Assemblée plénière
Mardi 2 mai 2023
Discours de politique générale de Rudy L’Orphelin
Monsieur le président, chers collègues,
Au lendemain de ce 1er mai marqué par une mobilisation record, comment ne pas revenir sur ce mouvement social né d’une réforme essentiellement comptable qui viendra encore creuser les inégalités, aggraver la pauvreté et accroitre la souffrance au travail.
Depuis des mois, partout en France, y compris dans les plus petites villes, les Françaises et les Français ont massivement défilé dans le calme et la dignité, derrière une intersyndicale unie, pour exprimer leur opposition résolue au recul de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans.
Mais dans le contexte institutionnel et politique que l’on sait, rien ne semble résister à notre Président de la République, lequel, pétri de certitudes, a érigé l’arrogance et le passage en force en méthode de gouvernement ; au point d’enfoncer encore un peu plus le pays dans une crise démocratique dont on ne mesure que trop peu les conséquences, alors que le feu des passions tristes, soigneusement entretenu par l’extrême droite, pourrait bien un jour prochain virer à l’embrasement.
Du choix du véhicule législatif au recours à la quasi-intégralité des mécanismes de contournement offerts par la constitution (dont le 49.3) en passant par les graves approximations sur les supposés bienfaits de la réforme des retraites, le gouvernement a seul orchestré la rupture avec le peuple français en lui jetant au visage une « légalité constitutionnelle » pour sauver ce qui lui reste de légitimité politique, c’est-à-dire bien peu de choses aujourd’hui.
Aux premières heures de la cinquième République, le présidentialisme s’exprimait en ces termes : « Le président seul décide seul sauf si le peuple en dispose autrement et si le peuple en dispose autrement, le président s’en va » Quoi qu’on en pense par ailleurs, avec De Gaulle, le recours au référendum constituait un mécanisme tacite de responsabilité politique qui permettait de faire respirer la démocratie. Désormais, « le Président seul décide seul même si le peuple en dispose autrement. » On a gardé les grands pouvoirs mais oublié qu’ils impliquaient de grandes responsabilités et, de supposément salvateur, le présidentialisme est devenu mortifère.
A l’heure où le désastre écologique devrait nous inviter à concentrer toute notre énergie pour trouver les chemins d’un autre modèle de développement, à l’heure où les risques de pénurie (en hiver comme en été) impliquent d’accompagner des changements bouleversants, le choix d’engager le pays dans une réforme régressive et paramétrique, au prix d’une crise sociale et démocratique, est, au plan historique, tout à fait irresponsable.
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Le combat contre le dérèglement climatique et pour la protection du vivant n’est pas un dossier de plus. Il est pour cette décennie et les suivantes un défi de tous les instants qui ne peut s’épanouir que dans un cadre démocratique apaisé.
Partout et y compris en Normandie les luttes redoublent pour défendre les communs contre l’accaparement des terres et des ressources ; elles témoignent des lourdes incohérences des politiques publiques qui d’une main promettent de tout mettre en œuvre pour prendre en charge la crise écologique et de l’autre s’ingénient à nous servir les recettes d’hier et d’avant-hier : en cette matière votre majorité, M. Morin, affiche un très beau palmarès.
Dernière trouvaille en date et alors que nous nous apprêtons à examiner la modification du SRADDET, censée donner le cap du « zéro artificialisation nette », vous suggérez « tranquille » de relancer le projet contournement routier de Cherbourg en l’ajoutant à la liste déjà longue des itinéraires routiers d’intérêt régional. Quelle incohérence ! Une infrastructure qui, comme les autres, aboutit à plus d’artificialisation des espaces naturels et agricoles, à plus de trafic automobile, à plus d’émissions de carbone responsables du dérèglement climatique ; sans compter bien entendu le grand gaspillage d’argent public généré par votre litanie de projets routiers et autoroutiers qui s’opère au détriment des alternatives que nos concitoyens réclament, notamment en matière ferroviaire.
Mais le cynisme ne s’arrête pas là. Car si selon vous l’avenir est encore à la construction d’infrastructures routières coûteuses et polluantes, il est temps que, déjà, l’éolien terrestre marque le pas (quant à l’éolien offshore il ne pourra s’épanouir que s’il est invisible depuis les côtes et qu’il n’empêche pas le développement du nucléaire). Sur ce point, il serait temps d’arrêter la démagogie. La Normandie est loin d’être envahie par l’éolien et fait malheureusement partie des régions françaises les moins dotées. Une fois encore, le choix est fait de freiner les véritables alternatives, particulièrement s’agissant d’une source d’énergie au potentiel élevé dans notre région, participant à notre autonomie énergétique et permettant de réduire nos émissions.
