Assemblée Plénière
Lundi 24 juin
Intervention de Laetitia Sanchez relative au Contrat de Plan Interrégional Etat-Régions pour la Vallée de la Seine
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Conseillers régionaux
La Vallée de la Seine fait aujourd’hui l’objet d’un nouveau Contrat de Plan Interrégional de près de 461 M€ entre la région Normandie, l’Ile de France et l’Etat.
Nous savons que les fleuves sont des couloirs de vie, des corridors écologiques pour les trames bleues, vertes et noires, mais aussi des bassins de peuplement historiques et des axes de transport.
La Seine est tout cela bien sûr : elle est une signature majestueuse dans nos paysages normands, un corridor écologique riche d’une grande variété d’oiseaux, de chiroptères, d’insectes, d’amphibiens, de poissons ou de flore, dont 15 à 40% sont aujourd’hui menacés de disparition. C’est aussi un bassin archéologique ancien, un bassin de vie dynamique, avec ses villes, ses milieux naturels, ses terres agricoles, ses captages d’eau, ses espaces récréatifs.
Rappelons qu’entre 2012 et 2018, 14000 hectares du territoire normand et 4000 hectares du territoire francilien ont fait l’objet d’un changement du mode d’occupation du sol, à destination de l’habitat, des infrastructures routières et de zones économiques, aux dépens des terres agricoles, des continuités écologiques et de la biodiversité.
Car la Seine est aussi un bassin historique d’industrie et de transport, dont il s’agit aujourd’hui, nous en voyons la nécessité, d’accompagner la mutation écologique. La vallée de la Seine est en effet l’une des principales portes d’entrée en France des flux internationaux de marchandises, avec 100 millions de tonnes de trafic maritime et fluvial, et c’est le principal bassin de navigation entre la capitale et la mer.
En corrélation avec ce développement économique et démographique historiques, la Seine et son estuaire reçoivent aujourd’hui les rejets de 30% de la population française, de 40% de l’industrie nationale et les pollutions de 25% de l’agriculture nationale. Et malgré des milliards d’investissement dans l’assainissement, on retrouve dans nos fleuves et dans la Seine des polluants éternels qui, comme leur nom l’indique, contaminent pour toujours la qualité de notre eau. Hélas, la Seine n’est pas en grande forme olympique….
Le CPIER aujourd’hui présenté, avec ses 3 axes, d’aménagement durable, de transformation des mobilités et de mutation économique, s’inscrit dans la nécessité de décarboner la vallée de Seine.
Avec 17% des émissions françaises de gaz à effet de serre, cet enjeu est bien entendu majeur. Rappelons qu’avec l’élévation du niveau de la mer causée par le réchauffement climatique, la vallée de la Seine, ses villes et ses activités portuaires et industrielles sont exposées en première ligne.
La volonté affichée est louable, avec 24 M€ consacrés à la restauration des continuités écologiques et des berges ; avec près de 10 M€ pour la prospection foncière et la réhabilitation des friches ; 37 M€ pour la mutation de l’économie ; et surtout 389 M€ pour la transformation des mobilités.
Quand on y regarde dans le détail, nous saluons la volonté affichée en faveur du report modal du transport de la route vers le transport ferroviaire et le fluvial, ou encore la volonté de sortir la Seine de son image de vallée des hydrocarbures, symbolisée par les torchères de Port-Jérôme.
Concernant les transports, nous saluons l’absence de tout soutien financier aux projets routiers ou autoroutiers reliant la Normandie et l’Ile de France – à l’instar des funestes projets d’autoroutes A133-A134 à l’Est de Rouen, qui seraient en réalité un contournement Ouest de Paris, pour les marchandises du Nord de l’Europe transitant vers le Sud. Un seul projet routier y est curieusement inscrit, car il ne concerne en réalité que la seule Ile de France, il s’agit de la desserte routière par la RN 406 du site portuaire de Bonneuil : pourquoi l’inscrire dans un CPIER ?
En ce qui concerne le report modal, nous regrettons que le seul financement accordé au ferroviaire ne concerne que des études, et aucun investissement dans l’infrastructure, notamment pour le fret.
L’essentiel des investissements de l’Axe 2 du CPIER va pour moitié au transport fluvial à hauteur de 195 M€, et pour moitié aux ports avec 171 M€, avec l’objectif affiché par Haropa de passer de 26% à 30% de report modal (Teriteo p.160).
Si le transport fluvial est 4 fois moins émetteur de gaz à effet de serre à la tonne transportée que le transport routier actuel, le transport ferroviaire l’est lui 9 à 14 fois moins.
On sait que l’acceptabilité sociale du fret ferroviaire est mauvaise : on l’a vu dans les dernières réunions de concertation sur la phase Mantois de la LNPN ; comme nous l’avons vu par le passé pour la liaison Serqueux-Gisors, dont la vocation est d’améliorer la liaison entre les ports normands et le hub logistique de l’Ile-de-France, mais qui a suscité une opposition des riverains et des élus, notamment franciliens.
Ce sont des orientations stratégiques, puisque l’alimentation logistique de l’Ile de France est cruciale : le rapport Teriteo souligne en effet que chacun des 12 millions d’habitants de la région francilienne consomme en moyenne 20 tonnes de matière par an, dont plus de 80% vient de l’extérieur (d’autres régions ou de l’international). – Teriteo p.157
Il est donc logique que les franciliens subissent en partie les aléas de ces besoins massifs de consommation. Or, l’augmentation massive du fret fluvial a un impact important sur la biodiversité de l’estuaire et sur les sols, des points de vue foncier et biologique, comme le souligne l’évaluation environnementale du CPIER.
