Assemblée Plénière – Lundi 24 juin – Intervention de Bastien Recher relative au Compte Financier Unique 2023

Assemblée Plénière

Lundi 24 juin

Intervention de Bastien Recher relative au Compte Financier Unique 2023

Monsieur le Président,

Chers collègues,

Ce débat budgétaire s’inscrit dans un contexte particulier qui évidemment nous contraint tous aujourd’hui. Pour autant l’irresponsabilité présidentielle ne doit pas empêcher de regarder sérieusement ce Compte financier unique 2023 et de se poser les bonnes questions sur l’exécution du 2e budget de cette nouvelle mandature.

Normalement ce débat budgétaire devrait pouvoir être un moment d’échanges et de confrontation d’idées sur les grandes orientations de la Région.

Mais, avant même que le bilan de l’exécution budgétaire 2023 ne soit présenté aux élus, vous avez convoqué la presse pour annoncer une cure d’austérité renforcée pour le budget 2025.

Cette nouvelle inélégance faite à la démocratie régionale ne doit pas empêcher de se regarder attentivement la situation actuelle.

Et d’abord, de faire un constat : la Région a changé de nature depuis 2016.

J’en veux pour preuve les grands équilibres budgétaires :

  • Les recettes réelles totales annuelles ont augmenté de 486 M, en passant de 1,34 MM à 1,83 MM !
  • Les dépenses réelles totales de 820 M en passant 1,41 MM à 2,23 MM.

L’institution régionale devrait donc être profondément transformée par ce changement d’échelle absolument inédit pour les autres niveaux de collectivité.

Cette transformation considérable interroge à double titre :

  • D’une part, elle interroge sur la pertinence de votre stratégie financière qui date de 2016, donc d’avant ce changement de nature ; qu’est-ce qui peut justifier de maintenir cette trajectoire qui correspond à un état antérieur aussi différent ?
  • D’autre part, cette transformation nous interroge sur votre bilan depuis 2016 : comment avez utilisé ces marges de manœuvre nouvelles considérables ? quelle transformation profonde de la Normandie avez-vous pu opérer, ou pas ?

En d’autres termes, et puisque vous êtes à la tête de la Région Normandie depuis 2016, la question qui se pose est qu’en avez-vous fait Monsieur le Président ?

I. L’austérité en mode de gestion courante et une réaction à contretemps face à la crise

I.1. La stratégie d’accroissement de l’épargne brute montre ses limites dans la crise actuelle

En 2023, sous la contrainte, l’épargne brute a diminué de 100 M principalement en raison de dépenses de fonctionnement imprévues.

Avant d’évoquer les questions d’emprunt et de dette permettez-moi de vous rappeler que vous avez refusé, par dogmatisme dirons certains, notre amendement d’octobre 2022 portant sur la taxe sur les cartes grises :

  • Pour rappel, vous aviez refusé notre amendement et maintenu 35 €/CV tout en maintenant également l’exonération pour les véhicules hybrides.
  • nous nous proposions de passer à 51,35 €/CV, comme la région Bretagne, afin de ne plus être la région du territoire métropolitain avec le tarif le plus bas.
  • Ce faisant, vous avez fait perdre à la collectivité 40 M d’euros de recettes de fonctionnement en 2023 !
  • Nous regrettons également que vous en restiez à une augmentation minimale à 46 €/CV alors que le maximum peut être porté à 60 €/CV.

Des marges de manœuvre existent donc encore pour augmenter les recettes de fonctionnement.

Ensuite, nous ne pouvons que nous étonner des fluctuations en matière d’emprunt. En effet, le volume d’emprunt a été multiplié par 3 pour être porté à 302 M en 2023.

Et c’est bien là tout le problème, vous êtes dans la réaction aux aléas des engagements sur les transports et de la crise actuelle, vous n’êtes pas dans l’anticipation et dans la construction raisonnée d’un endettement pour l’avenir, car rappelons la dette ce n’est pas le mal ! c’est au contraire la constitution d’un capital public pour maintenant et plus tard.  

En réalité, la question que l’on peut et que l’on doit se poser c’est : pourquoi un volume d’emprunt aussi faible précédemment ?

