COMMUNIQUÉ DE PRESSE
Lundi 2 octobre 2023
Assises nationales du fleuve – Changer d’approche : consacrer le fleuve comme un ensemble vivant, doté de nouveaux droits
Les 3 et 4 octobre prochains, la fédération des professionnels du transport fluvial (E2F) et l’agence de communication Ilago organisent, avec le soutien de la Métropole de Rouen, les “Assises nationales du fleuve” à Rouen. Cet événement s’apparente à une grande réunion d’acteurs économiques dont les activités sont liées à l’exploitation des fleuves, dans le but de développer et de diffuser auprès d’élu.e.s trié.e.s sur le volet leur propre vision des espaces fluviaux, au service de leurs intérêts. L’objectif affiché est en effet de “mettre en synergie les acteurs français concernés, issus du public ou du privé, sur la question des fleuves”.
La présentation du programme, le choix des sujets et la trop faible pluralité des intervenant.e.s laissent peu de doute sur l’objectif de ces rencontres et sur la vision du fleuve qui sera développée : “un actif économique stratégique : un outil de production de biens et services.” ; “une matière première multiformes et une infrastructure à multiples usages” ; “un actif précieux et stratégique qui a une valeur” et qu’il “faut […] considérer d’un point de vue économique comme un actif public et privé”. Une approche qui s’accommode d’une part de greenwashing, comme il est de coutume de nos jours, sur fond de développement touristique et de “valorisation” économique du patrimoine.
Considérant les enjeux liés au changement climatique, à l’effondrement de la biodiversité et aux transformations de nos territoires, mettre en avant un objectif de décarbonatation sans véritablement remettre en cause une représentation des fleuves en termes de valorisation et d’exploitation économique ne peut être une solution socialement et écologiquement viable.
Le cas de la Seine est emblématique de ce que cette vision obsolète de l’aménagement et du développement économique, qui continue de dominer les débats sur les usages du fleuve, peut produire. Si des progrès ont été réalisés depuis plusieurs décennies sur la qualité de l’eau et sur la restauration des continuités écologiques, la Seine reste un fleuve soumis à de fortes pressions, qui s’accentuent globalement : impacts industriels, artificialisation des zones humides, changement climatique, industrialisation et spécialisation de l’agriculture, augmentation des prélèvements, etc.
La vision utilitariste de la Seine qui prédomine la consacre avant tout comme un axe fluvial, un outil de développement économique, au service d’une mondialisation qui s’impose à nous et à notre environnement. Nous émanciper de cette approche est aujourd’hui nécessaire.
Cela nécessite de faire évoluer notre projet économique, de repenser nos usages du fleuve, nos manières de produire et de consommer, au regard de nos véritables besoins et des urgences climatique et écologique.
Nous partons pour cela d’un constat simple : le fleuve n’est pas un “axe” et encore moins un “actif” ou un “outil de production”. C’est avant tout un écosystème, un espace de vie et de passage pour les êtres vivants, humains et non-humains.
Les enjeux à concilier sont nombreux pour (re)faire des fleuves des espaces vivables, résilients et désirables : biodiversité, habitat, agriculture, gestion des risques, transport fluvial, tourisme, etc. À l’occasion de ces Assises nationales du Fleuve, essentiellement organisées pour soutenir et diffuser les intérêts d’acteurs économiques, nous appelons à construire une nouvelle approche et à mettre en œuvre un nouveau contrat écologique et social autour de la Seine, par et pour tou.te.s ses habitant.e.s.
Pour relever les défis de l’atténuation et de l’adaptation au changement climatique et de la préservation de la biodiversité, nous devons changer notre regard sur le fleuve et faire de sa protection la priorité.
Sa reconnaissance comme une entité vivante dotée de droits et l’extension et le renforcement des zones de protection, en commençant avec le classement des boucles de la Seine en amont de Rouen, constituent des premiers pas qui nous semblent nécessaires. En France, l’idée d’une reconnaissance des fleuves comme entités vivantes sujets de droit émerge progressivement. À l’image des démarches engagées pour la protection du fleuve Tavignanu en Corse et du projet de parlement de la Loire. Des initiatives qui peuvent s’inspirer de législations déjà en place ailleurs dans le monde, par exemple celle relative au fleuve Whanganui, en Nouvelle-Zélande.
En ce sens, le futur Contrat de Plan Interrégional (CPIER) Vallée de la Seine doit être l’occasion de tracer la voie d’un changement de paradigme et permettre d’engager une réflexion globale sur les usages du fleuve, ses besoins, ses droits et ceux de ses habitant.e.s. Nous attendons qu’il consacre une approche moins centrée sur le développement économique que sur la préservation, la qualité de vie autour de la Seine et des alternatives au modèle d’aménagement et d’exploitation qui prévaut jusqu’à maintenant.
Laetitia Sanchez et Rudy L’Orphelin
Co-Président.e.s du groupe Normandie Écologie