Assemblée Plénière – Lundi 25 mars 2024 – Intervention de Laetitia Sanchez relative à la proposition de modification du SRADDET Normand

Assemblée Plénière

Lundi 25 mars 2024

Intervention de Laetitia Sanchez relative à la proposition du modification du SRADDET Normand

Monsieur le Président, Monsieur le Vice-Président, Mesdames et Messieurs les conseillers,

Vous connaissez notre attachement aux questions de l’artificialisation des sols, du changement climatique et de la protection de la nature. Vous vous souvenez peut-être du cadeau que je vous avais fait, Monsieur Morin, pour votre première élection en 2015 : c’était le documentaire poignant de la normande Ariane Doublet, dont le titre parle de lui-même, « La Terre en morceaux ».

Nous avons contribué à toutes les phases d’enquête publique et de concertation depuis 2016, en déposant des contributions ou en participant aux réunions territorialisées – où nous avons croisé beaucoup de techniciens mais très peu de nos élus.

Nous sommes heureux de lire dans le rapport que les causes et les effets du changement climatique, de la destruction de la nature et des paysages, les atteintes à la qualité de l’air, de l’eau et des sols, font désormais partie de nos préoccupations communes. Du moins dans les mots.

Nous avons souhaité être constructifs, et nous sommes intervenus à de multiples reprises sur le fond des règles (celles du fascicule), mais aussi sur la méthode et le cadre de ce schéma régional, qui s’imposera à toutes les collectivités locales à travers leurs PLUIH.

Vous vous plaisez parfois à nous caricaturer comme déconnectés des réalités locales. Pourtant aujourd’hui, lorsque nous lisons les avis annexés à la fin du rapport, rédigés par les collectivités au dernier trimestre 2023 sur votre proposition de modification, force est de constater que nombre de leurs interrogations et inquiétudes ne semblent pas avoir trouvé de réponse de votre part.

En règle générale, votre réponse commode est de vous défausser sur l’Etat, qui empilerait les lois et les notions sans définition juridique, et dans un calendrier à rallonge.

Depuis la loi Notre de 2015, les régions ont en effet acquis la responsabilité de cheffes de file de l’Aménagement du territoire et de la lutte contre le changement climatique, notamment à travers les SRADDET.

8 ans plus tard, étions-nous à 6 mois près, quand la dernière loi de juillet 2023 nous laissait jusqu’à novembre 2024 pour modifier ce SRADDET et renforcer l’accompagnement des élus locaux ?

A lire leurs avis rédigés fin 2023, ils ne semblent ni rassurés ni accompagnés.

Prendre quelques mois supplémentaires aurait tout d’abord permis de sécuriser juridiquement les notions dont la définition reste à préciser dans la loi de juillet 2023 : c’est le cas notamment de la notion de « dent creuse ». Comment définir et considérer ces interstices des zones urbanisées dans le calcul des hectares urbanisables de chaque collectivité, du point de vue de la consommation foncière ?

Ce délai supplémentaire de quelques mois aurait également permis d’annexer une liste claire de projets d’intérêt régional, en ayant une version consolidée de la liste des projets d’intérêt national qui devrait pourtant sortir bientôt.

Les élus locaux vous demandent tous cette liste, en s’inquiétant du manque de critères clairs et équitables dans la définition de ces projets et de l’intérêt régional.

Ils rejoignent en cela les défauts soulevés en novembre 2023 par l’Avis délibéré de l’Autorité Environnementale sur cette dernière modification du SRADDET. L’Autorité environnementale s’appuie en effet sur le Code Général des Collectivités Territoriales (art. R 4251-3) pour souligner que les critères retenus, et surtout le niveau de pondération qui leur est attribué, ne sont pas suffisamment justifiés, en questionnant particulièrement le poids attribué aux critères économiques, comparativement à la faible prise en compte des enjeux « de préservation, de valorisation, de remise en bon état et de restauration des espaces naturels, agricoles et forestiers ainsi que des continuités écologiques » qui figurent pourtant en première position dans la liste des critères de l’article du Code Général des Collectivités Territoriales (Avis de l’Autorité Envrionnementale p.17). La restriction de ce critère aux seuls espaces naturels majeurs à préserver est en effet très réducteur, tant par rapport au texte réglementaire que pour ce qui est de l’enrayement de la destruction de la biodiversité.

L’Autorité Environnementale comme les collectivités locales regrettent également l’absence parmi les critères retenus par la Région de toute prise en compte du « potentiel foncier mobilisable dans les espaces déjà artificialisés » à travers les friches, l’Autorité Environnementale soulignant l’insuffisance de la méthode de territorialisation mise en œuvre, et là encore sa fragilité juridique au regard du Code Général des Collectivité Territoriales.

Pour ce qui concerne la liste des projets d’intérêt national – que nous avons réussi à obtenir bien que nous ayons été écartés de la conférence régionale qui les a examinés – nous notons la sous-dotation de l’Etat pour les grands projets d’artificialisation qu’il porte, à l’instar des EPR2 de Penly, pour lesquels l’Etat attribue 48 ha, là où la consommation foncière totale liée à l’activité sera de 150ha, dont 130 non-réversibles, d’après les données fournies par l’Etablissement Public Foncier de Normandie en novembre 2023. De même, la surface de 470 ha allouée au projet de contournement Est de Rouen ne correspond pas au 516 ha de la Déclaration d’Utilité Publique, sans compter les dizaines d’hectares induits par les connexions et aménagements liés aux projets autoroutiers.

