Madame la présidente de séance,
Cher.e.s collègues,
Vous nous présentez ce jour ce qui est en réalité votre bilan 2024, et le quatrième bilan de cette très longue mandature. Nous en aurons encore 3 avant les prochaines élections régionales de 2028.
Autant dire que ce bilan est votre bilan de mi-mandat et qu’il présente la réalité des politiques que vous menez qu’il s’agisse des trajectoires budgétaires globales ou bien de leurs déclinaisons en politiques opérationnelles.
Je ne surprendrai personne en exprimant, au nom de mon groupe, la profonde insatisfaction que nous ressentons à la lecture de ce bilan et c’est ce que je développerai dans les points suivants.
Pourtant, avec 2,33 Mds de recettes, emprunt compris, 1,33 Mds de dépenses de fonctionnement, 916 M de dépenses d’investissement : ce CFU 2024, démontre une nouvelle fois l’importance capitale de notre collectivité et par conséquent son rôle primordial auprès des territoires et des familles de Normandie.
La question est bien qu’avez-vous fait de cette capacité à agir ?
I. Premier constat pour ce bilan : la collectivité régionale pâtit d’une gestion à la fois dogmatique et erratique sous la présidence d’Hervé Morin
I.1. Tout d’abord, le budget 2024 marque un retour à la normale dont vous n’avez pas profité.
Après un budget 2023 marqué par la baisse des recettes et une hausse des dépenses, exceptionnelles du fait des différentes crises, notamment énergétiques, le BP 2024 a été conçu, de façon prudentielle, et c’est évidemment une bonne chose, en intégrant les mêmes contraintes. Les délibérations budgétaires de l’année 2024 aurait cependant dû vous conduire à adapter l’exécution de ce budget.
Ainsi, d’une part vous auriez pu prévoir la hausse des recettes avec la mesure prise sur les cartes grises,
et d’autre part, vous auriez pu profiter de ces recettes pour ajuster vos dépenses, soit en revenant sur des coupes déjà prévues dans le BP 2024, 62 M de baisse de dépenses de fonctionnement tout de même, soit, soyons fous, par de nouvelles dépenses utiles pour les Normands.
Pour le dire autrement, vous auriez pu anticiper cette hausse de recettes. Mais la logique qui a prévalu, comme toujours, c’est bien celle de l’austérité, et donc les 56 M de recettes complémentaires ont été affectées à l’épargne brute,
- encore une fois plutôt que de renoncer à des coupes dans vos dépenses, vous avez voulu simplement prendre une mesure d’économie.
Par ailleurs, le niveau record d’investissement est encore une fois purement conjoncturel avec les 213 M d’achats de rames.
Je reviendrai plus loin sur la trajectoire d’investissement, mais force est de constater que le tour de passe-passe comptable des achats de rames masque mal le sous-investissement chronique de votre majorité que l’on peut très facilement constater à la lecture de 2 indicateurs :
- Le niveau d’endettement de notre Région qui reste le plus faible des régions françaises,
- Et les variations annuelles des dépenses d’investissement hors dette, rappelons-le :
- 562 M en 2022,
- 850 M en 2023,
- 916 M en 2024,
- 710 M en 2025 après le BS.
La réalité, et on le voit très bien sur le graphique page 56, la dépense moyenne se situe autour de 700 M.
A l’occasion de la présentation de ce CFU 2024, vous vous prévalez donc d’un niveau d’investissement purement conjoncturel.
I.2. Ce qui frappe ensuite, surtout pour une majorité qui se veut centriste, c’est la soumission aux dogmes libéraux.
Les conséquences de cette logique austéritaire sont malheureusement assez simple :
- Vous n’utilisez pas votre capacité à agir en matière de dépenses de fonctionnement pour jouer le rôle qui devrait être celui d’une grande collectivité comme la nôtre, celui d’amortisseur social :
Nous vous avons proposé des mesures à destination des familles, mais aussi des mesures pour limiter l’impact de la crise économique et des licenciements dans notre région, et à chaque fois, par sectarisme, vous avez refusé nos amendements.
Pourtant, vous pouvez agir sur les cantines, les aides sociales aux lycéens, les transports scolaires, les transports pour les jeunes…
Mais vous ne le faites pas, pour faire des économies : alors que les recettes de fonctionnement augmentent chaque année, vous vous servez de cette hausse pour augmenter l’épargne brute.
