Assemblée plénière
Lundi 20 juin 2022
Intervention et amendements de Geneviève Augé relatifs à la nouvelle politique agricole régionale
Intervention :
Monsieur le Président,
Chers collègues,
Un point, d’abord, sur la chronologie des présentations des trois nouvelles politiques du volet agricole portée au vote aujourd’hui. Comme je l’ai déjà dit à la dernière assemblée plénière, et comme Laurent Beauvais l’a rappelé ce matin, le fait que les présentations aux acteurs aient lieu avant les débats et les votes du conseil régional est hautement problématique. C’est contraire au principe de démocratie représentative et c’est un profond manque de respect vis-à-vis des citoyens qui ont élu cette assemblée. Fin de la parenthèse.
La nouvelle politique agricole de la région, telle que présentée, pourrait sembler épouser certains enjeux qui se présentent à nous, mais, à y regarder de plus près, elle s’avère extrêmement lacunaire et manque d’ambition sur le peu de sujets qu’elle aborde.
Parmi les lacunes, on notera tout d’abord l’absence de dispositifs en lien avec l’agroforesterie et les aides au maintien de l’agriculture biologique, bien sûr. Mais on notera aussi une autre absence, tout à fait grave. Quid de l’éco-conditionnalité des aides ? L’aide publique, c’est-à-dire l’argent publique, donc celui du contribuable, ne devrait être investi que pour le bien commun et l’intérêt général. Alors comment peut-on élaborer un système d’aides sans y accoler un ensemble solide de conditionnalités qui assurerait que le moindre centime public soit dépensé pour, et non contre, l’intérêt toutes et tous ? Pourtant, je ne vois pas un mot, pas une ligne sur la préservation de la fertilité des sols, de la santé des riverains et des consommateurs, ou de la biodiversité. Dans les documents annexes à la nouvelle politique équine régionale, dont nous parlerons tout à l’heure, vous introduisez des critères sur le bien-être animal pour une filière équine d’excellence, avec un tableau de conditionnalité précis et élaboré avec soin au sujet des chevaux de course. Alors pourquoi ne pas en faire le maître-étalon de vos exigences, et introduire de la même manière des critères contraignants en matière d’environnement sur la politique agricole normande, qui devrait elle aussi être considérée comme une filière d’excellence ?
Des enjeux majeurs se posent à nous en termes de souveraineté alimentaire, de fertilité des sols, de renouvellement des génération, d’anticipation et d’adaptation au dérèglement climatique, et de santé publique. Les dispositifs portés au vote aujourd’hui auraient mérité des critères stricts d’attribution. En demandant, par exemple, un engagement de la part des demandeurs de présenter des objectifs en matière de vie du sol, de réduction des produits phytosanitaires, de commercialisation locale, ou encore de réduction du soja d’importation dans les rations. Je vous le demande donc, Monsieur le Président, Madame la Vice-présidente chargée de l’agriculture : les chevaux de courses ont-ils plus de valeur à vos yeux que la santé de nos concitoyens et que l’avenir agricole de notre région ?
Par ailleurs, je l’ai dit, certains dispositifs sont heureux mais manque d’ambition. Près d’un agriculteur sur deux prendra sa retraite d’ici la fin de la mandature. Il y a donc urgence à agir pour le renouvellement des générations. Alors pourquoi vos objectifs d’aides à l’installation sont-ils en-dessous de la moitié du chiffre nécessaire ? Et pourquoi ne prévoyez-vous pas des dispositifs pour mettre en avant les métiers de l’agriculture auprès des publics scolaires ? Vous proposez des aides pour les apiculteurs, et c’est une bonne chose. Mais pourquoi excluez-vous une vaste part de la profession en exigeant un si grand nombre de ruche dans les critères d’éligibilité ?
Il y a également un manque de cohérence manifeste. En restant sur le thème de l’apiculture, je tiens à rappeler que, Monsieur le Président, vous avez demandé et revendiqué l’an passé la réintroduction des néonicotinoïdes tueurs d’abeilles sur la betterave, et vous avez obtenu gain de cause. Dois-je rappeler l’effet que de tels intrants ont sur les abeilles ? Soutenir l’apiculture est assurément une bonne mesure, mais il faudrait veiller à aller au bout des choses.
