Juillet 2022
Depuis la loi Notre de 2015, l’Etat a entendu faire de la Région la responsable de l’équilibre des territoires en lui accordant le rôle de stratège dans les politiques d’aménagement.
A ce titre, le SRADDET est un document de première importance: à la croisée de nombreuses politiques publiques, il a vocation à projeter notre Région sur le long terme, à assurer un maintien et une mise en valeur des richesses naturelles et patrimoniales du territoire tout en veillant à l’égalité territoriale.
A l’heure où les travaux du GIEC s’accordent sur l’urgence à agir dès maintenant pour limiter les impacts du changement climatique, le SRADDET ne doit pas être sous-estimé. C’est un outil de planification écologique et sociale.
Obligatoirement compatible avec les documents d’urbanisme pris à l’échelle locale, notamment les SCOT ou les PLU, les règles générales du SRADDET ont une force juridique réelle.
La convention citoyenne pour le climat, réunie à l’initiative du Président de la République pour
trouver les moyens de parvenir à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, a proposé une série de dispositions pour lutter contre l’artificialisation des sols et l’étalement urbain. Cette dernière a pris la mesure des conséquences de l’artificialisation, un des premiers postes d’émission de gaz à effet de serre. Elle a compris la force du SRADDET sur les enjeux environnementaux et climatiques et a fait la proposition, reprise par la loi Climat et Résilience, d’y intégrer les objectifs de zéro artificialisation nette.
Préserver les sols est un levier essentiel à la résilience de nos territoires. Le CEREMA retient 4 fonctions rendues par les sols : la régulation du cycle de l’eau, la production de biomasse, le sol comme réservoir de carbone et le sol comme réservoir de biodiversité.
C’est en raison de cette nouvelle disposition issue de la Loi Climat et Résilience que nous vous proposons aujourd’hui une contribution à la modification du SRADDET.
Nous rappelons que nous avons, à plusieurs reprises, sollicité une procédure de révision du SRADDET et non une modification. La révision aurait permis d’adapter le SRADDET aux enjeux d’autonomie énergétique, alimentaire, et de mobilités, objectifs que nous prônons depuis de nombreuses années et que le contexte de guerre nous contraint désormais à poursuivre dès maintenant.
Nous sommes à un moment charnière: l’inflation exponentielle que nous vivons, les épisodes de sécheresses à répétition qui s’annoncent, nous obligent à un changement de paradigme.
Dès lors, nous regrettons que la Région se contente de se conformer à une obligation légale en choisissant la voie la moins ambitieuse alors que l’exemplarité devrait être de mise.
Dans le cadre de cette modification du SRADDET, nous vous présentons nos propositions visant, sur ce point clé, à faire de la Région Normandie la vitrine de l’excellence de l’aménagement du territoire vertueux.
I. Instaurer un principe de non artificialisation dès aujourd’hui
Selon l’observatoire de l’artificialisation en Normandie, notre région est la deuxième région la plus consommatrice de sols naturels, agricoles et forestiers au regard de son évolution démographique et la cinquième région la plus artificialisée de France métropolitaine.
Chaque année, c’est l’équivalent de la ville de Rouen qui est artificialisée sur notre territoire régional, soit un terrain de football toutes les 4 heures.
En Normandie 70% des surfaces artificialisées sont destinées à l’habitat et 10% à l’activité économique. Les études le démontrent: il n’y a pas de corrélation, ni entre le nombre d’emplois créés et l’artificialisation à vocation économique, ni entre l’augmentation de la démographie et le nombre de logements construits.
88% des terrains artificialisés entre 2009-2015 sont des espaces agricoles. Cette perte de foncier productif sur la période 2008-2018 correspondrait, selon la Chambre régionale d’agriculture de Normandie, à la disparition de 177 exploitations agricoles professionnelles et à la perte de plus de 280 millions d’euros.
Les enjeux liés à l’artificialisation sont colossaux.
Face à ce constat, nous proposons l’inscription d’un principe de non artificialisation avec des
dérogations conditionnées.
A. Le principe de non artificialisation
Nous proposons d’inscrire un principe de non artificialisation au sein du SRADDET.
