Assemblée plénière Région Normandie – Lundi 26 juin 2023 – Discours de politique générale de Laetitia Sanchez

Assemblée plénière

Lundi 26 juin 2023

Discours de politique générale de Laetitia Sanchez

Il y a quelques jours, l’Établissement Public Foncier de Normandie a invité les élu.e.s du Conseil d’administration, représentant.e.s de nombreuses collectivités, à assister à une présentation sur le changement climatique en Normandie. Le Co-Président du GIEC Normand, Benoit Laignel, a ainsi repris au niveau régional l’incitation du GIEC international à l’attention des décideurs : le diagnostic est là, il est temps d’agir !

Parce que les canicules tuent déjà, avec 15.000 morts en Europe en 2022 et une surmortalité de près de 10% en Normandie en 2019. Parce que les rendements de nos récoltes sont affectés par le stress thermique – à l’instar du blé tendre dans l’Orne. Parce que le changement climatique est aujourd’hui la principale cause de la perte de biodiversité. Parce que les mini-tornades se multiplient sous l’effet du changement climatique, y compris en Normandie, à Criquebeuf, Beuzeville, Yvetot ou Flamanville. Parce que notre empreinte carbone est aujourd’hui encore de 9 tonnes de CO2 par habitant.e en France – quand il ne faudrait pas dépasser 2 tonnes par habitant.e d’ici 2050.

A l’heure de l’urgence, on a l’impression d’assister à un concours de lenteur.

Face à l’obstacle, le Ministre en charge de la Transition écologique baisse les bras, et déclare qu’il faut d’ores et déjà se préparer à vivre dans un pays qui verrait sa température augmenter de 4°C au cours du siècle.

Le message-clé des lobbyistes, dans tous les domaines, c’est toujours… de demander plus de temps ! Plus de temps, pour sortir des pesticides qui polluent l’air et l’eau, causent des cancers, tuent les insectes, les vers de terre et les oiseaux. Plus de temps, pour sortir des énergies fossiles, et développer les énergies renouvelables et la sobriété énergétique. Plus de temps, pour développer massivement les alternatives à la voiture thermique individuelle qui engorge et pollue nos villes et nos villages.

Regardons le succès du ticket de transport en commun illimité à 49€ par mois en Allemagne – pourtant le pays de la voiture, de Volkswagen, Audi et Mercedes. A l’instar des Pays-Bas, qui au moment du choc pétrolier ont massivement réorienté leurs modes de déplacement vers le vélo, l’Allemagne montre aujourd’hui qu’un changement écologique rapide est possible, et qu’il est plébiscité par la population ! Jusqu’aux jeunes Allemands et Français qui, en quelques heures, se sont rués sur les 60.000 pass interrails offerts pour célébrer les 60 ans d’amitié franco-allemande. On entend souvent critiquer les jeunes pour leur goût des voyages en avion, notamment low cost. Mais donnez-leur des trains, d’accès et de prix abordables, ils les aimeront et ils les prendront !

Nous sommes tétanisés en France par les descendants révolutionnaires aux bonnets rouges ou aux gilets jaunes, qui servent en réalité de prétexte depuis dix ans à l’immobilisme sur la question des mobilités (un paradoxe !). Mais ce que nous avons entendu dans les grands débats, comme à la Convention citoyenne, et lu dans les cahiers de doléances, c’est : « Donnez-nous des alternatives ! »

Dans le périurbain et les campagnes, laissez-nous nos gares et nos services publics, donnez-nous des solutions de transports en commun pratiques et fiables, et des pistes cyclables sécurisées. Alors, nous pourrons nous passer d’avoir une, deux ou même trois voitures quand nos enfants grandissent, et qui coûtent pour chacune entre 5000 et 10.000€ par an d’après l’Automobile Club – du coût d’achat à l’assurance, en passant par le carburant et l’entretien. Les populistes, qui défendent toujours le tout-voiture, profitent ensuite cyniquement de ce sentiment d’être abandonné.e.s et livré.e.s à nous-mêmes pour nos déplacements.

Les atermoiements autour du volet Mobilité et Infrastructures du CPER (le Contrat de Plan Etat Région) illustrent bien la procrastination et la difficulté à prendre des responsabilités, d’abord au niveau de l’Etat. Comme le disait un membre du cabinet du Président lors de la conférence préparatoire à cette Assemblée plénière : « Le Contrat de Plan n’est plus ce qu’il était ! » Alors, où est le plan ? Quel est le plan ?

Sur les mobilités, les choix paraissent pourtant clairs : il faut reporter les investissements de la route vers le ferroviaire pour le CPER ; et vers le fluvial avec la Seine pour le CPIER. La ligne Nouvelle Paris-Mantes (la LNPM) doit également y être incluse sans tarder, car elle est indispensable à l’amélioration des lignes, et normandes, et franciliennes – par une coopération interrégionale soutenue par l’Etat. Quant aux étoiles ferroviaires, elles ne doivent pas rester un slogan, mais se traduire par une politique volontariste en matière d’offre : quelles lignes, quelle amplitude, quel cadencement, quels tarifs rendront le train attractif et fiable pour nos déplacements du quotidien ?

