Assemblée plénière
Lundi 25 mars 2024
Intervention de Bastien Recher relative à la décision modificative de budget n°1
Monsieur le Président,
Cher.e.s collègues,
Mon intervention aurait pu être brève sur cette délibération, tant les raisons qui poussent à tordre la pratique qui implique de ne pas voter de décision modificative avant le vote du budget supplémentaire, semblent justifiés.
Certains points auraient peut-être pu être anticipés dans le BP 2024 mais dans un moment où l’insincérité budgétaire semble être devenue la règle, nous n’avons rien à redire sur l’opportunité et la forme de cette décision modificative budgétaire.
Vous me permettrez, d’ailleurs, à ce sujet, une courte digression Monsieur le Président :
Difficile de ne pas comparer notre exercice aujourd’hui, avec celui réalisé actuellement par le gouvernement, qui après un nouveau budget adopté par 49.3, impose maintenant 10 milliards de réduction des dépenses publiques, en dehors de toute démarche parlementaire régulière et de tout contrôle démocratique.
C’est donc absolument éberlués que nous constatons maintenant depuis plusieurs jours, que le gouvernement a tout simplement menti sur ses prévisions de croissance et donc de recettes.
Cette majorité incapable de boucler un exercice budgétaire dans les règles, est maintenant contrainte de dévoiler la supercherie : elle a sciemment préservé les plus riches en décembre dernier, pour maintenant venir demander des efforts à l’ensemble des Français, et notamment aux collectivités territoriales.
Pas de taxe sur les superprofits mais des fermetures de classes dramatiques dans tous les territoires et même des menaces qui pèsent sur des prestations sociales aussi essentielles que les APL.
La tromperie du « en même temps » est ainsi dévoilée aux yeux de tous : nous sommes bien dirigés par le gouvernement le plus libéral de toute la Ve République et qui s’attaque maintenant frontalement à ce qu’il reste du modèle social français.
Cette digression visait simplement à montrer que les choix budgétaires sont les choix les plus politiques qui soient.
Et à propos de cette délibération que vous nous proposez, il est nécessaire d’apporter ici certaines précisions car si vos choix sont cohérents, notre opposition à nous est tout autant cohérente.
Tout d’abord, nous voterons pour la délibération relative au ARCHADE qui suit immédiatement ce débat.
En effet, nous notons avec satisfaction la prise en compte des recommandations de la Chambre régional des comptes, depuis le rapport rendu l’année dernière.
Je tiens à saluer ici le travail des services qui conduit à plus que diviser par deux l’exposition au risque de notre collectivité.
Cependant, et ma collègue Véronique Bérégovoy l’avait relevé dans son intervention relative à la Chambre régionale des comptes, les incertitudes demeurent fortes sur le fond et même sur la mise en œuvre de ce projet.
Nous souhaitons toujours un plus fort engagement de l’Etat, pour limiter le risque financier pour la Région mais aussi, comme le demandait la chambre, la création d’un conseil scientifique ouvert pour encadrer au mieux les activités d’ARCHADE.
Mais il n’est pas question de ces aspects dans les délibérations que vous nous proposez aujourd’hui.
Nous voterons donc pour la délibération relative au projet ARCHADE.
Sans surprise, nous voterons contre cette DMB1 car elle s’inscrit dans la logique de développement effréné et complètement irraisonné du nucléaire dans notre Région.
Car oui Monsieur le Président, votre obsession pour le nucléaire, que vous partagez avec le Président de la République mène notre Région, et plus globalement le pays dans une double impasse :
- Une impasse technologique,
- Et encore plus grave une impasse financière.
Je ne m’étendrai pas sur le fond du dossier à propos du nucléaire. Notre groupe est constant dans son opposition au développement de cette énergie pour de nombreuses raisons qui tiennent à sa dangerosité, à la gestion des déchets, à la dépendance qu’elle créée auprès des pays extracteur ou encore à son coût.
Mais je parlais d’une première impasse technologique :
Nous savons que nous avons besoin d’électricité dans les années à venir pour réussir la décarbonation de notre économie et de nos modes de vie. Mais vous misez sur des technologies qui ne fonctionnent pas : les EPR.
Ces EPR ne fonctionnent nulle part dans le monde :
- Evidemment Flamanville : le chantier accuse 12 ans de retard. Non sans conséquence sur la facture, qui devrait s’élever à 13,2 milliards d’euros, soit quatre fois le budget initial de 3,3 milliards ;
- L’EPR 1 de Taishan en Chine, de conception identique, est arrêté après la découverte d’un phénomène d’oxydation sur les gaines des crayons combustibles ;
- Hinkley Point, en Angleterre, accuserait un nouveau retard d’au moins deux ans, voire quatre dans le pire scénario, et des coûts supplémentaires d’au moins 5 milliards de livres ;
- Seul l’EPR finlandais est actuellement en fonctionnement, mais pour combien de temps sachant qu’il a déjà été arrêté à deux reprises depuis son premier lancement en avril 2023.
Ces EPR sont un fiasco industriel et un gouffre financier pour les pouvoirs publics.
Et ne parlons pas des technologies qui n’ont jamais fonctionné comme cette escroquerie des SMR. Je vous renvoie aux articles récents sur le coût et les risques que représenteraient ces installations.
