel que soit son lieu de vie, d’avoir un avenir dans ce siècle, autrement, mais pour mieux vivre.

Je vous remercie.


[1] 29 réacteurs sur les 56 présents sur le territoire national (métropole)

[2] 17 mai 2022, audition de M. Bernard Doroszczuk, président de l’ASN devant les parlementaires

[3] Les vagues de chaleur impliquent d’abaisser les puissances (exemple actuel centrale du Blayais pour respecter les limites réglementaires de température des cours d’eau