Comme je l’ai dit à plusieurs reprises ce qui a caractérisé vos budgets, et même pendant la crise COVID, c’est bien :

  • La contraction des dépenses de fonctionnement et notamment le refus d’assumer un rôle d’amortisseur social auprès des familles normandes, pour augmenter l’épargne brute ;
  • Un niveau très faible de dépenses d’investissement, hors rames, qui vous place bon premier sur l’endettement par habitant (2 fois moins que la moyenne nationale) et conséquemment bon dernier sur les investissements.

On voit bien avec le tableau page 38 quelle a été votre stratégie : vous avez profité de la hausse continue des recettes de fonctionnement, pour dégager une épargne brute de plus en plus élevée et limiter au maximum l’emprunt de la collectivité.

Mais la machine s’est méchamment grippée du fait des pics d’investissement pour les rames et du fait de l’augmentation des taux d’intérêt.

I.2. Les achats de rames masquent difficilement le sous-investissement chronique de la Région

Je l’ai évoqué à plusieurs reprises déjà, mais les débats budgétaires sont particulièrement biaisés en Normandie car le poids du protocole de transport et des achats de rames écrase tout et masque en réalité un sous-investissement chronique pour les dépenses d’avenir.

Si l’on prend les dépenses en matière de transports en 2023, on s’aperçoit que près de 150 M sont consacrés à l’achat de rames, mais, que dans le même temps le financement des infrastructures ferroviaires diminue alors que celui des routes est multiplié par 2 !

De la même façon, la persistance des dépenses de secours pour les lycées est aussi la bonne illustration d’absence d’anticipation et de volonté politique pour transformer le patrimoine bâti de la Région :

  • Ces dépenses de secours représentent 30 M en 2023, et 25 M sont budgétés en 2024 après le BS ;
  • Comment expliquer alors, qu’en 2023 seuls 37,5 M d’euros ont été mobilisés pour la construction et la rénovation de lycées ?

Le déficit d’investissement de la Région est manifeste si l’on compare la Normandie aux autres régions métropolitaines :

L’encours moyen de la dette des régions est à 2,6 MM quand l’encours de dette de la Normandie est à 902 M, et encore avec une augmentation brutale de 246 M.

  • On peut donc considérer, si on pense l’avenir plutôt que les ratios d’endettement, que la Région Normandie a un retard d’investissement de 1,7 MM par rapport à la moyenne des Régions métropolitaines ;
  • Et même si l’on compare avec une Région de population comparable, gérée par votre famille politique, les Pays de la Loire, on s’aperçoit que le retard de la Normandie s’élève à 1,2 MM.

I.3. En outre, votre stratégie pluriannuelle d’investissement interpelle

En dehors de la contrainte des achats de rames, il est particulièrement notable de voir que les AP en 2023 diminuent de près de 300 M par rapport à 2022, mais qu’ils comportent pourtant l’intégralité des 360 M prévus pour les contrats de territoires pour des dépenses prévues entre 2023 et 2027, au mieux !

Là encore, vous avez trouvé une astuce comptable pour masquer votre sous-investissement chronique : vous auriez très bien pu ouvrir ces AP progressivement, année après année, en estimant les besoins à venir au fur et à mesure de la signature des nouveaux contrats.

  • Vous l’aurez compris nous sommes en complet désaccord avec les fondamentaux de votre stratégie financière et avec votre gestion des grands équilibres budgétaires de la Région.
  • Nous sommes d’ailleurs les seuls à nous positionner aussi claire et je dois avouer ne pas comprendre la position des autres groupes sur ces sujets pourtant majeurs !

II. Si l’on regarde dans le détail, l’exécution budgétaire de 2023 montre crument les renoncements de la majorité actuelle

  • Je profite de ce débat pour reformuler une demande simple : avoir dans le détail des missions et des programmes des comparaisons avec les années précédentes !

II.1. Tout d’abord, et encore une fois, les principales baisses du budget se retrouvent dans le financement, ou plutôt le non-financement, de la transition écologique

Globalement, en reprenant vos OS, on constate encore, une fois de plus, que l’OS 4 sur le développement durable des territoires est le dernier des postes de financement de la Région, derrière l’OS 5.

Les dépenses pour la transition du territoire normand ne pèsent donc que 4 % des dépenses totales de la Région.

Et cela se décline à l’envie sur toutes les lignes budgétaires liées à la transition écologique.