Sur l’idéologie et disons-le sectarisme, permettez-moi d’illustrer plus avant mon propos en revenant sur deux exemples récents :
- Premier exemple, dès 2023, nous vous avons proposé de relever la taxe sur les cartes grises, et de faire ainsi, ce que faisait certains de vos collègues de droite. Vous avez refusé nos amendements pour finalement mettre en place la mesure l’année suivante. Résultat : vous avez fait perdre 40 M à la Région, juste par refus de prendre en compte notre amendement.
- Autre exemple, la nécessité de renforcer le fret ferroviaire dans notre région. Là encore, nous vous avons proposé des amendements budgétaires pour construire un dispositif de soutien aux ITE. Vous vous êtes contentés d’écarter, plus ou moins poliment, notre proposition pour finalement la reprendre dans une délibération dédiée lors de cette séance.
Soyez pragmatiques pour la suite de la mandature ! Nous allons continuer à vous proposer des mesures de bon sens. Saisissez-les !
I.3. L’analyse globale du CFU montre également une trajectoire d’investissement qui réussit l’exploit d’être à la fois erratique et sous-contrainte.
Vous avez hypothéqué l’avenir de notre Région deux fois :
- Une première fois en refusant d’investir de façon planifiée, dès le début de votre premier mandat, quand les circonstances étaient les plus favorables, avec des taux d’intérêt attractif pour emprunter et pour conduire les politiques de transition ;
- Une deuxième fois en maintenant des financements qui vont à l’encontre des transitions et en supprimant des dépenses utiles en faveur de la rénovation thermique ou des ENR.
La Normandie est à la fois la moins endettée de France, ce qui prouve le sous-investissement ;
Mais c’est aussi la Région dont l’encours de dette a augmenté le plus rapidement et le plus spectaculairement même hors Île-de-France :
- +380 M en Normandie,
- contre + 120 M en Pays de la Loire, 112 M en Bretagne et 35 M en Centre-Val de Loire…
- de 10 à + de 3 fois que des Régions avec une population équivalente !
C’est bien la preuve que cette trajectoire n’est ni soutenable, ni planifiée.
En fait, il faut regarder les crédits pluriannuels pour comprendre ce qui se passe et ce qui va se passer, la réalité c’est que vous avez décidé d’un effondrement massif des dépenses d’investissement, à l’heure encore une fois, où elles seraient le plus utile :
- Les AP votées en 2024 s’élèvent à 574,8 M, et encore avec 70 M pour le projet Archade,
- contre 1 173,7 M en 2023 avec certes 360 M de contrats de territoire (montant corrigé depuis).
Je l’ai déjà dit mais je le répète, ce que vous faites c’est de reporter sur vos successeurs des dépenses d’investissement qui devraient être faite maintenant, et en faisant cela vous démontrez votre mauvaise gestion des deniers publics, puisque ces dépenses, notamment les dépenses d’adaptation, sont d’autant plus chères qu’on les repousse.
La cure d’austérité décidée et à venir est aussi visible dans les crédits pluriannuels de fonctionnement :
- 1 446,6 M en 2023,
- 728 M en 2024, une fois enlevé les crédits dédiés à l’ouverture à la concurrence.
Enfin, la différence entre le total des AP/AE votées et le montant des AP/AE réellement affectées interroge :
- 4,28 Mds pour les premières,
- 3,23 Mds pour les secondes.
Soit 1 Mds d’euros de pur affichage…
On ne sait pas bien où vous allez, mais vous y allez…
II. Ce qui est grave, c’est que vous engagez durablement notre collectivité dans une trajectoire néfaste qu’une mandature progressiste ne suffira pas à corriger
II. Les dépenses de fonctionnement 2024 interrogent et mériteraient une présentation plus transparente.
Il s’agirait notamment de présenter clairement les dépenses cumulées pour soutenir le programme 3NC.
Vous vous étiez engagé à produire des éléments de synthèse à ce sujet. Nous les attendons toujours.
- Nous renouvelons notre demande de jaune budgétaire « nucléaire » afin d’établir la transparence sur le soutien de la région à cette filière.
La même transparence devrait s’appliquer aux 15 M d’AE prévues pour le millénaire de Guillaume, qui sera célébré opportunément quelques mois avant la prochaine élection régionale.
15 M, c’est plus que la gratuité des transports régionaux pour les moins de 26 ans… chacun ses choix !
II.2. Les dépenses d’investissement 2024, elles hypothèquent l’avenir de notre territoire.