1) Mettre en place une équipe dédiée à l’accompagnement des territoires :
Pour le mettre en œuvre tout en prenant en compte les spécificités et besoins des territoires Normands, la Région doit les accompagner pour tout projet dans la recherche d’alternatives à la consommation de surface: revitalisation des centres-bourgs, utilisations des friches, reconversion des zones artificialisées, densifications d’espaces déjà urbanisés. Pour ce faire, une équipe doit être dédiée à cet objectif pour ne pas creuser davantage les inégalités avec les territoires les moins dotés en ingénierie.
2) Vers un territoire normand recouvert en totalité de SCOT
Pour atteindre le zéro artificialisation nette en 2050, la loi Climat et Résilience a mis en place un
nouvel espace d’échange territorial : la conférence des Scot.
La réunion de cette conférence souligne, s’il le fallait davantage, le rôle de pivot du SCOT dans la déclinaison des objectifs du SRADDET.
Pourtant notre territoire normand n’est, à ce jour, pas encore couvert en totalité par ces documents stratégiques nécessaires à une politique d’aménagement cohérente.
Nous proposons ainsi de mettre en œuvre un dispositif visant à encourager les territoires non dotés à enclencher ce travail de réalisation d’un SCOT.
3) Inclure dans le calcul de l’artificialisation les projets d’envergure nationale ou régionale à toutes les échelles
Il était jusqu’à présent indiqué dans la clé de lecture de la règle 21 concernant l’objectif 49 “mobiliser les outils foncier pour limiter l’artificialisation des sols et concilier les usages” que certains projets n’étaient pas pris en compte dans le calcul de l’artificialisation au sein du SRADDET (LNPN, contournements de Rouen et sud de Caen). Nous rappelons qu’il n’est aujourd’hui plus possible d’exclure du calcul au niveau régional ces projets en vertu de la loi Climat et Résilience et de ses décrets d’application.
En revanche, la loi Climat et Résilience permet, concernant le SCOT, d’exclure du calcul du “quota” d’artificialisation des territoires, les projets d’envergure nationale ou régionale. Ce n’est cependant pas le cas concernant le SRADDET. Cela signifie qu’il existerait un delta sur les territoires entre l’espace réellement consommé et l’artificialisation prise en compte pour l’atteinte des objectifs.
Concernant les projets d’envergure nationale ou régionale, il reviendrait à la Région de trouver comment atteindre son objectif global malgré un dépassement dans les objectifs SCOT territorialisés.
Il nous semble que l’atteinte des objectifs SRADDET n’est réalisable qu’en harmonie avec les objectifs SCOT. Par conséquent, pour plus de lisibilité, les projets d’envergure nationale ou régionale devraient également être pris en compte dans l’atteinte des objectifs SCOT.
Cette démarche implique une concertation anticipée, forte et transparente, ainsi qu’une réelle
réflexion prospective garantissant l’équité entre les territoires normands.
Afin de poursuivre des objectifs régionaux cohérents avec les objectifs territoriaux des périmètres des SCOT, nous proposons de ne pas définir les projets d’envergure nationale ou régionale permettant d’être exclus du calcul des objectifs fixés par les SCOT.
4) Modifier la destination du “dispositif foncier partenarial”
Ce dispositif est aujourd’hui créé concernant des “projets d’infrastructures d’envergure régionale” pour favoriser “la création de réserves foncières pour faciliter la réalisation d’infrastructures de transport d’envergure (à l’exemple du contournement Est de Rouen ou de la LNPN) en s’appuyant notamment sur la SAFER et l’EPFN”.
Nous demandons à ce que ce levier soit modifié pour constituer des réserves foncières publiques permettant à la Région de garder la maîtrise afin de préserver les espaces non artificialisés, recréer des espaces de biodiversité via des actions de renaturation.
B. Appliquer des dérogations conditionnées
Pour pouvoir déroger au principe de non artificialisation , le porteur de projet devra démontrer que le projet est vertueux pour le territoire.