La solution à tous nos maux viendra-t-elle de l’hydrogène, technologie que vous portez aux nues avec le nucléaire et la méthanisation ? Et sur ce point, M. le Président, nous demandons que vous fassiez œuvre de clarté (Raison pour laquelle nous avons formulé une question orale qui sera présentée en fin de séance). Car si la stratégie régionale – la seule que nous connaissons – s’engage sur une production d’hydrogène à partir d’énergies renouvelables, les développements les plus récents ont de quoi nous alerter.
Il y a d’une part les pressions de l’Etat français à l’échelle de l’Union Européenne pour faire en sorte que l’hydrogène puisse être produit à partir d’électricité d’origine nucléaire. Il s’agit là ni plus ni moins d’offrir des débouchés à la filière pour mieux dissimuler le fiasco des EPR. D’autre part, nous voyons que les grands groupes gaziers – à l’image d’Air liquide en Normandie – pourraient y trouver un opportun moyen de financement public tout en poursuivant leurs activités climaticides.
Quelle est la position de l’exécutif régional aujourd’hui ? Déjà la promotion, via le développement de l’hydrogène, d’un modèle de mobilité individuelle avait de quoi interroger (sans compter son coût : 120 000 euros par unité pour le modèle de voiture hydrogène de l’entreprise Hopium soutenue par la Région). Mais si en plus ce déploiement s’opère via des sources d’énergies fossiles, nous serions alors dans la plus grande des contradictions au regard des nos objectifs énergétiques et de lutte contre le dérèglement climatique.
A l’heure où la Normandie s’associe à EODev (groupe qui comprend notamment Air liquide) pour un projet de vallée hydrogène (selon un schéma production – distribution – consommation) nous attendons donc, je le redis, une clarification des objectifs de la Région sur sa stratégie de déploiement hydrogène et notamment de savoir quelles sont les exigences posées pour garantir une production exclusivement à partir de renouvelables.
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Une dernière remarque pour évoquer l’organisation des travaux de notre Assemblée ; nous nous retrouvons aujourd’hui 2 mai pour cette première Assemblée plénière officielle de l’année 2023, soit près de 5 mois après la dernière qui s’est tenue en décembre.
Notre réunion du jour initialement prévue le 3 avril a été reportée sans explication. Mais, a-t-on cru comprendre, il vous fallait organiser un temps de restitution dans les différents départements des orientations retenues dans le cadre de la modification du SRADDET. Contrairement aux élu.e.s de votre majorité, nous n’avons pas eu l’honneur d’être invité.e.s à ces temps de restitution ; sans nul doute une simple erreur de protocole que vous allez vous employer à corriger sans délai…
Après 5 mois sans Assemblée plénière, nous aurions pu nous attendre à un ordre du jour quelque peu fourni. Résultat des courses, avec 7 dossiers soumis à notre examen, cette assemblée risque bien d’être la plus expéditive de la mandature. Et si la modification du SRADDET constitue un enjeu majeur pour la Normandie, ce sont des pans entiers des politiques régionales qui ne seront pas traités aujourd’hui.
En amont, et pour la moitié d’entre elles, les commissions thématiques auront quant à elles été annulées les unes après les autres. Nous le regrettons. Depuis 5 mois, n’y a -t-il donc aucune actualité, aucun dossier en cours, aucun bilan réalisé sur les politiques engagées qui auraient pu justifier de réunir les membres de notre Assemblée ?
Quant aux réunions de président.e.s de groupe, elles ont purement et simplement disparu ; et on ne prend même plus la peine de répondre à nos demandes en ce sens.
Votre mépris pour la démocratie délibérative est décidément sans limite et les modalités d’organisation que vous nous imposez sont pour le moins erratiques.
Depuis le début de ce mandat, nous avons formulé de nombreuses propositions visant à améliorer le fonctionnement de nos travaux au sein de cette assemblée ; nous le ferons encore à l’occasion de la présentation du SRADDET via des amendements dédiés. Jusqu’alors, ces propositions ont systématiquement été rejetées. Si comme vous l’avez déclaré récemment, vous pensez sincèrement qu’en politique « reculer n’est pas une faiblesse », il est temps d’ouvrir un chantier sur notre démocratie régionale qui en a cruellement besoin.
Je vous remercie.