Lettre ouverte à la Présidente de la Commission nationale du débat public

Lettre ouverte : « Concertation préalable Hommage aux Héros – Dysfonctionnements »

Madame la Présidente,

Après avoir participé à plusieurs réunions publiques organisées dans le cadre de la concertation relative au projet « Hommage aux héros », nous nous permettons de vous interpeller au nom du groupe d’élus régionaux Normandie Écologie afin de vous signifier plusieurs points.

Nos collègues de la Manche, Guillaume Hédouin et Marianne Rozet, ont participé à ces réunions et ont pu constater les conditions dans lesquelles se déroulent les échanges :

– La diffusion partielle et choisie des informations par les porteurs de projet. Nous regrettons en effet l’impossibilité d’accéder aux différentes études (y compris dans leurs versions partielles) malgré nos demandes répétées. Nous le regrettons d’autant plus lorsque les promoteurs du projet indiquent qu’elles sont en cours de finalisation, qu’ils en présentent cependant une synthèse tronquée et non objectivée, orientée et servant leurs propos.

– La publication tardive des comptes-rendus des réunions. Ainsi, à titre d’exemple, il aura fallu attendre le matin de la troisième réunion thématique pour enfin obtenir le compte-rendu de la précédente. Vous comprendrez aisément qu’il est difficile, si ce n’est impossible, pour la grande majorité des participants de prendre connaissance des informations, de préparer leurs interventions et donc de participer concrètement au débat dans un laps de temps aussi réduit.

– Une gestion des prises de paroles par le garant aléatoire. Les règles de temps de parole et de distribution du micro semblent évoluer en fonction de la nature de l’intervenant. A plusieurs reprises, des habitants, associatifs, élus questionnant le projet ont été rappelés par le garant, voire coupés, afin d’accélérer leurs interventions. En revanche, des élus et acteurs « pro-projet » ont eu tout le loisir de s’exprimer longuement, parfois à plusieurs reprises, allant même parfois jusqu’à « griller la priorité » de participants qui attendaient calmement que la parole leur soit donnée.

– Monsieur le garant, qui s’applique à rappeler fermement en début de réunion les règles de bonne conduite, la nécessité de conserver un climat serein, l’interdiction des attaques ad hominem, n’a pas jugé bon d’intervenir lorsqu’un des porteurs de projet a lancé une accusation de calomnie à l’encontre de notre collègue Guillaume Hédouin devant le public. Afin de bien évaluer le climat ambiant, et pour votre information, il n’avait fait que reprendre textuellement, sans en déformer un mot, ni sans le sortir de son contexte, un des propos tenus lors de la précédente réunion par ce même porteur de projet.

Cette absence de sérénité, ce manque de transparence dans les informations transmises et cette condescendance assumée vis-à-vis des personnes n’affichant pas un soutien franc au projet nuit gravement au bon déroulement des échanges. Nous sommes devant une asymétrie de traitement manifeste entre les promoteurs du projet et les personnes qui n’y sont pas favorables.

Au-delà des problématiques de forme, nous sommes davantage inquiets quant à la réelle impartialité, pourtant revendiquée, de cette concertation préalable :

– A plusieurs reprises, le garant a répété que cette concertation devait permettre aux porteurs « d’améliorer » leur projet. Comme vous le savez, une concertation préalable au titre du code de l’environnement permet de débattre avant tout de l’opportunité, des objectifs et des caractéristiques principales du projet ; des enjeux socio-économiques qui s’y rattachent, ainsi que de leurs impacts significatifs sur l’environnement et l’aménagement du territoire ; des solutions alternatives, y compris, pour un projet, son absence de mise en œuvre. Que devons-nous en tirer comme enseignements ? Que le garant intervient finalement en tant que conseil afin d’aider des porteurs de projet privés, dont l’objectif premier est de générer des capitaux, à ajuster leur projet et accompagner l’acceptabilité de la population afin de s’installer au mieux sur le territoire ?

