Assemblée plénière Région Normandie – Lundi 26 juin 2023 – Intervention de Bastien Recher relative au Compte Financier Unique 2022

Assemblée plénière Région Normandie

Lundi 26 juin 2023

Intervention de Bastien Recher relative au Compte Financier Unique 2022

Mes chers collègues,

Je voudrais commencer mon intervention en saluant trois fois le travail des services et les remercier pour :

  • les présentations claires dans les rapports et en commission, comme d’habitude ;
  • ce nouvel exercice de CFU qui implique d’autres modalités de travail ;
  • et pour les taux d’exécution miraculeux de l’année 2022 compte tenu de la cyberattaque.

Le DGS avait signalé une mobilisation sans faille des services. Ce rapport l’atteste.

Pour ce qui concerne le contenu de ce rapport, la première chose que l’on note c’est que la Région Normandie est vraiment une collectivité majeure et que son budget le montre :

  • 1,8 Mds€ de recettes totales,
  • Près de 1,9 Mds€ de dépenses réelles,
  • 1,25 Mds€ de dépenses de fonctionnement,
  • 562 M€ de dépenses d’investissement hors dette.

Il était pertinent de fusionner les régions pour leur donner cette capacité d’action. Il était pertinent de créer cette région Normandie pour y coordonner des politiques publiques spécifiques et cohérentes.

La question qui se pose, particulièrement depuis 2015, c’est qu’en font les président.e.s de région ?  

Alors justement ce rapport, un peu trapu certes, est intéressant car l’examen de l’exécution budgétaire 2022 nous donne à voir, pour la première fois depuis le début de la mandature, sur une année complète, les fondamentaux de l’exécutif, les choix budgétaire et l’efficacité des politiques conduites.

C’est un peu rendre compte et des comptes les Normand.e.s peuvent effectivement vous en demander.

I. L’exécution budgétaire 2022 s’inscrit parfaitement dans le cadre des dogmes libéraux et austéritaires de la stratégie budgétaire régionale de 2016

I.1. Une logique d’économie qui prime sur l’intérêt de la collectivité et des Normand.e.s

Je ne rappellerai pas les piliers de votre stratégie financière définie en 2016, soutenue invariablement quelle que soit la conjoncture économique. La définition même du dogme finalement.

Alors quel est l’impact de cette stratégie pour l’année 2022 ?

Pour appuyer mon propos, j’évoquerai 3 sujets :

  • L’utilisation des marges de manœuvre qui apparaissent en cours d’année,
  • L’utilisation du seul levier fiscal qu’il nous reste,
  • Et enfin l’utilisation de la hausse continue des recettes depuis 2016.

C’était déjà le cas en 2021, c’est encore le cas en 2022 : toutes les marges de manœuvre que vous dégagez, vous les consacrez à la dette.

Ainsi, l’excédent 2022 de 114 M€ – plus de 5 % du budget principal tout de même – vous permet de réduire l’emprunt de 105 M€.

Cet excédent, produit d’un effet d’aubaine en 2022 du fait des effets conjugués de la hausse des recettes (TVA) et de la baisse des dépenses, aurait pu conduire à se projeter sur des dépenses nouvelles pour l’année suivante.

Mais non, les marges de manœuvre n’auront servi qu’à se désendetter encore plus que prévu pour passer de 2,18 années à 1,97 années de désendettement.

Autre regret, vous n’avez pas anticipé la baisse des recettes liées aux cartes grises. Une baisse de ressource qui représente 10M€.

Pour rappel, nous avions proposé d’augmenter le taux de cette taxe, seul levier fiscal dont dispose la Région par ailleurs, afin d’en augmenter le produit et d’agir sur la conversion de la flotte automobile.

Une occasion ratée encore.

En fait, si l’on veut faire un bilan de votre premier mandat, et de ce début de deuxième, il faut regarder les marges budgétaires qui se sont dégagées depuis 2016 et votre entrée en fonction.

