Assemblée plénière
Lundi 18 décembre 2023
Discours de politique générale de Rudy L’Orphelin
Monsieur le Président, chers collègues,
Les 11 et 12 mars, les services de l’Etat procédaient en urgence à un chargement de sable de plus de 6000 m3 sur les côtes de Barneville-Carteret pour faire face aux grandes marées d’équinoxe. Une nouvelle intervention est d’ores et déjà prévue courant avril via un nouveau chargement de sable ou un enrochement. Avec plus de deux tiers du littoral normand concerné par l’érosion, nous savons que ces épisodes sont appelés à se multiplier.
En novembre dernier, la tempête CIARAN balayait la Normandie privant d’électricité des milliers de foyers, obligeant à fermer les voies de communication et mettant à l’arrêt une partie significative du trafic ferroviaire. Sans compter les considérables dégâts sur les habitations et bâtiments publics ou privés, le mobilier urbain et le patrimoine arboré.
Depuis quelques années un certain nombre des villes normandes ont enregistré des records de température sous l’effet des canicules qui tendent à devenir la norme estivale. Quant aux sécheresses, elles impliquent des arrêtés de restriction de consommation d’eau et ouvrent la voie à de lourds conflits d’usage à court et moyen termes, alors que la salinisation des nappes et l’impact des intrants agricoles sur la qualité de l’eau devraient encore alourdir les phénomènes de raréfaction.
En ce 25 mars 2024, au sortir de l’année qui aura été la plus chaude jamais enregistrée sur la Terre, nous devons donc faire le constat, lucide, que le temps des grands dérèglements n’épargne pas notre Région.
Ils témoignent de la vulnérabilité de nos territoires et des risques auxquels sont désormais exposés les Normandes et les Normands sans parler des conséquences pour notre économie régionale, notre industrie, notre agriculture.
Sur ce dernier point et à l’heure où notre agriculture traverse une crise sans précédent, on cherche encore les politiques régionales qui permettraient à notre agriculture de faire face aux grands bouleversements qui s’annoncent, via un soutien aux systèmes autonomes et résilients (bien mieux à même de garantir des prix rémunérateurs) via une véritable ambition en matière d’agro-écologie.
Dans un tel contexte, la Région devrait assumer son rôle de chef de file en matière de climat qu’elle tient de la loi. Tel n’est pas l’ambition de l’exécutif régional qui, hélas, manque à son obligation de protection du vivant, des personnes et des biens.
Le défi de la transition est bien entendu colossal.
Ainsi que le montre l’historien Jean-Baptiste Fressoz, en matière d’énergie, une ressource ne s’est jusqu’alors jamais substituée à une autre. Le bois n’a pas disparu avec le charbon pas plus que le charbon n’a reculé avec l’avènement du pétrole et du gaz. Notre héritage n’est donc pas celui de la substitution d’une énergie à une autre, idée entretenue par un récit « phasiste », c’est-à-dire découpé en phases, de l’histoire de l’énergie, mais bien celui de l’empilement et de l’accumulation des différentes ressources.
La transition énergétique a donc ceci de trompeur que pour l’heure, elle n’a pas sérieusement fait reculer ni l’extraction ni la consommation des énergies fossiles, lesquelles doivent désormais, nous le savons, être maintenues dans les sols, pour envisager un scénario de réchauffement supportable.
Sortir des énergies fossiles impliquerait une toute autre ambition en matière d’alternatives à la voiture particulière. Or rien dans votre politique ferroviaire ne nous prépare à un big-bang des mobilités. Ce serait même plutôt l’inverse : fermetures de haltes et de guichets, augmentation des tarifs ferroviaires pour la 2ème année consécutive, déclassement des gares existantes, accompagnement des fermetures de lignes, frilosité à peine voilée sur l’opportunité des SERM, rejet du ticket climat ou de tout principe de gratuité ciblée, décalage du calendrier pour la seule réouverture de ligne programmée… tout cela se passe de commentaires.
Parlons quelques instants des énergies renouvelables à l’encontre desquelles vous avez choisi de mener une guerre systématique. En matière de photovoltaïque, la Normandie plafonne à 2% de la puissance totale raccordée à l’échelle de la France métropolitaine. Elle est dernière ou quasi-dernière. Et ce ne sont pas les chiffres de 2023 qui y changent quoi que ce soit : avec 63 MW de puissance nouvelle, notre région fait 2 fois moins bien que les Hauts de France, 2 à 3 fois moins que la Bretagne et 5 fois moins que les Pays de La Loire. Ce n’est guère plus glorieux en matière d’éolien terrestre : la Normandie figure dans le dernier carré des régions avec 66 MW de puissance nouvelle raccordée en 2023. Au total si on additionne photovoltaïque et éolien terrestre, l’on constate que l’effort normand en matière de montée en puissance des énergies renouvelables est dramatiquement bas et représente moins de 3% des puissances nouvellement raccordées.
