Lettre ouverte aux élu.e.s normand.e.s sur le soutien au développement des escales de croisières

À Hervé Morin, Président du Conseil régional de Normandie, 

Bertrand Bellanger, Président du Conseil départemental de la Seine-Maritime, 

Jean Morin, Président du Conseil départemental de la Manche,

Jean-Léonce Dupont, Président du Conseil départemental du Calvados,

Benoît Arrivé, Maire de Cherbourg, 

Joël Bruneau, Maire de Caen et Président de la Communauté urbaine de Caen la Mer,

Nicolas Mayer-Rossignol, Maire de Rouen et Président de la Métropole Rouen Normandie,

Michel Lamarre, Maire de Honfleur et Président de la Communauté de communes du Pays de Honfleur-Beuzeville,

David Margueritte, Président de la Communauté d’agglomération du Cotentin,

Édouard Philippe, Maire du Havre et Président de la Communauté urbaine Le Havre Seine Métropole, 

Aux parlementaires Normand.e.s, à toutes et tous les élu.e.s des territoires normands. 

En septembre 2022, la Métropole du Havre et la Région Normandie ont dévoilé les contours et annoncé les modalités de financements du projet d’aménagement de la pointe de Floride. Un projet à 99M€ qui comporte deux volets indépendants : la modernisation des infrastructures portuaires, qui inclut une électrification des quais, et la construction de 3 terminaux de croisière sur la pointe de Floride pour accueillir jusqu’à 13 500 passagers par jour lors des escales des paquebots.

Le premier aménagement, dont le coût est estimé à 40M€, sera financé par HAROPA. La construction des terminaux pour l’accueil des croisiéristes, estimée à 59M€, sera elle aussi intégralement financée par des structures publiques, via le Groupement d’Intérêt Public Le Havre Croisières (lequel regroupe HAROPA et la Communauté urbaine Le Havre Seine Métropole), la Région Normandie (à hauteur de 15M€) et Le Havre Seine Métropole (15M€ également).

Le soutien public au secteur des croisières nous semble particulièrement inconséquent et désastreux sur le plan écologique, social et économique. Si le projet démesuré de la pointe de Floride est emblématique du soutien des pouvoirs publics à ce secteur, il n’est pas un cas isolé en Normandie. À Rouen, Cherbourg, Ouistreham ou encore Honfleur, les escales de paquebots de croisières se multiplient et sont encouragées par des financements publics.

Les paquebots géants (jusqu’à plus de 300 mètres de long et 6 000 passagers.ères) que les porteurs du projet havrais souhaitent voir accoster sur la pointe de Floride sont pourtant un désastre écologique et sanitaire. D’après le Collectif Stop Croisières, un voyage d’une semaine à bord d’un navire de croisière, dans une suite standard pour deux personnes avec 4 journées à quai, représente une empreinte carbone de 4,4 tonnes d’équivalent CO₂. Soit la moitié de l’empreinte carbone moyenne annuelle d’un.e Français.e (8,9t CO₂eq par personne en 2021) et plus que l’empreinte carbone cible (2t/personne/an) pour respecter nos engagements climatiques internationaux.

Les pollutions générées par ces paquebots sont loin de se limiter à l’émission de gaz à effet de serre. Émissions de dioxyde de soufre et de particules fines, pollution marine ou encore sur-fréquentation touristique, les nuisances des paquebots de croisière sont devenues intolérables dans de nombreuses villes portuaires. Depuis plusieurs années, certains ports d’escales majeurs cherchent à limiter le trafic des croisières et son impact sur l’environnement et la santé des habitant.e.s : Dubrovnik, Santorin, Bruges, Dublin, Venise, Palma de Majorque, etc. En France, l’exemple marseillais doit nous alerter sur les nuisances générées par ces navires et sur leur acceptabilité sociale.

L’argument régulièrement avancé des retombées économiques pour les territoires qui accueillent des escales est par ailleurs plus que discutable. La rentabilité économique de ces croisières est largement basée sur la consommation à bord des navires (et non lors des escales) et sur la mise en concurrence des ports et des territoires d’accueil pour réduire les coûts d’escale et obtenir des financements publics.