Je me permets aussi de remettre en cause votre stratégie pour ce qui est de créer de la valeur ajoutée en agriculture. Vous parlez de « se différencier sur les marchés mondialisés », invoquez dans les forces de la Normandie la « proximité du bassin parisien » et son « attractivité touristique » comme les principales opportunités des exploitants. A l’heure où l’actualité nous rappelle la fragilité des marchés mondialisés et où l’organisation d’une souveraineté alimentaire devrait être notre priorité, n’était-il pas léger de tout miser sur les exportations et les produits touristiques ? Ne serait-il pas plus ingénieux d’encourager un recentrement sur une agriculture nourricière locale ?
Enfin, cette politique se mouille peu en termes d’innovation, et c’est dommage. Expérimenter des solutions nouvelles aux enjeux de notre temps est, d’après moi, du devoir des territoires. Dans cette visée, est-ce que notre nouvelle politique agricole n’aurait pas été le bon cadre pour tester une mesure telle que, au hasard, la sécurité sociale de l’alimentation ? Mais non, la seule innovation – regrettable – que j’ai trouvé dans cette nouvelle politique se situe en page dix-huit du document de communication. On y voit, juste en-dessous des mots « les salariés de demain », un robot maraîcher. C’est moderne, je vous l’accorde, mais c’est d’un cynisme agressif et à contre-courant de tout ce qui serait souhaitable. Ce qui serait souhaitable, c’est d’innover notamment en matière l’adaptation au dérèglement climatique. Nous sortons tout juste d’une semaine de canicule alors que nous ne sommes qu’en juin. Tous les records de températures ont été battus, jusque sur nos terres normandes. Le réchauffement est là, personne ne peut plus le nier. Les cultures ont souffert, et les agriculteurs avec elles, sans parler des conséquences que cela va avoir sur la production. Notre système agricole est déjà obsolète dans un monde à +1,2°C, alors il est plus qu’urgent de se saisir du problème et d’y chercher des réponses.
Nous avons besoin d’une agriculture nourricière, locale, respectueuse de l’environnement et de la santé. Nous avons besoin d’emplois, de résilience et de solutions aux crises présentes et futures. Et votre politique ne répond en rien à cela.
Je vous remercie.
Amendements :
Amendement n°22 déposé par Geneviève Augé, Rudy L’Orphelin et Laetitia Sanchez :
Dans l’annexe 1, à la page 8 :
Remplacer les mots :
« Installer 450 agriculteurs par an en Normandie
(+ 50 % par rapport aux objectifs de la période 2014-2020)
→ 300 prestations de conseil/an mobilisées pour préparer une installation ou une transmission
→ 50 stagiaires/an rémunérés pendant leur parrainage ou leur test agricole »
Par les mots :
« Installer 700 agriculteurs par an en Normandie
(+ 133 % par rapport aux objectifs de la période 2014-2020)
→ 300 prestations de conseil/an mobilisées pour préparer une installation ou une transmission
→ 100 stagiaires/an rémunérés pendant leur parrainage ou leur test agricole »
Exposé sommaire :
Cet amendement vise à augmenter le nombre d’installations au cours de la période 2023-2027.
Des objectifs plus ambitieux en matière de renouvellement s’imposent au regard de la situation et nécessitent de mobiliser des moyens bien plus importants : 10 500 agriculteurs normands ont aujourd’hui plus de 60 ans et se préparent à partir en retraite avant 2028. L’objectif d’installer 450 agriculteurs.rices/an représente moins du quart de ce qui serait nécessaire. Un effort exceptionnel doit donc être fait par la Région pour s’assurer d’un renouvellement des générations dans les 6 ans à venir. Cela pose un défi en termes de souveraineté alimentaire. L’enjeu étant de continuer à pouvoir nourrir notre population, qui nécessite de faire de l’agriculture nourricière une priorité absolue.
Amendement n°23 déposé par Geneviève Augé, Rudy L’Orphelin et Laetitia Sanchez :
Modifier ainsi l’annexe 2 « Normandie Démarrage Installation » :
I. – Dans la partie « Bénéficiaires de l’aide », retirer les mots :
« et dans la filière équine »
II. – Dans la sous-partie « Critères d’éligibilité », retirer les mots :
« ou d’un diplôme de niveau 4 ou plus en lien avec le cheval et l’activité développée dans le cadre d’une installation dans la filière équine (BPJEPS…) »
« (ou de la filière équine dans le cadre d’une installation dans la filière équine) » à chaque répétition.