Sur ce point, Monsieur le Président, je sais que vous avez pu déclarer l’an dernier sous les applaudissements nourris de l’assemblée « Je m’en fous des stats des ministères et ce ne sont pas parce que ce sont les stats d’un ministère qu’elles sont bien pensées » et que « si tout ce qui sortait de l’administration d’Etat était intelligent, je peux vous assurer que la France irait beaucoup mieux »
Oui mais voilà. Les chiffres sont têtus ; ils ne sont pas bons et donnent à voir non seulement les conséquences désastreuses de vos choix et l’inanité des politiques régionales en la matière.
Pendant ce temps bien sûr, l’attention et les deniers publics se focalisent sur l’une des seules sources d’énergie qui semble trouver grâce à vos yeux à savoir l’énergie nucléaire. Portée aux nues car décarbonnée, elle fait actuellement le bonheur du syndicat des revenchards qui n’ont jamais accepté qu’on puisse envisager une décroissance du nucléaire et qui n’ont jamais supporté l’idée que le soleil, le vent, la biomasse, le train, les transports en commun et le vélo puissent répondre à une partie significative de nos besoins.
Alors ça trépigne d’impatience dans l’attente de l’inauguration tant la crédibilité de la filière est atteinte.
La mise en service de l’EPR de Flamanville sera-t-elle effectivement pour 2024 ? Faut-il s’attendre à de nouveaux déboires ou malfaçons ? Faut-il rappeler que ce réacteur promis pour 3,3 milliards et qui devait être lancé en 2012 avoisine désormais les 20 milliards d’euros et enregistre 12 ans de retard ? Qui peut sérieusement dire de Flamanville 3 qu’il s’agit d’une réussite et non désastre industriel et financier ?
Et ces questions ne sont pas anodines car à l’heure de la relance du programme électro-nucléaire dans notre région, dans notre pays et dans une partie de l’Europe, le pari selon lequel le nucléaire pourrait nous permettre de faire face à la crise climatique est celui de l’apprenti-sorcier.
Ces nouveaux réacteurs ne seront pas opérationnels avant 2035-2040.
D’autant qu’au regard de l’expérience de Flamanville, on peut compter sur de nouveaux décalages de calendrier, même si, nous l’avons bien compris la fusion à marche forcée de l’ASN et de l’IRSN a notamment vocation à les surmonter. Las, cette fusion s’opère principalement au mépris de la sûreté des installations, de la transparence et de la démocratie.
Quant aux coûts de ce « nouveau nucléaire » (dont la technologie date des années 90), EDF vient sans surprise de les réviser à la hausse avec une facture, pour la tranche des 6 premiers EPR, qui passe de 51,7 milliards à 67,4 milliards (+30%). Nous sommes donc à 11 milliards pièce et ce, avant même d’avoir commencé. C’est dire si pour le contribuable la facture sera salée au jour d’une éventuelle mise en service.
Sans même évoquer les questions de démocratie et de sécurité, tant du point de vue du calendrier que des coûts qu’il génère, le nucléaire n’est donc pas une solution pour relever le défi de la lutte contre le dérèglement climatique. Car si l’on veut bien écouter les experts du GIEC c’est dans cette décennie qu’il nous faut agir, car il nous faut orienter, dès maintenant, les deniers publics vers les solutions immédiatement disponibles. Le nucléaire n’en fait pas partie.
L’Allemagne qu’on se plaît à pointer du doigt avance sur les renouvelables au rythme de l’équivalent d’un EPR par an ! En 2023, la puissance raccordée avoisine les 17 GW contre un peu plus de 4 GW en France, laquelle ne respecte pas les engagements qu’elle a pu prendre au sein de l’Union Européenne.
Quand la maison brûle, regarder ailleurs pourrait aussi parfois nous inspirer. Il est temps, chers collègues de l’exécutif de se dépêtrer des vieilles recettes. Des contournements routiers à l’urbanisation sans fin en passant par l’agriculture intensive et le nucléaire, et à l’heure de commémorer le 50ème anniversaire de sa mort, nous vous enjoignons à laisser Pompidou là où il est, c’est-à-dire dans les livres d’histoire, et à agir enfin pour proposer aux Normand.e.s un avenir désirable.
Je vous remercie.