– Nous n’oserions le croire si nous n’avions pas appris dans l’intervalle que ce même garant intervient parallèlement en tant qu’expert auprès de la commune de Carentan afin de conseiller cette dernière quant à la manière de bien mener sa concertation au titre du code de l’urbanisme pour permettre la mise en compatibilité du Plan Local d’Urbanisme.

Ces enjeux d’aménagement nous interpellent donc davantage lorsque, lors de la réunion thématique « tourisme et enjeux socio-économiques », il est finalement question d’envisager la délocalisation d’un parking (5 hectares) hors de l’emprise initiale du projet, à destination d’une emprise communale. Cette nouvelle information n’est pas sans conséquence et nous tenions à vous faire part de nos remarques :

– Cette nouvelle orientation, qui est contraire aux propos tenus précédemment, change bien évidement la nature du projet, tant sur les leviers de financements (publics ou privés) que sur la localisation de cet espace de stationnement.

– Elle fait également écho à des questions restées sans réponse concernant l’équilibre financier du projet et les perspectives de développement de ce dernier à moyen terme. Sachant qu’il s’agit d’actionnaires principalement privés, à la recherche avant de tout de rentabilité, nous ne pouvons que nous interroger sur l’avenir du modèle économique lorsque celui-ci sera arrivé à maturité. N’importe quel entrepreneur, notamment sur les segments de loisirs, sait que son offre doit être renouvelée profondément et structurellement pour conserver son attractivité auprès d’un public qui n’est pas renouvelé en permanence. Sachant que la superficie initialement recherchée pour ce projet était de 25 hectares, que l’acquisition s’est finalement portée sur 32 et qu’aujourd’hui le projet s’orienterait sur une occupation de 11 hectares, pouvons-nous envisager que les investisseurs « se gardent sous le pied » une réserve de 21 hectares, en plein parc naturel régional, pour les développements futurs du projet ? Comme tout parc d’attraction qui finit par s’agrandir ?

Comme vous pouvez le constater, ces questions sont primordiales et risquent d’impacter durablement notre territoire. Pourtant, aucune réponse ne nous est apportée.

Afin que notre propos ne soit pas démesurément long, nous passerons donc rapidement sur les approximations et la méconnaissance évidente du territoire et de ses habitants par les porteurs du projet : non prise en compte de l’hypertension du marché immobilier, approche déconnectée de la réalité au sujet de l’emploi saisonnier, absence totale d’étude sur les mobilités (alors que 600 000 visiteurs sont attendus chaque saison), aucun bilan carbone global de l’opération, obsolescence de certaines cartes projetés à l’écran, etc. La liste est longue et renforce le sentiment que ce projet est imposé avec mépris à la population, sans qu’aucune alternative ne puisse lui être proposée, ni même discutée.

Bien entendu, mener une concertation impartiale nécessite l’accès aux informations de l’ensemble des parties, un climat sain et serein ainsi que le respect du cadre réglementaire. Ces quelques exemples vous prouvent que ces conditions ne sont pas réunies. La concertation touchant à sa fin d’ici une dizaine de jours, nous espérons une intervention de votre part afin d’obtenir des réponses à nos interrogations légitimes et pouvoir accéder notamment aux études environnementales, économiques, touristiques, financières, etc.

Nous vous remercions et espérons que la réunion de rendu prévue le 6 octobre prochain permettra d’entendre l’ensemble des arguments des différentes parties et que pourra également être abordée l’opportunité ou non de réaliser cette opération.

Nous vous prions d’agréer, Madame la Présidente, l’expression de notre considération distinguée.

Rudy L’ORPHELIN et Laetitia SANCHEZ
Co-président.e.s du groupe Normandie Ecologie

Guillaume HEDOUIN
Conseiller régional de la Manche

Marianne ROZET
Conseillère régionale de la Manche