Assemblée plénière
Mardi 2 mai 2023
Intervention de Laetitia Sanchez relative à la modification du SRADDET
A l’heure des grands bouleversements climatiques planétaires, quand l’Inde et l’Espagne connaissent déjà des canicules records au mois d’avril, quand les pluies diluviennes et les incendies ravagent les Etats-Unis, et plus près de nous nos récoltes et nos forêts comme nous l’avons vu l’été dernier, quand nos nappes phréatiques n’ont pas pu se recharger cet hiver, quand les guerres nous poussent à revoir nos modèles d’approvisionnement et de développement : nous aurions souhaité qu’à défaut d’une révision complète, cette modification du SRADDET soit l’occasion d’inscrire un virage réel pour doter notre belle Normandie des outils pour faire face aux chocs à venir. C’est en ce sens que nous avons déposé un amendement de report, pour permettre cette construction collective.
Montée des eaux marines, raréfaction de l’eau douce, indépendance alimentaire et qualité des sols, puits de carbone et biodiversité, résilience face aux canicules : les enjeux sont nombreux. Si vous les évoquez en préambule, en écrivant, je vous cite, que : « la Région est pleinement consciente de ces enjeux, et fortement engagée » – par la mise en place notamment d’un GIEC normand et d’une Agence de la biodiversité et du développement durable -, comment cet engagement se traduit-il concrètement ?
Pour le littoral, avec nos quelques 600 kilomètres de côte normande, vous accordez généreusement 40 hectares pour la relocalisation des activités d’ici 2030. On verra ça plus tard ! Après moi, le Déluge.
C’est notamment à ce sujet que nous proposerons un amendement visant à doubler la surface foncière réservée aux projets d’intérêt général.
Les orientations que vous énoncez comme prioritaires restent elles bien ancrées dans une conception de la mondialisation où la Normandie jouerait un rôle de base-arrière logistique, avec les ports en point d’entrée des importations, et la vallée de la Seine en hub pour des flux marchands essentiellement routiers, à l’instar des 200 ha d’Ecoparcs sur l’A13 dans l’Agglomération Seine-Eure.
Et si la loi 3DS du 21 février 2022 impose au SRADDET de présenter une stratégie régionale aéroportuaire, vous résumez votre stratégie en quelques mots : « Objectif non modifié pour information ». On conserve donc cinq aéroports normands dans un rayon de moins de 100 kilomètres, dont on finance les extensions comme à Caen ou à Deauville. Et avec l’alibi d’un service sanitaire, on finance surtout des vols d’affaires. Ce sera l’objet de l’un de nos amendements.
Pour le reste, comment sera pilotée la stratégie foncière normande, pour réduire par deux la consommation foncière entre la période de référence 2011-2020 et 2021-2030 ? Ce sera le sens de l’un de nos amendements, pour la création d’un comité de suivi associant des citoyen.ne.s et des élu.e.s de toutes les tendances politiques.
Vous vous targuez d’une très large concertation, à laquelle nous avons été très peu invités, aux côtés de quelques élus, techniciens locaux, ou salariés des chambres de commerce. Quel bilan pouvez-vous nous en communiquer ?
Il n’existe pas de bilan formel de cette concertation, m’a-t-on confirmé en commission. A part une opération de communication, de lobbying et de clientélisme, quelle en a donc été l’utilité ? L’un de nos amendements vous demande d’ailleurs une restitution de ce bilan des concertations, avant de soumettre le SRADDET au vote du Conseil régional.
Concernant donc notre stratégie foncière, en partant d’une consommation de 1200 hectares par an – qui faisait d’ores et déjà de la Normandie l’une des régions les plus consommatrices de foncier par nombre d’habitants – : comment seront calculées et pilotées les réductions par territoires ?
En vous appuyant sur la Cartographie de la Consommation Foncière qui est l’outil de calcul de l’Etablissement Public Foncier de Normandie, vous énoncez des critères (la consommation foncière passée par nombre d’habitants, l’emploi, les dynamiques démographiques, les espaces naturels protégés et les centralités) assortis d’une pondération de 1 à 3, qui permettront à chaque territoire de consommer entre -42% et -62% par rapport à la période de référence. Au nom de la subsidiarité, chaque EPCI d’au moins 15.000 habitants décidera à 85% de sa consommation foncière – quand en Ile de France c’est seulement 75%. Nous proposons en amendement de ramener cette part locale à 70%.
Pour les projets d’intérêt général, de niveau national et régional, une commission existera bien cette fois. Nous proposons donc en amendement de l’élargir là encore aux élus de toutes tendances politiques.