Je vous invite, j’invite tous mes collègues à regarder le graphique page 37 :

Entre 2016 et 2022 on observe 500 M€ de recettes nouvelles, une hausse de 40% !, alors que, dans le même temps, les autres collectivités étaient étranglées par la baisse des dotations de l’Etat, amorcée sous Hollande et poursuivie avec ardeur par Macron.

Qu’avez-vous fait de cette manne financière à part satisfaire votre obsession de contenir la dette régionale ?

Alors c’est encore la question de l’épargne brute qui est en jeu, puisque vous parvenez à l’augmenter d’année en année, alors la question se pose :

  • Soit les recettes que vous percevez sont disproportionnées,
  • Soit vos dépenses de fonctionnement sont faites a minima, et vous n’avez aucune ambition, notamment sociale pour accompagner les Normandes et les Normands face à la crise !

En fait vous financez l’investissement en renonçant à toute ambition en matière de fonctionnement. Alors que nous allons le voir, dans de nombreux secteurs, la Région pourrait dépenser plus.

  •  Au vu de ces trois éléments, une question se pose : quelle est la logique qui gouverne cette stratégie financière ? sommes-nous une collectivité qui protège sa population et investit pour l’avenir ou une banque ?

I.2. Car la conséquence de cette stratégie financière c’est avant tout un retard d’investissement qui s’accumule depuis 2016

2022 aurait pu être une année différente : reprise post-covid, aggravation du réchauffement climatique, auraient pu vous conduire, non pas à faire autrement, mais à corriger légèrement votre orthodoxie budgétaire.

Mais non votre trajectoire budgétaire ne bouge pas et se caractérise par deux fondamentaux :

  1. La course absurde à la limitation de l’emprunt et à la diminution de la dette régionale

Comme je le disais, vous avez utilisé les marges de manœuvre nouvelles pour diminuer l’emprunt…

Cela démontre d’une part que vous n’avez pas de stratégie territoriale, donc pas de plan d’actions à décliner, donc pas suffisamment de projets à financer.

Un stock d’AP votés et non affectés de près d’un milliard qui devrait vous interroger sur la pertinence de certains dispositifs

A ce titre, on a bien vu en Commission permanente que rien ne changeait avec les nouveaux contrats de territoire qui restent purement des contrats équipementiers qui transforment la Région en guichet à subventions.

D’autre part, cela confirme que vous gérez la Région au jour le jour, sans vous préoccuper des investissements nécessaires à faire maintenant, avant que l’impact du dérèglement climatique ne soit trop lourd à supporter pour les finances publiques.

Et quelle erreur de ne pas avoir recouru à l’emprunt plus tôt !

Notamment quand les taux fixes étaient à 0,46 %, bien moins donc que l’inflation, en 2022 alors qu’ils sont maintenant à 3,47 % !

Si ce n’était pas si dramatique, je pourrais vous dire un peu familièrement « C’est ballot ». D’autant que vous annoncez que les emprunts vont forcément augmenter dans les années à venir.

Anticipation disais-je.

  • Un sous-investissement chronique qui asphyxie la capacité de la Région à porter une grande stratégie d’avenir pour la Normandie

Alors oui avec une dette de 197 euros par habitant, nous sommes les champions de France…

Et nous serons encore probablement, absolument incontestés comme champions de France, quand on voit les exploits de l’année dernière : en période de crise, vous avez réussi à diminuer la capacité de désendettement de la région de 2,18 années à 1,97 années, comme je l’évoquais.

C’est exactement l’inverse d’une politique contracyclique et mener une politique procyclique pour une collectivité en période de crise, c’est assez original.

La Région est certes la région la moins endettée de France. C’est absolument indéniable. Et c’est pour cette raison que je ne comprends pas les critiques de certains de mes collègues : votre trajectoire austéritaire pourrait difficilement être plus efficace, ou pire c’est selon.