Nous demandons la mise en place d’une clause « Amazon » qui permettrait d’apporter un soutien réel aux commerces de proximité et de lutter contre l’artificialisation des terres et le changement climatique. Il s’agira ainsi :
- de démontrer l’impossibilité de privilégier la localisation en centres-bourgs, d’utiliser des friches, de reconvertir des zones déjà artificialisées, ou de densifier des espaces déjà urbanisés. Chaque item devra avoir fait l’objet d’une analyse.
- de démontrer que la zone choisie est celle qui comporte le moins d’impacts environnementaux et que les mesures de réductions et de compensations sont clairement identifiées et proportionnées aux atteintes. Une étude des différentes hypothèses envisagées devra comprendre une analyse comparative.
- de joindre un plan de mobilité au projet pour favoriser les mobilités douces
En plus, pour les projets liés à l’activité économique :
une étude d’impact sur le commerce local devra être jointe
- de présenter un projet d’aménagement construit dans une approche de multifonctionnalité
- de s’engager au respect d’un pacte social (le paiement des impôts), et démontrer un bilan positif concernant la création nette d’emplois en comparaison avec ceux détruits dans le commerce traditionnel
- de s’engager à un pacte environnemental qui exigerait la réversibilité de toute nouvelle artificialisation, de telle sorte à rendre possible le retour à la vocation agricole, naturelle ou forestière.
II. Mettre en conformité les projets avec l’objectif ZAN
A. Repenser les objectifs de développement économique normands
En cohérence avec l’objectif zéro artificialisation nette d’ici 2050, il est nécessaire de revoir les grands projets d’infrastructures programmés sur le territoire régional.
Nous devons repenser nos modes de productions. Reporter davantage les flux routiers vers le transport fluvial et le fret. Nous devons cesser de voir le respect de la nature et du climat comme une contrainte au développement économique.
L’économie ne saurait se réduire à l’exportation à l’internationale, à la production industrielle, à la logistique et au tourisme intensif. Nous ne connaissons que trop bien les effets de ce modèle de croissance exponentielle.
Nous devons emmener notre économie de production vers les filières d’avenir, fortement créatrices d’emplois : énergies renouvelables, nouvelles mobilités, efficacité énergétique. La réindustrialisation passe par la prise en compte des enjeux climatiques et environnementaux, tournée vers les besoins régionaux, nationaux et européens.
L’implantation d’une économie répondant aux besoins de la transition créera un écosystème économique vertueux sur le territoire, en termes de production évidemment, mais aussi de formation et de dynamisme de l’économie locale.
La Seine, véritable alliée des hommes et des femmes pendant des siècles pour l’agriculture, le transport, la ressource en eau, la biodiversité, et les loisirs, est totalement domestiquée et polluée. Le GIEC nous alerte sur la montée des eaux, les risques accrus de tempêtes et de grandes marées , qui concernent également la Seine. Or, les constructions en zone inondable sont massives. Nous sommes forcés aujourd’hui de réinterroger les usages pour ne pas continuer aveuglément à saturer des espaces qui pourraient contribuer à l’équilibre de nos territoires.
Par conséquent, il est indispensable de modifier l’objectif 16 “Conforter la place de carrefour économique de la Normandie “ pour en faire un objectif “ Engager la Normandie vers une économie vertueuse et protectrice du vivant” en réorientant les investissements des infrastructures de transport. Nous préconisons le report des investissements routiers vers le fret et le fluvial tout en veillant à un équilibre avec ces activités, le fleuve et l’environnement.
B. Tourner les investissements en matière de transport vers la mobilité durable
1) Supprimer l’objectif 22 “Renforcer le réseau routier normand et sa connexion au réseau national et international”
Toujours en cohérence avec l’objectif de zéro artificialisation nette, nécessaire à la lutte contre le dérèglement climatique, nous demandons la suppression de l’objectif 22 “Renforcer le réseau routier normand et sa connexion au réseau national et international”.
La desserte des territoires normands et le désenclavement n’ont pas à être synonyme de projets routiers, autoroutiers et aéroportuaires mais doivent, au contraire, motiver le développement de lignes ferroviaires en proposant une offre variée, attractive et fiable.