Au moment où vous proposez de voter le SRADDET, nous n’avons aucune liste de ces projets d’intérêt général, ni de la part de l’Etat, ni de la part de la Région. Lorsque vous annoncez que 15% de l’enveloppe de consommation foncière de 2021 à 2030 sera réservée aux projets d’intérêt national ou régional, on ignore donc à quels projets iront ces 900 ha de réserve foncière sur 10 ans.
Vous soulignez vous-mêmes que le foncier est une ressource rare, notamment au regard de la nature des sols, qui constituent, je cite vos propres mots « une ressource naturelle non renouvelable, alors que leur artificialisation est généralement irréversible ».
Vous pointez par ailleurs dans l’objectif 4, les dégâts de la périurbanisation, que ce soit pour l’habitat ou l’activité commerciale, qui dévitalisent les centres, accroissent la dépendance automobile des ménages, la congestion routière, la pollution et les émissions de gaz à effet de serre, les atteintes à la biodiversité et aux continuités écologiques, les phénomènes de ruissellement, la défiguration paysagère des entrées de ville, etc On peut voir ce qui passe aujourd’hui dans le centre-ville d’Evreux, où le commerce périclite depuis l’extension de la zone d’activité commerciale du Long Buisson.
Et toujours dans cet objectif 4, vous vantez la préservation des espaces agricoles et naturels comme un élément déterminant d’attractivité, pour une Normandie à haute qualité de vie.
Dans l’objectif 49, vous constatez que « l’étalement urbain et le développement des axes de transport est l’une des principales causes de destruction des milieux naturels et qu’un enjeu important est de limiter la consommation des espaces tant naturels qu’agricoles et forestiers aux abords des agglomérations, des espaces – je vous cite toujours – souvent rendus inhospitaliers pour l’accueil d’une grande partie de la biodiversité avec une imperméabilisation de substrat souvent irréversible ».
Nous avons été touchés par les propos de M. Marguerite sur la Normandie que nous allons laisser à nos enfants ! Mais tout de suite après – parce qu’il y a évidemment toujours un après ou un « en même temps », qui nous interroge sur la sincérité des propos précédemment cités – au nom même du principe ERC (Eviter-Réduire-Compenser), vous invoquez la nécessité de garantir le développement des activités économiques, notamment logistiques, et la réalisation des infrastructures garantes, selon vous, de l’attractivité économique régionale.
Vous citez alors bien entendu le pseudo contournement Est de Rouen, qui a lui tout seul, avec ses neuf échangeurs, consommerait bien plus de la moitié des réserves foncières dédiées aux projets d’intérêt national ou régional pour les 10 ans à venir.
Or, toutes les cartes nous montrent que ce projet de deux autoroutes à péage entre l’A28 et l’A13, éloigné à l’Est de Rouen, avec son prolongement par l’A154 (également en cours de privatisation), serait en réalité un axe Nord-Sud européen (mais non financé par l’Europe, a contrario de l’axe navigable du Canal Seine Nord) et qui viserait dans les faits à contourner l’Ile de France par l’Ouest, pour des camions allant du Nord au Sud de l’Europe, de Calais à Bayonne ou de Copenhague à Lisbonne.
Dites-moi quel serait l’intérêt économique pour notre territoire régional d’attirer ce cabotage routier international, situé à l’opposé de l’activité économique et portuaire normande basée à l’ouest de la métropole ?
Si ce projet, qui serait aujourd’hui le plus cher de France (en excluant la nouvelle route du littoral de la Réunion, qui elle est la plus chère du monde !) si ce projet de 1972 ne s’est pas fait il y a 50 ans, comment imaginer avec tous les impératifs environnementaux que vous citez, qu’on le fasse aujourd’hui ?
Comme à Castres avec l’A69, et M. Marguerite vient encore de s’en faire l’écho pour la Manche – un département qui se targue pourtant d’avoir déjà le réseau routier le plus dense de France -, vous aimez aligner les éléments de langage sur le « désenclavement des territoires ruraux ». Mais venez demander aux habitants de nos villages de Seine-Maritime ou de l’Eure s’ils veulent d’une autoroute à péage défigurant leurs paysages, avec le bruit et la pollution, coupant des forêts et des champs qui sont aujourd’hui une ceinture verte et agricole aux portes de la ville, et leur barrant les accès gratuits à cette ville et à ses services ? C’est aussi toute la ressource en eau de la métropole, dans la zone karstique des plateaux Est, qui se trouverait mise en péril.
Et pour quoi faire ? Pour attirer des camions en transit, et pour développer encore de nouvelles zones d’activités à proximité des échangeurs, comme la plaine de la Ronce avec ses 100 hectares sur les plateaux Nord, ou la nouvelle zone logistique à proximité du futur échangeur de Pitres-Le Manoir dans l’Eure. On le sait, et vous l’écrivez vous-mêmes, ces zones périphériques, qui mitent bien plus laidement nos paysages que les éoliennes terrestres que vous voulez interdire, contribuent à l’étalement urbain et vident les villes de leur activité, pour mettre sur les routes des salariés toujours plus éloignés de leur travail, et qui finissent dans les bouchons, au rond des vaches ou ailleurs.
