Assemblée plénière – lundi 24 juin – Discours de politique générale de Laetitia Sanchez

Assemblée Plénière

Lundi 24 juin 2024

Discours de politique générale de Laetitia Sanchez

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Conseillers régionaux,

Le 6 juin dernier, nous commémorions le 80ème anniversaire du Débarquement de Normandie, qui allait mettre fin à l’Occupation nazie, à l’extermination des juifs, à la déportation des communistes, des tziganes, des handicapés, des homosexuels.

Quelle émotion de voir et d’entendre des vétérans centenaires apporter le témoignage toujours vivant de la barbarie nazie et du courage qu’il fallut pour la combattre et la vaincre. Quelle émotion aussi de recevoir Volodymyr Zelensky, qui défend aux frontières de l’Europe la liberté de son peuple. Les temps sont graves. Les extrêmes-droites progressent, en Europe et dans le monde. Georgia Meloni, Viktor Orbàn, Javier Milei, Benyamin Netanyahou, tous prospèrent sur les crises du monde contemporain qui mènent aux radicalisations et à la guerre.

80 ans après le Débarquement de Normandie, la France n’échappe pas à ce retour de la peste brune qui, il y a cent ans, montait en Europe après la crise de 1929, menant à la deuxième guerre mondiale. Les vétérans, nés il y a cent ans dans les années 20, en sont la dernière mémoire bientôt éteinte.

Quelques jours après, le 10 juin, sur les lieux mêmes de la commémoration du massacre d’Oradour sur Glane, le Président de la République allait se vanter d’avoir, je le cite, « balancé sa grenade dégoupillée dans les jambes » de ses opposants, avec sa dissolution surprise de l’Assemblée Nationale au soir du résultat des élections européennes. Quelle brutalité cynique, chez un homme qui prétend écrire l’histoire ! Le Règne du Président Jupiter s’achève. Après lui le Chaos. En renvoyant dos à dos Rassemblement national et Nouveau Front populaire, il rappelle les dirigeants de la France des années 1930 qui préféraient Hitler à Léon Blum ! Celui qui s’est hissé au pouvoir sur le mensonge d’un rempart au Rassemblement National lui sert en réalité de marchepied.

Le résultat est que les électeurs rejettent Emmanuel Macron : son étiquette est un repoussoir, et la droite part explosée, entre la ligne de ralliement au RN d’Eric Ciotti et les nouveaux candidats sans étiquette qui ont rejoint Edouard Philippe.

Dans ce paysage chaotique, les partis de gauche et écologistes ont pris la responsabilité de s’allier, pour fonder un nouveau Front populaire qui sera l’alternative au RN et au macronisme.

Pour passer de l’histoire à la géographie – qui sont deux disciplines essentielles pour comprendre notre temps -, la carte de France du vote Rassemblement National aux élections européennes du 9 juin dernier, illustre la crise de l’Aménagement du territoire qui a modelé notre pays depuis les années Pompidou.

Là où l’on voit les métropoles tertiarisées continuer à voter pour les partis de l’arc républicain, de la gauche et des écologistes au centre droit, on est frappé de voir le vote Rassemblement national s’enraciner dans les couronnes périurbaines éloignées. C’est la couronne à 100 kilomètres de Paris, là où l’on ne dispose pas des lignes de RER et du Pass Navigo, de l’Eure à la Marne, en passant par l’Aube, l’Yonne, l’Oise ou l’Aisne, où le Rassemblement National totalise plus de 40% des suffrages. On notera l’exception des départements de la Région Centre Val de Loire, qui résistent mieux – du fait peut-être d’une politique régionale qui prend davantage ses responsabilités sur ces questions d’aménagement du territoire et de transition écologique et industrielle.

La France du RN, c’est une France couloir de la mondialisation, avec ses schémas autoroutiers, ses échangeurs et ses entrepôts, où les cœurs de villages et les fermes se sont vidés, au profit de lotissements-dortoirs en périphérie des villes et d’une agriculture industrielle ; c’est une France où les usines et les lignes de trains ont été fermées, au profit des entrepôts logistiques du commerce mondialisé et du tout routier, avec la seule solution de la voiture pour les ménages, et du camion pour les marchandises.

J’ai toute ma vie habité à la campagne, je viens du pays de Bray, j’ai connu l’Aisne, l’Oise, la vallée de l’Andelle. Je connais dans ma famille, chez mes proches et dans les familles de mes élèves, ces ouvriers et ces ruraux déclassés, qui ont quitté leur village pour aller travailler à l’usine, se sont endettés pour devenir propriétaires, ont acheté une, puis deux voitures, ont voulu envoyer leurs enfants faire des études. Et puis, après que leurs parents aient perdu les emplois agricoles après-guerre, ils ont à leur tour perdu leur emploi en usine au tournant des années 2000, au profit des emplois-robots des entrepôts, avec leurs horaires décalés et leurs pointeuses, où l’on décourage tout travail en équipe au profit de fiches de postes individualisées, et où l’on accède comme on peut, en l’absence de transports en commun.

La promesse du progrès social n’a pas été tenue, et la fierté d’être ouvrier a laissé la place à une forme d’humiliation sociale. L’inquiétude de l’avenir, pour nos enfants ou pour la fin du mois, pousse à rechercher des responsables plutôt que des solutions.

Alors c’est l’immigration ou l’écologie qui nous priveraient de meilleurs modes de vie ! On voudrait nous voler notre travail, notre culture, nos aides sociales pour les immigrés ; ou nos voitures et nos barbecues pour les écologistes.

Surfant sur ces caricatures, en même temps que sur un rejet des élites, le Rassemblement National incarne avec Jordan Bardella une nouvelle fierté identitaire. C’est la revanche des Jordan sur les Gabriel et les Emmanuel des centres-villes.

Ne nous y trompons pas pourtant, les promesses populistes n’apaiseront pas les angoisses de l’avenir, car ce sont de mauvaises réponses aux problèmes réels de notre temps ! Le Rassemblement National ne changera rien aux inégalités territoriales : pire, il laissera s’aggraver le changement climatique, dont les dernères illustrations ont été les inondations de Blendecques, avec toutes ses conséquences sur nos vies, pour ne surtout pas toucher à la voiture, rénover les logements, renaturer ou développer une agriculture saine et plus rémunératrice.

Se voiler la face, et pointer du doigt des boucs émissaires, musulmans, juifs, LGBT ou woke, attise les divisions et les conflits, au lieu de réparer notre société et de préparer l’avenir. Et quand M. Pennelle répète à l’envi « Ne vous inquiétez pas, ça va bien se passer », on frémit au contraire en imaginant ce qu’il a dans la tête.

L’heure est grave, nos sociétés sont en rupture et nos collectivités, avec des moyens en forte baisse, comme nous le verrons hélas tout à l’heure, ont des choix courageux à faire.

Des choix qui permettront d’apporter des solutions qui améliorent le quotidien de nos concitoyens, des transports propres accessibles à tous, des aides massives à la rénovation des logements et des bâtiments, des énergies renouvelables, une agriculture saine pour nos santés et celle des sols, de l’air, de l’eau et de tous leurs habitants, nos colocaterres. Pour une politique qui répare et qui prépare l’avenir, pas qui divise et attise les peurs.

Je vous remercie.