Alors évidemment il faut aller piocher un peu partout car vous refusez, malgré nos demandes de faire un jaune budgétaire environnement.

Alors faisons un tour complet :

  • Le programme 202 de la mission 5 de l’OS 1 consacré notamment aux ENR, continue de diminuer en AP et en CP, pour ce qui concerne les fonds Région entre 2022 et 2023.

Dans le détail 1,6 M ont été consacrés aux ENR dont les ¾ pour la méthanisation.

Disons le clairement, Monsieur le Président, vous avez renoncé à financer les ENR !

  • Pour ce qui concerne l’OS 3 consacré aux transports, en 2023, quand le financement des infrastructures ferroviaires reste inchangé, pourtant là encore d’autres choix sont possibles car dans le même temps :
    • Les dépenses pour les routes ont été multipliées par 2 pour dépasser les 21 M en CP ;
    • Les financements dédiés aux aéroports ont plus que doublés entre 2022 et 2023, puisque l’on passe de 1,7 à 4,8 M en AP et de 1,8 à 3 M en CP.
  • Enfin, les budgets de l’OS 4 consacrés à l’environnement progressent à peine d’un million pour dépasser tout juste les 10,5 M au total pour la mission 2.

II.2. Je l’ai déjà évoqué mais vos choix en matière de développement économique qui interpellent

Je ne peux pas dire que vous abandonnez l’ESS parce que l’honnêteté me pousse à dire que les crédits ouverts ont augmenté en 2023 pour la Région.

Mais si l’on regarde dans le détail, on s’aperçoit qu’il s’agit en réalité de compenser la baisse des fonds européens et qu’en réalité les crédits ouverts en 2023 étaient inférieurs à ceux ouverts en 2022, avec il est vrai un taux de réalisation bien supérieur.

Mais, comme vous le rappelez opportunément dans votre document, l’ESS en Normandie c’est 11 % de l’emplois salarié régional.

Alors pourquoi n’avoir aucune ambition en matière de soutien régional ?

Pourquoi 2,5 M de CP en 2023 pour l’ESS, quand vous avez 8,4 M pour l’entreprenariat, 8,6 M pour « accompagner les stratégies de développement du territoire », ou encore 5,8 M pour accompagner les réseaux d’entreprises, si l’on s’en tient à la seule mission 2 ?

II.3. Enfin les documents budgétaires ne sont pas assez transparents et notamment pour suivre certains sujets transversaux

Je profite donc cette séance, pour vous demander, la transparence la plus complète sur certaines dépenses de la collectivité en cours et à venir, consacrées à des projets qui émargent sur plusieurs lignes budgétaires :

  • D’abord, nous souhaitons avoir un bilan et des éléments prospectifs sur le coût réel de l’ouverture à la concurrence, que vous avez devancée, et qui percute la contractualisation avec la SNCF, notamment en prenant en compte les moyens RH ;  
  • Nous demandons qu’un même type de bilan soit réalisé pour le dispositif 3NC ;
  • Nous voulons également avoir une présentation claire des dépenses réalisées pour les lycées privées en dehors des obligations légales : ces informations ne figurent pas dans les pages consacrées à la mission 1 de ce rapport, on trouve uniquement une référence à 2,8 M page 169 ; est-ce bien tout ?
  • Autre sujet crucial, la question du recours aux cabinets de conseil. Au fil des Commission permanente, on a pu constater que cette pratique était visiblement bien ancrée : il faudrait donc avoir un bilan annuel de ces prestations, encore une fois par soucis de transparence ;
  • Enfin, nous voulons dire notre inquiétude à propos des dépenses de communication visées pour l’année 2027 qui sera aussi une année pré-électorale : nous appelons à la plus grande vigilance sur l’utilisation des moyens de communication institutionnelle de la Région, et nous souhaitons disposer le plus rapidement possible d’une vision budgétaire globale sur les projets du Millénaire de Guillaume.