Est-ce à dire que ces hectares manquants seront à prendre sur l’enveloppe régionale, mutualisée à part égale par l’ensemble des collectivités locales, qui pour la plupart n’auront aucune retombée positive de ces projets, voire en pâtiront ?

Nous comprenons les inquiétudes des collectivités locales sur la distribution qui sera faite de cette enveloppe régionale et la nécessité d’établir des critères clairs et équitables.

Nous avons le souvenir que dès octobre 2017, la toute première pierre de votre SRADDET avait été une carte des itinéraires routiers d’intérêt régional, qui concernait potentiellement toutes les routes départementales, à partir du moment où elles voient passer 200 camions par jour. Mais comme cette première carte ne suffisait pas, vous profitez de cette nouvelle mouture pour ajouter une seule modification précise et localisée au SRADDET : et c’est une nouvelle route, avec le contournement sud-ouest de Cherbourg ! Quant à la mise à 4 voies de la RD 924 entre Argentan et Flers, vous la placez dans la liste des projets d’intérêt national, quand elle est en réalité un itinéraire bis pour les poids-lourds qui veulent shunter des autoroutes hors de prix.

Dans notre contribution à l’enquête publique de 2019, nous regrettions déjà l’absence dans le SRADDET d’une trajectoire de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre. Pourquoi donc ne pas avoir profité de cette modification pour préciser cette trajectoire et la décliner par secteur, afin de nous mettre en conformité avec la stratégie bas carbone 2 adoptée en 2020 ?

Au-delà des paroles pieuses, votre schéma induit au contraire une augmentation des émissions de gaz à effet de serre avec cette liste de nouveaux projets routiers, autoroutiers, et leurs corollaires logistiques. Comment prétendre en même temps vouloir développer un report modal « systématique » des transports de la route vers le ferroviaire et le fluvial pour les marchandises (selon la règle 6 du fascicule) ; vers les transports en commun, le train et le vélo pour les particuliers – et continuer à placer en tête de vos listes d’intérêt national et régional des autoroutes et des routes ?

Les autoroutes A133-A134 à l’est de Rouen, et leur prolongement l’A154 et l’A120 entre Incarville et Dreux, sont peut-être pour la Chambre de Commerce et de l’Industrie, le MEDEF et leur meilleur ami Hervé Morin, un « maillon manquant » d’un axe Calais-Bayonne pour les marchandises en provenance du Range Nord de l’Europe – mais cela reste du transport routier de marchandises, qui fera concurrence au port du Havre à l’Ouest, pour mettre toujours plus de camions sur les routes au détriment du report ferroviaire et fluvial qui fait déjà tant défaut à la France.

Et pour ce qui concerne les habitants de nos territoires, ils refusent massivement ces autoroutes, comme en attestent les contributions aux enquêtes publiques et les derniers sondages. Une autoroute, ce serait un mur à péage coupant les territoires périphériques et ruraux de la métropole, en détruisant irrémédiablement des espaces naturels, agricoles et forestiers qui constituent aujourd’hui la chance formidable d’avoir préservé un poumon vert et une ceinture agricole pour la ville. Pollution de l’air, de l’eau, des sols, bruit, balafre dans des paysages patrimoniaux uniques comme la colline des 2 Amants, en seraient les corollaires.

Nous ne voulons pas habiter une Normandie moche faite de routes et d’entrepôts.

Le paysage a pourtant bon dos lorsqu’il s’agit d’éviter les éoliennes terrestres ! Deux poids deux mesures.

On connait pourtant le rôle crucial des énergies renouvelables dans la stratégie d’atténuation du changement climatique à court terme – en complément des actions de sobriété et d’efficacité énergétique.

L’Autorité Environnementale là encore, à l’unisson d’une grande part des collectivités locales, interroge votre principe d’interdiction de l’agrivoltaïsme, qui ne relève normalement pas d’un SRADDET, et n’est d’ailleurs a priori pas conforme avec la loi de mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (article L 100-4 du code de l’énergie : « encourager la production d’électricité issue d’installations photovoltaïques »). Plusieurs avis des collectivités locales soulignent que le terme « proscrire » ne convient pas à la rédaction d’un objectif et qu’il s’oppose à la loi, et donc que ces projets doivent pouvoir être autorisés s’ils sont acceptés par les élus locaux et qu’ils ne dégradent pas les capacités de production agricole ni les paysages.

Nous terminerons en rappelant une nouvelle fois l’insuffisance de l’enveloppe de 40ha allouée au recul du trait de côte. A rebours cette fois de certaines collectivités locales – qui pensent qu’il faudrait tout bonnement supprimer cette enveloppe, au prétexte que la renaturation des espaces littoraux viendrait en déduction des hectares utiles à la relocalisation des activités et des habitations – nous rappelons que le recul du trait de côte entrainera une perte de plusieurs dizaines d’hectares qui seront engloutis par la mer. La relocalisation ne pourra donc mathématiquement pas être compensée par la renaturation d’une bande littorale, dont une large partie sera amenée à disparaître comme l’a bien rappelé notre collègue Rudy L’Orphelin tout à l’heure.

Il nous semble, Monsieur le Président, que les raisons sont nombreuses de reporter de quelques mois cette dernière modification du SRADDET normand, afin de la sécuriser juridiquement, de la compléter d’une trajectoire de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre par secteurs et d’une liste de projets d’intérêt régional, selon des critères conformes à la loi.

Je vous remercie.