Mais le pendant immédiat de ce statut, c’est également d’être la région qui investit le moins :

  • Comme je l’avais indiqué lors de la séance sur le BP 2023 : 3 fois moins par habitant.e que dans les Hauts de France ou en Aura !

Pourtant, il serait logique de s’endetter pour des équipements, des projets qui vont bénéficier aux générations futures, et donc de se préoccuper de ce qui est devant nous.

  • C’est maintenant qu’il faut investir,
  • C’est maintenant qu’il faut construire les trajectoires financières acceptables pour construire la transition des territoires normands,
  • C’est maintenant qu’il faut anticiper pour éviter de n’avoir qu’à réagir, insuffisamment et mal dans les année

La dette de maintenant ce sont des économies considérables sur les politiques publiques à mener dans les 20 ans qui viennent.

A l’inverse en construisant un budget qui aurait pu être le même il y a 30 ans vous contribuez à la bombe à retardement climatique.

II. Un budget idéologique qui privilégie les intérêts privés et les interventions d’avant la crise climatique

Ce budget de déni de l’urgence climatique est également un budget au service des intérêts privés et pas des Normand.e.s.

II.1. Des interventions dans le domaine économique et de l’aménagement du territoire toujours aussi contestables

A chaque CP, on voit se multiplier des financements régionaux pour des entreprises qui n’en ont pas besoin, citons Lafarge comme dernier exemple.

Et même vos fonds de soutien sont des fonds qui certes permettent de sauver des entreprises parfois mais qui semblent aussi constituer trop souvent des facilités de trésorerie.

  • Quid à ce titre des recommandations de la Chambre Régionale des Comptes qui demandait un pilotage politique plus serré de Normandie Participations par exemple, et une meilleure connexion avec les dispositifs régionaux ?

Un fonds d’aide aux entreprises tourné vers la transition, avec un vrai pilotage politique, s’impose.

En outre, je voudrais, avec mon groupe, dénoncer le lâchage en règle de l’ESS qui se poursuit inexorablement :

  • 1,6 M€ en fonctionnement en baisse de 0,1 M€,
  • 0,8 M€ en investissement…

Soit 2,4 M€ au total, pour d’ailleurs 3,3 M€ ouverts…

Pourtant, l’ESS en Normandie, c’est 11 % de l’emploi total et plus de 14 % de l’emploi privé. Plus de 112 000 salarié.e.s. Une paille quoi…

A titre de comparaison, la filière équine c’est 4 000 éleveurs en Normandie et 66 000 emplois directs en Normandie.

Et pourtant, en matière de financement régional, la filière bénéficie de :

  • 2 M€ en fonctionnement en hausse de 0,2 M€,
  • 6 M€ en investissement.

Soit 8 M€ : donc 3,3 fois plus de subventions régionales pour près de 2 fois moins d’emplois.

  • Quelle est la logique ?

II.2. Vous pourriez faire plus, notamment par une mobilisation financière qui permettrait à la Région de jouer le rôle de bouclier social face à la crise

A minima, vous pourriez agir sur les politiques directement régionales mais :

  • Rien sur les tarifs de cantine,
  • Rien sur les tarifs de transport scolaire,
  • Rien sur la mobilité des moins de 26 ans…

Nous vous avons proposé à plusieurs reprises la gratuité pour les moins de 26 ans mais vous l’avez refusé constamment.

Vous auriez pu vous inspirer du ticket climat et proposer un forfait transport illimité à un coût réduit pour cet été. Et même le limiter aux jeunes. La mesure aurait coûté quelques centaines de milliers d’euros…

Vous auriez pu jouer votre rôle de chef de file des mobilités et coordonner les AOT normandes pour les faire participer à ce ticket climat.

  • Rien de toute cela évidemment.

La culture et ses acteurs sont frappés par la crise ? Vous diminuez les aides au fonctionnement de 1,6 M€ !

Alors par contre pour la hausse de l’épargne brute, on est bien !