Le fret ferroviaire doit donc être massivement et prioritairement soutenu car c’est le plus vertueux pour le climat et pour la desserte fine des territoires.
Lorsque j’ai analysé tout à l’heure les racines du vote Rassemblement national dans nos territoires périphériques, je veux rappeler ce que j’ai souvent souligné, et que vous revendiquez, Monsieur le Président : Non, la Normandie, et plus particulièrement la Vallée de Seine, n’ont pas vocation à n’être que des bases arrière logistiques pour la consommation des franciliens.
Le rapport note bien cette prééminence des fonctions logistiques, surtout à proximité des échangeurs autoroutiers. Je le vis au quotidien dans mon territoire de l’Agglomération Seine-Eure, à 100 kilomètres de Paris, où les Ecoparcs ont déjà consommé plus de 200 hectares de terres agricoles le long de l’A13 qui – on l’a bien vu avec sa fermeture lors des dernières semaines -, concentre aujourd’hui un trafic quotidien de plus de 110 000 véhicules selon le rapport.
Alors oui bien sûr, le report modal est indispensable, mais chacun doit en prendre sa part et l’Etat comme les Régions doivent jouer leur rôle de soutien au renforcement du fret ferroviaire.
De même pour le déplacement des voyageurs vers notre région, pour le tourisme ou la culture, l’usage du train doit être encouragé et facilité, y compris pour le tourisme à vélo qui se développe beaucoup – mais nous en reparlerons lors de l’examen du rapport suivant. Or, la réservation obligatoire pour les vélos en est un frein, comme le manque de places, ainsi que les retards pris dans les travaux d’amélioration de l’infrastructure dans le Mantois, qui pénalisent beaucoup les liaisons Paris-Normandie.
A contrario, nous regrettons une fois encore le soutien accordé dans ce Contrat aux croisières maritimes et fluviales, qui sont un mode touristique de masse et de consommation rapide, qui vont à l’encontre d’un tourisme durable et vert.
En ce qui concerne l’axe 3 consacré aux mutations économiques, la décarbonation est là encore affichée, tout comme la nécessité de réinventer une industrie verte vertueuse, qui pallierait la perte de la moitié des emplois industriels de la vallée de la Seine entre 1990 et 2017.
Si nous notons les aides à l’ingénierie, ou les appels à manifestation d’intérêt pour accompagner les entreprises dans leur transformation, nous constatons que les deux remèdes miracles pour l’avenir de la Vallée de Seine sont encore et toujours la logistique (nous en avons déjà parlé) mais aussi l’hydrogène.
Or, prétendre transformer la vallée des hydrocarbures en vallée de l’hydrogène nous interroge, quand on connaît les liens intriqués de ces types d’énergie – l’hydrogène étant massivement produit à partir d’énergie fossile, et servant ensuite au raffinage des produits pétroliers, au prix de millions de tonnes de CO2 émises chaque année. Et la captation reste totalement anecdotique, au regard des quantités émises !
Quant à l’électrolyse de l’eau pour produire de l’hydrogène vert, elle demande de telles quantités d’électricité qu’il est plus rationnel, et rentable, d’utiliser directement l’électricité pour d’autres usages ! Hormis dans l’industrie lourde de type sidérurgie ou pour le transport lourd, et à condition d’utiliser des énergies renouvelables locales, on peut considérer l’hydrogène comme un mirage, destiné en réalité à faire gagner du temps à l’industrie fossile, ou encore à justifier une production massive d’énergie nucléaire pour alimenter des électrolyseurs.
Enfin pour conclure cette intervention, nous voudrions réitérer l’appel que nous avions fait au moment des Assises du fleuve en octobre dernier, pour construire une nouvelle approche et mettre en œuvre un nouveau contrat écologique et social autour de la Seine, par et pour toutes et tous ses habitants.
Pour relever les défis de l’atténuation et de l’adaptation au changement climatique et de la préservation de la biodiversité, nous devons en effet changer notre regard sur le fleuve et faire de sa protection la priorité.
Sa reconnaissance comme une entité vivante dotée de droits, et l’extension et le renforcement des zones de protection, en commençant par le classement des boucles de la Seine en amont de Rouen, constituent des premiers pas qui nous semblent nécessaires. En France, l’idée d’une reconnaissance des fleuves comme entités vivantes et sujets de droit émerge progressivement. À l’image des démarches engagées pour la protection du fleuve Tavignanu en Corse et du projet de parlement de la Loire. Des initiatives qui peuvent s’inspirer de législations déjà en place ailleurs dans le monde, par exemple celle relative au fleuve Whanganui, en Nouvelle-Zélande.
En ce sens, le Contrat de Plan Interrégional Vallée de la Seine devrait être l’occasion de tracer la voie d’un réel changement de paradigme, et d’engager une réflexion globale sur les usages du fleuve, ses besoins, ses droits et ceux de ses habitant.e.s., dans une approche moins centrée sur le développement économique que sur la préservation, la qualité de vie autour de la Seine et les alternatives au modèle d’aménagement et d’exploitation qui a prévalu jusqu’à maintenant.
Je vous remercie.