III. Alors, nous l’affirmons Monsieur le Président, un plan d’économie et de réinvestissement est pourtant possible car les marges financières existent

Nous vous proposons des principes et des mesures simples :

III.1. Utiliser les marges financières existantes en fonctionnement pour déployer un bouclier social pour les familles normandes

Nous vous avons déjà proposé par voie d’amendements à plusieurs reprises des mesures qui pourraient être mise en place rapidement pour les familles :

  • Gratuité des transports régionaux pour les moins de 26 ans ;
  • Mobilisation du fonds social régional lycéen (à peine plus de 200 000 euros en 2023) ;
  • Prise en charge de la cantine pour les publics les plus fragiles ;
  • Gratuité du volet loisir d’Atout Normandie…

L’ensemble de ces mesures ne coûterait que quelques millions.

C’est peu par rapport aux 40 M perdus sur les cartes grises…

III.2. Mettre fin aux dépenses inutiles ou climaticides

En période de crise la question de la bonne utilisation des fonds publics doit être le guide de toute action publique

Pourtant, vous persistez dans des dépenses dont l’utilité interpelle :

  • Les aides aux entreprises sont insuffisamment conditionnées au maintien de l’emploi : autrement dit les aides régionales servent principalement à augmenter les marges, parfois même de grands groupes. Est-ce de bonne gestion ?
  • Vous investissez massivement et régulièrement dans la filière équine, mais de la même façon en temps de crise, augmenter les marges des propriétaires haras est-ce bien nécessaire ?

D’autres sources d’économies sont facilement mobilisables citons :

  • Les subventions d’investissement pour les lycées privés, en dehors de toute obligation légale, notamment près de 3 M pour des travaux et de l’équipement ;
  • Ou encore les 19 M d’AP ont également été affectés pour la construction de bâtiments d’enseignement supérieur privés ;

Enfin, renoncer aux grands projets climaticides qui ont aussi pour caractéristique d’être des gouffres financiers pour les collectivités normandes, pourraient permettre d’aborder l’avenir plus sereinement.

Citons simplement les contournements routiers dont celui de Rouen ou encore le projet de Terminal croisière à la Pointe de Floride ici à quelques mètres !

  • En renonçant à ces projets que vous affirmez vouloir financer, ce sont plus de 300 millions d’euros que nous pouvons économiser !

III.3. Enfin, ouvrir le chantier des besoins du territoire normand à horizon 2030

Vous avez réussi la fusion des Normandie et vous avez su donner une identité à votre Région

Vous avez fait voter un SRADDET qui normalement donne une feuille de route pour le développement des territoires normands

Mais vous ne savez pas ce que vous voulez faire pour la Normandie notamment face à la crise sociale et à l’impact du changement climatique.

Nous vous avons présenté à plusieurs reprises des dispositifs que vous pourriez mettre en œuvre en Normandie, sans être exhaustif je peux citer :

  • Fonds de compensation de l’artificialisation pour aider les EPCI vers le ZAN ;
  • Foncière agricole ;
  • PPI rénovation énergétique du patrimoine bâti de la Région…

On peut imaginer également une mobilisation de la Région en faveur du logement social, à l’heure où l’Etat se désengage.

Pourquoi la Région Normandie, ne pourrait-elle pas investir fortement dans la construction et la rénovation thermique de logements sociaux, alors que d’autres régions, y compris dirigées par votre famille politique, le font !

Conclusion

Ce qui caractérise donc l’exécution budgétaire 2023, c’est à la fois :

  • Une faible maîtrise des dépenses de fonctionnement ;
  • Un pic d’investissement en trompe-l’œil ;
  • Et surtout l’absence de dépenses d’avenir.

Nous nous proposons donc une autre trajectoire budgétaire avec les principes suivants :

  • Optimiser les recettes de fonctionnement comme évoqué à propos des cartes grises ;
  • Revoir les dépenses de fonctionnement actuelles et déployer les marges de manœuvre créées vers un bouclier social pour les familles normandes ;
  • Construire dès maintenant la programmation des dépenses d’investissement d’avenir en s’appuyant sur une nouvelle stratégie d’emprunt qui vise à s’aligner sur la moyenne d’endettement des Régions françaises, en s’adaptant chaque année à l’évolution des taux

Il faut mettre fin au cercle vicieux dans lequel vous avez conduit la collectivité régionale : les économies que vous réalisez aujourd’hui pour vous présenter comme le meilleur gestionnaire parmi les présidents de Région, conduisent en réalité les générations à venir à faire face à un mur d’investissement face au désastre climatique en cours et à venir.

Il est encore temps de changer cela Monsieur le Président.

Je vous remercie.