Il faut d’urgence renverser les rapports en faveur du ferroviaire – quand les crédits aujourd’hui inscrits dans la maquette budgétaire adjointe en Annexe au CPER sont encore 8 fois plus importants pour le routier que pour le ferroviaire. Mais nous y reviendrons dans nos amendements.

Il suffit de prendre à la lettre les critères d’écoconditionnalité environnementaux énoncés en fin de rapport, rappelant les objectifs climatiques nationaux, la stratégie nationale bas carbone, la feuille de route des Assises de l’eau de 2019, la lutte contre l’artificialisation des sols, la décarbonation de l’économie, la prise en compte de l’impact sur la biodiversité. On peut lire que « le principe d’écoconditionnalité doit donc être appliqué comme élément d’appréciation transversal de l’ensemble des projets du contrat de plan, en soulignant que la préparation du CPER est une occasion importante de mise en œuvre de cette évolution (…) permett(a)nt d’enclencher sur les prochaines années la transition écologique et énergétique de notre modèle de développement et d’exclure du financement du CPER, des projets qui auraient des incidences néfastes pour l’environnement. »

Ce que nous lisons là ne peut signifier autre chose que l’abandon définitif du vieux projet autoroutier de contournement Est de Rouen ! Qui coche toutes les cases de la destruction de l’environnement – avec l’artificialisation de centaines d’hectares, l’impact sur les captages d’eau potable, la biodiversité, la qualité de l’air, pour renforcer le cabotage routier international. L’Etat est condamné chaque année à des amendes de plusieurs millions d’euros pour ne pas mettre en place de mesures suffisantes contre la pollution de l’air. Comment pourrait-il alors se permettre de renforcer encore le transport routier plutôt que le rail ou le fleuve ?

Nous savons déjà que le projet de contournement Est n’est pas inscrit dans le volet mobilité et infrastructures du CPER. Rien n’est signé avec le concessionnaire : cela ne coûte donc RIEN à l’Etat et aux collectivités de renoncer définitivement à ce projet d’un autre siècle – permettant ainsi de dégager des financements qui manquent cruellement à la transition écologique.

Parce que l’heure est à l’action, comme nous y exhortent les scientifiques du GIEC ou encore le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, qui juge la réponse des décideurs du monde face au changement climatique « pitoyable ».

La fièvre est là, et casser le thermomètre ne nous guérira pas !

Quand le Ministre de l’Intérieur s’en prend aux militant.e.s écologistes, malgré les rappels à l’ordre du Conseil d’Etat ou de la Cour Internationale des Droits de l’Homme ; quand en Région le Contrat d’Engagement Républicain sert à contrôler les associations environnementales, pour les empêcher de porter des recours contre les atteintes à l’environnement : c’est un détournement de votre responsabilité de décideurs, face aux enjeux immenses qu’il nous appartient d’affronter.

Comme tétanisés par ces enjeux, avec tous les potentiels conflits d’usage qu’ils commencent déjà à susciter – sur l’accès à l’eau potable, le droit à un environnement sain, l’accès au sol avec le ZAN, ou à la mobilité avec les ZFE – vous agitez des solutions technico-magiques.

L’avion propre, le paquebot propre, le camion propre, les raffineries propres avec le captage de CO2, un nouveau nucléaire – qui ne fonctionne pas et nous fait perdre un temps et un argent considérables dans la lutte contre le changement climatique (les nouveaux EPR n’entreraient pas en service avant 2035) et le développement des énergies renouvelables – et la voiture à hydrogène ! Devant le fiasco d’Hopium, dont les actions ont chuté, avec un rendement énergétique catastrophique et un prix exorbitant, l’ancien Ministre des transports Jean-Baptiste Djebbari a préféré quitter le navire avant la faillite – malgré l’affichage d’une reconversion dans la production de piles à combustible, comme aime à le rappeler M. Dejean de la Bâtie, pour justifier sans doute le montant considérable des subventions aspirées par la société.

Pour calmer la fièvre, plutôt que d’agir, vous vous enfermez dans le déni, et trop souvent, dans le dénigrement des écologistes.

Quand des agriculteurs.rices incendient un centre des impôts à Morlaix ou mettent le feu devant la sous-Préfecture du Gard, on dit qu’ils défendent leur profession ! Mais quand des écologistes défendent les biens communs, l’eau, les forêts, les terres agricoles, le climat, la qualité de l’air, les oiseaux et les fleurs, alors on les taxe d’écoterroristes, on les intimide, on les arrête, on dissout leurs mouvements. Autant vouloir dissoudre les tornades et les incendies, les sécheresses et les inondations !

Parfois, heureusement, la raison l’emporte, et de plus en plus de projets inutiles sont abandonnés, comme le parc à thème Hommage aux Héros dans les marais de Carentan, le contournement de Saint-Gilles ou le passage à trois voies de la route Saint Lô – Coutances.

Parce que nous sommes la nature qui se défend, et qu’il en va de l’habitabilité de notre seule planète, vous n’empêcherez pas d’agir celles et ceux qui agissent pour l’avenir de vos enfants, représentés aujourd’hui par les jeunes que vous avez invités.