Assemblée plénière – Réunion conjointe avec le CESER
Lundi 6 février 2023
Intervention de Laetitia Sanchez relative à la modification du SRADDET
Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les Conseillers, Mesdames et Messieurs les membres du CESER,
Tout d’abord, 3 heures de débat pour un projet d’une telle ampleur, qui va conditionner l’aménagement de la Normandie pour les prochaines décennies, est-ce bien sérieux ?
En effet, huit ans après les lois MAPTAM et NOTRe qui ont redéfini les compétences régionales, en faisant notamment de la Région le chef de file sur le Climat et l’Aménagement du territoire, il a fallu la loi de 2021 sur l’artificialisation des sols – visant le Zéro Artificialisation Nette en 2050 – pour vous pousser à enfin jouer ce rôle de chef de file, avec la responsabilité, nouvelle pour vous, de piloter la réduction de la consommation foncière dans les territoires normands.
Notre groupe intervient sur le sujet du SRADDET depuis les prémices de son élaboration en 2017, en poussant l’ambition de la Région sur le ménagement et l’équilibre de nos territoires, soumis à de forts enjeux de transition et de résilience, pour réduire notre participation au changement climatique tout en nous y adaptant.
Avec 600 kilomètres de côte, des écosystèmes remarquables, de riches traditions agricoles, des sols de haute qualité agronomique, un patrimoine touristique unique, un paysage industriel marqué, un maillage équilibré de villes moyennes de proximité – qui ont été une force de notre Région pendant la pandémie -, la Normandie est à la fois très exposée, mais aussi riche d’importants potentiels de mutation. Pour autant qu’on les accompagne. C’est le rôle d’un chef de file, d’accompagner de manière équilibrée l’ensemble de ses territoires.
Notre richesse, ce sont des savoir-faire, des milieux naturels riches, un tissu humain équilibré, un patrimoine bâti et non bâti varié. L’enjeu, c’est de pouvoir continuer à bien vivre en Normandie. À ce titre, nous sommes inquiets au sujet du littoral, en voyant que nous ne commençons pas à constituer de réserves foncières, si ce n’est quelques dizaines d’hectares pour 600 km de côtes !
Avec la perspective du zéro artificialisation nette en 2050, nos modèles de vie vont changer. L’étalement urbain, avec ses pavillons, ses zones commerciales, ses routes, doit laisser place à de nouvelles façons d’habiter, de travailler, de consommer, de se déplacer, de se rencontrer. Avec plus de partage, de mutualisation, c’est une façon aussi de réinventer nos vies, nos villages et nos villes. En accompagnant cette évolution sur le volet de l’acceptabilité sociale, y compris même sur un plan psychologique.
Face à ces enjeux passionnants de mutation, qui participent à l’histoire de notre civilisation moderne, votre présentation n’offre guère d’orientations. La nouveauté de l’exercice semble perturber vos habitudes de relations unilatérales avec des territoires mis en concurrence pour obtenir d’être sur la liste des projets d’intérêt régional.
D’abord, sous couvert de girondinisme, vous laissez à chaque Scot la responsabilité de définir ses priorités, et sa répartition entre activités économiques et habitat – et vous avez oublié les services, y compris les services culturels -, mais sur un plan juridique, à qui incomberont les responsabilités ?
Concernant la logistique, nous ne sommes pas contre la logistique multimodale, mais contre les zones logistiques routières qui fleurissent le long des autoroutes. La Haie tondue est loin de la mer, du fleuve ou du chemin de fer !
Votre première pierre du SRADDET en 2017 en a été l’illustration, avec le schéma des itinéraires routiers d’intérêt régional, où l’on a pu voir les territoires se confronter pour avoir leur portion prioritaire. Pourquoi le doublement de la RN13 dans l’Eure et pas dans l’Orne par exemple ? Ca tombe bien : aujourd’hui, les habitants n’en veulent plus et la garante de la CNDP en questionne l’utilité même. A l’aune des nouvelles lois Climat et Résilience et du ZAN, ce schéma des itinéraires routiers d’intérêt régional peut-il encore avoir une quelconque validité ? En remettant ces projets à une échelle de financement local, nous croyons comprendre que vous y renoncez ?