Mais ne croyez-vous pas que des dépenses de fonctionnement s’imposaient ?

II.3. Autre élément d’inquiétude, la logique d’externalisation et de précarisation en cours au sein de l’administration régionale

Je ne serai pas long sur ce sujet car j’ai l’occasion de m’exprimer régulièrement sur ces dossiers en Commission permanente.

Mais je souhaiterais pointer deux types de dépenses qui nous semblent aller dans le mauvais sens :

  • D’abord les 90 000 euros de prestation pour un cabinet chargé de la fusion ORN – Opéra, au-delà du prix c’est aussi le résultat et ses conséquences qui interrogent ;
  • Autre exemple, le budget consacré aux contrats de projet qui augmente de 1,4 M (sans préciser d’ailleurs à combien il se porte au total) et porte à 84 le nombre d’ETP en contrats de projet dans l’administration régionale ! des postes qui in fine se substituent, dans des conditions précaires, à des postes de titulaires et qui bloquent aussi les choix de carrière de ces mêmes titulaires.

III. Pour terminer mon propos, ce CFU 2022 rappelle furieusement une saillie de votre ancien président : « l’environnement, ça commence à bien faire ! »

III.1. Ce bilan 2022 montre au mieux que vous n’avez pas de cap face à l’urgence climatique, au pire que cela, comme Nicolas Sarkozy, ne vous concerne pas

Région littorale, la Normandie devrait être à la pointe en matière d’anticipation du changement climatique, développer des stratégies pour lutter contre ses effets, développer des trajectoires vertueuses qui n’aggravent pas la situation en matière d’émission de gaz à effet de serre ou de protection de la biodiversité, mais aussi penser à long terme pour adapter le territoire.

Vous ne le faites pas, et pire, vous faites l’inverse.

Je citerai simplement 4 exemples :

-Les dépenses d’investissement dans le ferroviaire diminuent en 2022 de 5 M€ !

Pourtant ce ne sont pas les idées qui manquent en la matière pour investir pour demain. Même Emmanuel Macron en a !

-Une Région stratège serait une Région qui n’attendrait pas le prochain CPIER Vallée de la Seine et qui ferait de ce territoire un territoire prioritaire de ses interventions. Mais non, vous y avez consacré 0,3 M€ d’euros en 2022…

-L’optimisation des performances énergétiques dans les lycées : 12 M€…

-En commission des finances, il a été annoncé que la région interviendrait dans le cadre du prochain CPER, seule cependant, à hauteur de 15 M€ sur le littoral.

3 millions par an pour un littoral de 600 km !

5 000 euros par kilomètre alors que nous avons dépassé tous les stades critiques en matière de fonte des glaces…

III.2. Alors j’aurais une proposition a minima pour commencer à penser autrement

Je vais faire dans l’homéopathie pour vous montrer que c’est possible.

Pour cela, je vous invite à regarder deux lignes et à les mettre au regard des près de 2 Mds€ de dépense de la Région :

  • La mission « faire de la Normandie la région de toutes les énergies » à 36 M€ en investissement, 40 M€ au total ;
  • La mission « offrir un cadre de vie et un environnement de qualité » à 2,7 M€ en investissement, plus de 10 M€ au total.

Au total, donc 50 M€ soit environ 2,5 % des dépenses totales de la Région consacrées à l’environnement. Passez juste à 5 % pour voir. Juste pour voir.

Vous verrez que c’est possible sans mettre à mal les finances régionales, et que cela peut commencer à changer un peu les choses.

Pour conclure, nous voterons contre ce rapport qui rend compte de l’exécution budgétaire en 2022.

Nous avions voté contre les grands fondamentaux du BP 2022, nous avions voté contre le BS 2022 qui ne corrigeait aucunement la trajectoire initiale et nous voterons contre donc ce bilan 2022 qui démontre que vous n’avez même pas été capables de mettre à profit les marges de manœuvre dégagées dans l’année.

Je vous remercie.