« ou dans une entreprise de la filière équine »
Exposé sommaire :
Des objectifs ambitieux en matière de renouvellement s’imposent au regard de la situation et nécessitent de mobiliser des moyens bien plus importants : 10 500 agriculteurs normands ont aujourd’hui plus de 60 ans et se préparent à partir en retraite avant 2028. Un effort exceptionnel doit donc être fait par la Région pour s’assurer d’un renouvellement des générations dans les 6 ans à venir. Cela pose un défi en termes de souveraineté alimentaire. L’enjeu étant de continuer à pouvoir nourrir notre population, qui nécessite de faire de l’agriculture nourricière une priorité absolue. Dans ce contexte, encourager l’installation d’activités non nourricières telles que l’élevage équin, en mobilisant des fonds destinés à l’installation, va à l’encontre des objectifs et des enjeux actuels et futurs en matière agricole et alimentaire.
Amendement n°24 déposé par Geneviève Augé, Rudy L’Orphelin et Laetitia Sanchez :
I. – À l’annexe 6 « Normandie Agriculture Investissement », dans la partie « Projets, dépenses éligibles/dépenses inéligibles », retirer les mots :
« les matériels et équipement d’occasion dans le cadre d’une transaction avec un revendeur professionnel »
II. – À l’annexe 12 « Normandie Entreprises Industries Volet Agro – Industries Agro et Industries de Valorisation du bois », dans la partie « Projets, dépenses éligibles/dépenses inéligibles » :
1.- Retirer les mots « neufs » dans la liste des dépenses éligibles ;
2.- Dans la liste des dépenses inéligibles, retirer les mots :
«
– l’auto-construction ;
– les matériels et équipements d’occasion, »
III.- À l’annexe 18 « Normandie Entreprises Volet Prestations de services : ETF, ETS, ETA », dans la partie « Projets, dépenses éligibles/dépenses inéligibles », retirer les mots :
« Les matériels d’occasion et l’autoréalisation,
Exposé sommaire :
Cet amendement vise à supprimer l’obligation d’investissement dans des matériels et équipements neufs et à rendre éligibles au dispositif les achats permettant l’auto-construction.
Les enjeux environnementaux nous invitent à la sobriété et devraient nous encourager au réemploi. Par ailleurs, la crise des matériaux, conséquence de la pandémie et de la guerre en Ukraine, rend difficile et couteux, voire impossible, l’approvisionnement neuf de certaines matières et de certains produits.
Rendre éligible les achats destinés à l’auto-construction va également dans ce sens. De plus, elle est souvent pratiquée par des petits exploitants disposant de peu de moyens pour assurer leur activité. Ne pas restreindre le financement de ces petites exploitations favorise la création d’emplois et participe activement à la souveraineté alimentaire de nos territoires.
Amendement n°25 déposé par Geneviève Augé, Rudy L’Orphelin et Laetitia Sanchez :
À l’annexe 13 « MAEC API (Amélioration du potentiel pollinisateur des abeilles) », dans la partie « Critères d’éligibilité » :
Rédiger ainsi après les mots « Le bénéficiaire s’engage à : » :
« – Tenir un registre d’élevage
– Engager un nombre minimal de 50 colonies
– Engager un nombre minimal de 2 emplacements
– Avoir un emplacement supplémentaire par tranche de 25 colonies (2 emplacements entre 50 et 74 colonies, 3 emplacements entre 75 et 99 colonies, etc.)
– Respecter un nombre minimal de 10 colonies par emplacement
– Respecter un temps minimum de présence des colonies de 3 semaines par emplacement.
Exposé sommaire :
Cet amendement vise à abaisser le nombre minimum de ruches permettant l’éligibilité des apiculteurs au dispositif.
On considère qu’une apiculture est familiale jusqu’à 49 ruches, pluri-active de 50 à 149, et professionnelle au-delà de 150. La majorité des apiculteurs correspondent au profil « pluri-actif », pratiquant l’apiculture comme une activité seconde, souvent en complément d’une autre activité agricole. Abaisser le seuil d’éligibilité à 50 colonies permettrait de rendre le dispositif accessible à l’ensemble des acteurs professionnels, en l’adaptant avec la réalité du métier d’apiculteur. Cela permettrait en outre à certains « poli-actifs » de développer leur activité et donc de tendre vers un profil « professionnel ».