En conformité avec notre demande de moratoire sur l’ensemble des projets routiers et autoroutiers, nous sollicitons le retrait des objectifs du SRADDET prônant un développement de ces projets forts consommateurs d’espace et qui seront à l’origine d’une augmentation des émissions de gaz à effets de serre.
Or, en l’état, cet objectif 22 ne contient que des projets en contradiction flagrante avec le zéro artificialisation nette et la protection de l’environnement.
Il s’agit notamment :
- de la Nouvelle Ligne Paris Normandie
Ce projet traduit une volonté de faire du Havre une extension du Grand Paris mais pas de répondre aux enjeux liés au développement du transport ferroviaire et aux besoins des Normands pour leur mobilité quotidienne. Elle implique une artificialisation des sols, mais surtout des investissements considérables pour des gains de temps modestes et une amélioration du réseau loin d’être à la hauteur des montants engagés.
Ce projet serait également source d’importants impacts environnementaux, notamment concernant la mutation du paysage de la Vallée de la Seine.
En matière ferroviaire, pour améliorer le service existant et développer l’offre, il est nécessaire de faire disparaître le bouchon ferroviaire de Mantes la Jolie en portant les investissements sur le doublement des voies jusqu’à Paris St Lazare via la Défense.
- des projets de contournement Sud de Caen et celui de l’Est de Rouen
Le lien entre l’augmentation du nombre de routes et de la vitesse et la croissance du trafic routier n’est plus à démontrer. Nombre d’études et retours d’expériences en France et à l’étranger en témoignent.
Le projet de l’A133-134 prévoit la disparition de 516 hectares de terres agricoles et naturelles au beau milieu de la “ceinture verte” de l’agglomération rouennaise et de la Communauté d’Agglomération Seine-Eure.
2) Modifier l’objectif 21 “Construire une offre aéroportuaire normande”
La Normandie, avec 4 aéroports dont 3 dans un rayon de 50km, est souvent citée comme cas d’école pour illustrer un problème national d’un nombre trop important d’aéroports par rapport à la population.
Dans le cadre du ZAN, qui rappelons-le vise à réduire les effets du changement climatique, il est urgent de rationaliser l’offre aéroportuaire et surtout de s’engager à renoncer à tout projet d’extension.
Nous proposons ainsi de remplacer le titre par « Rationaliser l’offre aéroportuaire normande”, revoir son contenu pour répondre à cet objectif, et demandons un moratoire sur les financements publics qui sont destinés à développer cette offre.
Notre objectif doit être celui d’une plateforme régionale unique.
Conclusion :
Nous le savons, cette modification du SRADDET est contrainte et forcée.
Sans la loi Climat et Résilience et les obligations qu’elles portent, nous continuerions à exécuter le SRADDET en l’état en dépit du bon sens et malgré les conséquences néfastes de ce modèle qui se manifestent de plus en plus fortement.
Lors de l’approbation de ce SRADDET en 2020, nous venions de vivre la crise des gilets jaunes et déjà à l’époque nous signalions qu’il s’agissait à la fois d’une crise sociale et climatique et d’une crise de l’aménagement du territoire. Les inégalités sociales sont intrinsèquement liées aux inégalités territoriales: principalement en zone rurale, les habitant.e.s qui dépendent de la voiture faute d’infrastructures ferroviaires, de réseaux de transports en commun, de pistes cyclables sécurisées et aménagées, sont les premiers à souffrir de l’explosion du prix de l’essence et de la crise énergétique. Combien de fois avons nous scandé que fin du monde et fin du mois sont un seul et même combat ?
Nous pouvons faire de ces changements des opportunités. Nous pouvons faire de cet objectif du zéro artificialisation nette, qui nous est désormais imposé, un levier de réparation social et climatique.
Rappelons les conclusions des auteur.rice.s du GIEC qui nous indiquent qu’un développement régional limitant le changement climatique et permettant de limiter ses conséquences est encore possible, à condition de faire preuve de volontarisme. Le SRADDET doit être à la hauteur de la nécessaire transition écologique et sociale de notre société.
Pour le groupe Normandie Écologie,
Laetitia Sanchez et Rudy L’Orphelin