Toutes les conséquences négatives que vous énoncez dans votre objectif 4 bis, ou encore dans votre objectif 37 sur la banalisation des paysages où vous écrivez vous-mêmes, je cite, qu’« aujourd’hui c’est le développement de l’habitat pavillonnaire, des plateformes logistiques et des zones commerciales qui bouleverse le plus la physionomie du paysage normand. ». Mais c’est l’installation d’éoliennes terrestres que vous voulez proscrire pour « éviter le mitage des territoires » ! Nous nous opposons à cette amputation de nos capacités de développement des énergies renouvelables, avec un amendement, qui proposera au contraire d’augmenter nos ambitions, pour l’éolien terrestre et maritime.
Concernant les projets routiers en revanche, nous vous demandons d’appliquer un moratoire sur l’ensemble des projets régionaux : l’A133-A134 et ses 516 hectares, le contournement de Cherbourg 20 ha, la RN 13, entre 80 et 100ha, Saint-Lô-Coutances 125 hectares, Flers-Argentan 125ha.
Et la seule contribution exprimée par le CESER, malgré l’unanimité que vous avez voulu souligner, est celle de FNE Normandie, qui souligne que le ZAN impose cette remise en cause de décisions passées, et notamment le projet d’autoroutes A133-A134, au profit des alternatives ferroviaires et fluviales.
Les projets routiers vont à l’encontre de l’ensemble des objectifs réglementaires et c’est pour cette raison que nous appelons au moratoire. Le Ministre des transports lui-même appelle à remettre à plat l’ensemble des projets routiers, suivant en ce sens les préconisations du Conseil d’Orientation des Mobilités, qui souligne la contradiction de ces projets avec la stratégie bas carbone de la France et le ZAN, leur rentabilité compromise et les fortes oppositions locales autour de ces projets d’un autre siècle.
Nous ne sommes plus dans les années Pompidou, ne nous engageons pas financièrement auprès d’un concessionnaire qui demandera des compensations, puisque la rentabilité du projet est annoncée comme négative. Quelles seront ces compensations ? La mise en concession à péage de l’A154 entre Incarville et Evreux ? Et de l’A28 entre Rouen et Neufchâtel ? Réfléchissez-y, messieurs les élus, vous en serez comptables.
Pour finir sur le SRADDET, nous évoquerons le Plan de Réduction, de Prévention et de Gestion des Déchets, dont le bilan 2020 laisse apparaître une augmentation de +2,7% de l’incinération et de +2,6% de la mise en décharge, avec une augmentation à 28% des refus de tri.
Au global, un peu plus de la moitié seulement (57%) des déchets des ménages et des déchets des activités économiques ont été valorisés pour leur matière – ce qui ne couvre même pas le taux de recyclage qui s’élève seulement à 15% pour les déchets des ménages.
Concernant les déchets du BTP, le taux de 73% de prétendue « valorisation matière » des déchets inertes recouvre en réalité à 55% du remblaiement de carrières, et non du recyclage de matériaux.
Au global, il est souligné que nos capacités de stockage en Normandie dépassent les limites réglementaires. Votre solution est alors d’augmenter l’incinération, pardon la « valorisation énergétique », à hauteur de 70% des déchets refusés au recyclage. Vous entendez par là développer la filière des combustibles solides de récupération (CSR), à rebours de la hiérarchie des normes qui doit d’abord rechercher la réduction des déchets, puis la réparation, la réutilisation, le recyclage, et à la fin seulement l’incinération et la mise en décharge.
C’est toujours la même façon de détourner le principe ERC pour faire du développement plutôt que d’éviter et de réduire. L’incinération produisant elle-même des externalités négatives, qui expliquent par exemple qu’on ne peut plus aujourd’hui consommer les œufs domestiques en Ile de France, qui sont pollués par les dioxines et le PCB de l’incinérateur d’Ivry. Enfin, l’incinération elle-même produit des déchets, les mâchefers, dont on ne sait que faire et qu’on stocke dans des centres d’enfouissement aujourd’hui saturés et qu’il faut étendre encore, comme à Freneuse en Seine-Maritime.
Le lien vers les amendements à la modification du SRADDET : Assemblée plénière – Mardi 2 mai 2023 – Amendements de Laetitia Sanchez et Marianne Rozet à la modification du SRADDET – Normandie Ecologie – Les élu·es écologistes de Normandie (normandie-ecologie.fr)