En basant l’avenir énergétique de la France sur ce fiasco, nous nous préparons des années difficiles car ce choix énergétique est un choix financier qui empêche de financer massivement les ENR.
C’est ce que j’évoquais à propos de l’impasse financière :
En effet, le mix énergétique est en réalité un leurre pour les années à venir : la puissance publique ne pourra pas financer ces nouveaux EPR et développer les ENR à la hauteur de ce qui est attendu pourtant.
Je veux dire ici ma crainte, après avoir participé aux débats organisés par la CNDP sur la mer, avec mes collègues du groupe. En effet, on voit par le biais des questions la volonté du gouvernement de renoncer à l’objectif de 45 GW de puissance éolienne offshore pourtant programmé pour atteindre la neutralité carbone en 2050.
On ne fera pas et du nucléaire et des ENR, tout simplement car le nucléaire coûte trop cher !
Rien d’étonnant pour le Président de la République qui a eu pour premier Premier ministre, le VRP en chef d’Areva. La collusion entre politiques et filière nucléaire était assumée dès le départ, sauf évidemment dans le programme soumis aux électeurs.
Et vous, sans l’assumer aussi clairement, vous misez tout sur Penly 2, tout en abandonnant les renouvelables qui disparaissent quasiment des programmes de subventions régionales.
Je l’avais évoqué dans mon intervention relative au BP 2024 :
- Après avoir supprimé les crédits région pour les ENR dans le CPER, vous divisez par deux les crédits dans le budget 2024…
- Et par rapport à 2020, le nombre de projets d’ENR accompagnés par la région a été divisé par 8 !
C’est pour cela que nous écologistes, et nous l’avons porté clairement encore lors de la dernière campagne présidentielle, nous pensons que la transition énergétique ne peut se réussir que sur une politique ambitieuse et équilibrée qui repose à la fois sur les économies d’énergie et donc sur un vaste plan de rénovation thermique mais aussi sur un développement massif des différents types d’ENR.
Pour terminer, je voudrais insister sur ce que contient exactement cette délibération sur le projet 3NC
Dans le détail, dans cette délibération, vous proposez :
- 4,65 M€ en faveur de la diffusion de la culture scientifique
- 5,21 M€ en faveur de l’enseignement supérieur
On pourrait penser qu’il s’agit simplement ici d’un choix cohérent, que nous contestons certes, mais cohérents dans la mesure où l’on s’attend à voir se développer une offre de formation en adéquation avec le chantier de Penly notamment.
Mais en réalité, la lecture de cette délibération est particulièrement intéressante car elle montre l’hypocrisie autour du développement inconsidéré du nucléaire.
D’une certaine façon, vous n’êtes pas dupe de l’impasse dans laquelle vous nous conduisez, sinon pourquoi prendre autant de dispositions pour, non seulement promouvoir la filière du nucléaire mais aussi pour développer toute une acculturation du territoire au développement de cette filière.
Car c’est bien ce qui est écrit noir sur blanc dans la délibération :
- Page 12 de la présentation du budget et 191 du rapport :
« L’Axe 1 – Passion pour la Science et relation au monde, constitue un socle à tous les autres axes du projet « 3NC ». Il s’agit d’induire un changement culturel chez les normands et particulièrement les jeunes vis-à-vis des sciences et techniques. »
« le but est de toucher les publics éloignés de la science et de rendre accessible au grand public le sujet du nucléaire et de la science. »
Le programme prévoit même précisément :
« Des actions de sciences participatives et de lutte contre les Fake news sur le nucléaire (segmentation des publics à viser, évènements et temps forts ciblés…) ; »
« Des actions type serious games, Fresque du Nucléaire. »
Qu’est-ce que des Fake news sur le nucléaire, quelle autorité indépendante jugera des arguments des opposants au nucléaire ?
- On n’est pas simplement dans le greenwashing, c’est bien en réalité la rééducation des esprits que vous prévoyez dans les programmes de formation. Point de salut hors du nucléaire. Et surtout pas de débat sur l’avenir énergétique et l’avenir tout court de notre région.
Vous l’écrivez page suivante :
Le projet 3NC répond aux enjeux de la Stratégie de spécialisation (S3), permettant un développement durable de notre territoire :
– Développer un mix énergétique vers zéro émission carbone,
– Transformer les process pour une industrie performante, durable et digitale,
En résumé :
- Transition écologique = nucléaire
- Normandie = nucléaire
Simple, basique.
En conclusion, Monsieur le Président, nous voterons évidemment contre cette délibération.
Une nouvelle fois, nous dénonçons cette aporie technologique et financière que représente le nucléaire.
Nous dénonçons le fait que vous fassiez le sacrifice de notre Région, une nouvelle fois au nucléaire. Et pourquoi ? Pour renforcer sa fonction de territoire servant, notamment de la Région parisienne.
Tout cela, les actions du gouvernement et les vôtres constituent en outre un grave déni démocratique : vous n’avez pas été élu pour engager la Normandie dans la voie du tout nucléaire et de l’abandon des ENR. Ce n’était pas dans le programme que vous avez présenté en 2021.
La date tardive des prochaines élections régionales ne vous donne pas le droit d’obérer ainsi l’avenir de la Normandie, sans recueillir l’assentiment de nos concitoyens.
Nous ne manquerons aucune occasion de le rappeler.
Je vous remercie.