L’empreinte environnementale des paquebots, l’absence de bénéfices évidents pour les villes d’escales et les nuisances générées devraient inciter les pouvoirs publics à prendre des mesures fortes à l’égard des entreprises du secteur pour en réguler l’activité. En finançant un nouveau terminal d’accueil pour les croisières, la métropole du Havre entend pourtant “bâtir le terminal de croisière de demain et accompagner la forte croissance du trafic passager attendue dans les prochaines années”, tandis que l’exécutif régional souhaite faire de la Normandie “une véritable destination croisières”.

Ces éléments de langage, qui proviennent directement des grandes compagnies du secteur, nous semblent déconnectés de toute réalité. Cette croissance se heurtera en effet à une diminution de la disponibilité et à une augmentation des coûts de l’énergie ainsi qu’à une résistance des populations touchées par les nuisances liées aux escales.

Un détournement organisé des dépenses publiques au profit d’entreprises polluantes

Financer le secteur des croisières de luxe constitue un des pires usages possibles de fonds publics. Il s’agit d’une part d’argent soutenant directement une activité qui aggrave le changement climatique, génère des pollutions considérables et écrase le tissu économique local. D’autre part, d’argent qui est détourné de la transition écologique, dans un contexte inflationniste qui réduit les marges de manœuvre financières des collectivités.

Dans le même temps, les pouvoirs publics sont aussi mis à contribution pour limiter l’impact de la pollution générée, au mépris du principe pollueur-payeur. Le projet de modernisation des infrastructures de la pointe de Floride au Havre, qui comprend une électrification des quais, sera ainsi financé intégralement par HAROPA à hauteur de 40M€.

Cesser de soutenir un secteur qui prospère grâce au dumping fiscal et social

Contre l’intérêt général, l’État et certaines collectivités subventionnent un secteur qui prospère grâce à un modèle basé sur une consommation démesurée de ressources, un accaparement des fonds publics, une mise en concurrence entre les territoires mais également des pratiques fiscales et sociales intolérables.

La grande majorité des paquebots de croisière sont enregistrés dans des paradis fiscaux. Les pavillons des Bahamas, des Bermudes, du Panama ou encore de Malte dominent les flottes des grandes compagnies du secteur. Les navires faisant escale sur nos côtes ne font pas exception et affichent majoritairement des pavillons de complaisance, qui permettent d’échapper aux impôts mais également aux contrôles et aux législations sur les salaires et les conditions de travail.

Soutenir un autre modèle touristique et diriger l’investissement public vers les besoins liés à la transition écologique

Nous refusons que la Normandie et ses communes littorales deviennent des territoires d’accueil privilégiés pour les entreprises du secteur des croisières, au détriment du climat, de la santé, de la qualité de vie et du tissu socio-économique local. L’argent public n’a pas vocation à alimenter les profits des quelques compagnies, dont le modèle économique est basé sur la mise en concurrence des territoires, l’accaparement de fonds publics, le greenwashing, la surconsommation de ressources fossiles, l’évasion fiscale et le dumping social.

Nous vous demandons de mettre fin aux subventions publiques et à la promotion des escales dans les ports normands au regard des conséquences écologiques, sociales et économiques du développement de cette activité. Plus spécifiquement, le projet d’aménagement pour l’accueil des croisières à la pointe de Floride doit être abandonné.

Nous vous demandons de réorienter les subventions publiques vers les mesures permettant la transition écologique du secteur touristique et vers l’électrification des quais pour le trafic international de fret et le trafic transmanche de fret et de passager.e.s et non pour installer et soutenir les activités polluantes et inutiles du secteur des croisières.

Nous vous demandons enfin de conditionner l’ensemble des financements au secteur touristique au développement de pratiques vertueuses en matière écologique et sociale, en prenant en compte en particulier les modes de transports utilisés, pour ne plus subventionner des activités dommageables à l’environnement ou particulièrement émettrices de gaz à effet de serre.

Rudy L’Orphelin et Laetitia Sanchez

Co-Président.e.s du Groupe Normandie Écologie

Bastien Recher

Conseiller régional et administrateur de Ports de Normandie

Pierre-Emmanuel Hautot

Conseiller régional de Normandie

Bénédicte Martin

Conseillère régionale de Normandie