L’Etat lui-même semble s’interroger au moment de sortir ses listes de projets d’intérêt national, qui seraient soumis, de manière anormale, à une dérogation sur la consommation foncière.
Le soutien aux EPR est certes affirmé, faisant fi de la concertation actuellement organisée par la CNDP, et en opposition déloyale avec les énergies renouvelables – notamment l’éolien terrestre, qui sera lui soumis aux autorisations des conseils municipaux ! Deux poids, deux mesures.
Les projets d’infrastructures de mobilité, eux, restent encore dans le flou, suite notamment au récent rapport du Conseil d’Orientation des mobilités qui émet d’importantes réserves, d’ordre économique, environnemental et social, et pousse à réinterroger la pertinence de nouvelles infrastructures autoroutières aux vues des enjeux actuels. Une autoroute supplémentaire, c’est plus de CO2, plus d’artificialisation des sols, plus d’étalement urbain – et pour les normand.e.s, moins de finances publiques disponibles, moins de pouvoir d’achat avec les péages, moins de qualité de vie en matière d’environnement et de santé.
On sait en effet que le projet de Contournement Est de Rouen induirait la périurbanisation des plateaux Est et Nord de Rouen, autour de la Plaine de la Ronce d’ores et déjà prête à accueillir de nouvelles zones d’activités et d’étalement urbain.
C’était le modèle d’aménagement qui a prévalu dans vos logiciels jusqu’alors, autour de tous les nœuds routiers et autoroutiers en périphérie des villes. C’est cet ancien modèle qui est aujourd’hui remis en question par les nouvelles lois. Et le SRADDET a cette responsabilité historique de porter un autre modèle, conforme aux objectifs des lois Climat et ZAN.
En vertu de la hiérarchie des normes, le SRADDET sera un document d’urbanisme opposable, et l’accompagnement des collectivités sera indispensable, pour éviter des contentieux qui pourraient coûter plusieurs centaines de milliers d’euros aux communes.
Mais il faut faire de cette contrainte l’opportunité d’organiser un nouvel aménagement de nos territoires, qui ménage plutôt qu’il ne déménage, autour de villes et de villages aux centralités revalorisées et mieux interconnectées par les transports en commun, le train, le fleuve, pour les marchandises comme pour les habitant.e.s.
Face à ces enjeux passionnants, quelles sont vos orientations ? Comment accompagnez-vous la coopération et la complémentarité de nos territoires ? L’heure n’est plus à la compétition, où chacun reproduit le même modèle local fait de routes, de ZAC, de logistique routière et d’étalement urbain. On voit des craintes s’élever des territoires, pour certains de relégation, pour d’autres d’accaparement.
Vous nous fournissez des tableaux de données brutes, issus des dernières enquêtes statistiques, mais comment allez-vous traiter ces données ? Quels critères allez-vous prioriser ? Comment allez-vous pondérer ces critères ? Quels indicateurs allez-vous choisir pour mesurer les évolutions favorables ou défavorables ? Sur quelle période de référence ? Nous sommes là contre l’élargissement de la période de référence à 20 ans, qui permettrait aux plus gros consommateurs fonciers du passé d’augmenter leur potentiel de consommation à venir. Enfin, nous nous interrogeons sur le choix du référentiel et la préférence qui serait donnée au référentiel du Cerema au détriment de l’outil régional très fin construit par l’Etablissement Public Foncier de Normandie.
Comment allez-vous décider Monsieur le Président ? Allez-vous poser la question à Chat GPT ?
C’est le moment de jouer enfin votre rôle de chef de file, de piloter, bref de gouverner.
Monsieur le Président.