Les dépenses climaticides sont confortées en 2024, il suffit pour cela de mettre des chiffres marquants côte à côte :
- 40 M pour les routes avec + 19 M par rapport à 2023,
- 155 M pour les lycées en baisse de 50 M, dont 7,9 M pour l’optimisation de la performance énergétique soit une baisse de 3,7 M,
- 16 M pour les dépenses en faveur de l’énergie et de la rénovation thermique : soit une baisse de 29,9 M !
Pour ce qui concerne les autorisations de programme, la tendance est la même :
- 20,27 M pour la rénovation des lycées, soit, avouez-le, l’abandon d’un PPI rénovation énergétique pour les lycées normands,
- 6,79 M pour le réaménagement des gares et des infrastructures ferroviaires, soit une détérioration programmée des conditions de circulation des trains en Normandie.
C’est bien un nouveau choc de sous-investissement, et particulièrement ciblé sur les dépenses d’avenir, que vous êtes en train de programmer.
III. Pourtant les leviers pour rebondir existent
Pourtant, je voudrai terminer par une note plus positive :
- saluer le volontarisme de la Région sur le budget vert,
- et saluer le travail des services sur le projet.
Et pour le coup, on a là un vrai exercice de transparence, avec notamment une liste non-exhaustive de projets défavorables pour l’environnement, que je vous invite à aller consulter.
On nous reproche souvent de voter contre des projets défendus par des élus locaux normands en commission permanente, vous comprendrez mieux pourquoi à la lecture de cette partie du CFU.
Permettez-moi cependant, de vous mettre en garde contre des écueils que vous pourriez rencontrer avec cette démarche :
- Premier écueil : il faudrait renforcer encore l’objectivité de la présentation des résultats globaux que l’on trouve page 379.
Effectivement, à l’issue d’une première lecture, on pourrait se pourrait se dire 9,2 % de dépenses d’investissement défavorables pour l’environnement, seulement, c’est pas mal quand même.
Alors que Recher nous fait un portrait apocalyptique des choses à chaque séance budgétaire, c’est bien la preuve qu’il ne faut pas écouter les écolos…
Sauf que 9,2 % c’est avec la prise en compte de 37,5 % de dépenses qui n’ont pu être classées ou analysées, pour un total de 373,2 M, une paille dans l’analyse…
Et en plus c’est en prenant compte dans les 328 M de dépenses « très favorables », 213 M d’achats de rame, une dépense ponctuelle, dont j’ai déjà suffisamment parlé.
Quand on refait le calcul en enlevant les dépenses inclassables et les dépenses exclusivement ponctuelles, on arrive à une autre histoire.
Si on porte l’analyse sur les 390 M de dépenses restantes correspondant donc à 100 %, on arrive à
- 29,5 % de dépenses « très favorables » soit 115 M,
- 20,5 % de dépenses « favorables », soit 80 M,
- 26,6 % de dépenses « neutres », soit 104 M,
- 23,3 % de dépenses « défavorables », soit 91.
En résumé :
- seule la moitié des dépenses d’investissement de la Région sont favorables par rapport aux objectifs environnementaux,
- 26,6 % n’ont aucun impact favorable et constituent donc des dépenses détournées de la transition,
- et pire, 23,3 % des dépenses sont directement en contradiction avec ces objectifs et font régresser notre Région.
- Deuxième écueil pour cette démarche, c’est la capacité et la volonté de passer de l’analyse à sa déclinaison performative.
Attention à ne pas faire un nouveau « GIEC normand » qui produit des recommandations sans aucun effet ou presque.
Il faudrait ensuite effectivement que cette taxonomie devienne un instrument de choix politiques et disons-le de construction de politiques.
Parce que si c’est pour faire un bilan de 20 pages après 400 pages de CFU que personne ou presque n’aura lu, cela ne servira pas à grand-chose…
Pour conclure, ce bilan de mi-mandat nous inquiète, car il se caractérise en résumé de la façon suivante :
- Austérité en matière de fonctionnement qui se traduit par des coupes actuelles dans les dépenses de fonctionnement et par le refus d’agir pour les familles normandes,
- Choc de sous-investissement à peine masqué devant nous, combiné à l’impasse du détournement des crédits régionaux en faveur du nucléaire.
Nous vous en appelons donc à écouter un peu plus votre opposition.
Je vous remercie.