Assemblée plénière Région Normandie du 18 décembre – Budget 2024 : le dogme de l’austérité creuse la dette écologique et les inégalités

Assemblée plénière Région Normandie du lundi 18 décembre

Jeudi 21 décembre 2023

Budget 2024 : le dogme de l’austérité creuse la dette écologique et les inégalités

Pour ce troisième budget du mandat, l’exécutif d’Hervé Morin n’a pas fait preuve d’un plus grand respect du débat contradictoire et de la démocratie régionale que lors des exercices précédents. Moins de deux heures pour une présentation, les interventions des groupes et la défense et le vote des amendements de l’opposition (tous rejetés).

Face à un budget qui n’est absolument pas à la hauteur des enjeux auxquels les familles normandes et nos territoires sont confrontés, du fait en particulier de la baisse des financements consacrés à la transition écologique et de l’absence totale de mesures sociales, nous avons proposé des mesures à même de réorienter le budget.

En plus du budget, nous avons également été amené.e.s à nous prononcer sur des délibérations relatives au ferroviaire, avec la suite de la procédure d’ouverture à la concurrence et un « Plan gares », sur le nouveau Plan Régional Santé Environnement ou encore sur des questions liées au fonctionnement interne de la collectivité (emplois, égalité femmes-hommes, numérique).

Laetitia Sanchez a prononcé le discours de politique générale en insistant d’abord sur le relativisme de l’exécutif face aux conséquences du changement climatique et vis-à-vis des solutions à mettre en œuvre. Pendant que « extrémistes du monde entier se liguent aujourd’hui contre la science et, pour des promesses de court terme, conduisent leur population et le reste du monde au chaos climatique », Hervé Morin se fait le défenseur, de concert avec les industries des énergies fossiles, d’un techno-solutionnisme illusoire et dangereux. Prétendre capter le CO2 issu des combustibles fossiles, remplacer chaque voiture thermique par une voiture électrique, relancer le nucléaire pour des résultats incertains à horizon 2050 ne sont pas des solutions mais bien une « stratégie d’obstruction au changement ».

À l’échelle régionale, nous pouvons mettre en œuvre des solutions écologiques aujourd’hui : réorienter les investissements dans l’extension du réseau routier vers le ferroviaire, rénover les bâtiments, accompagner les entreprises dans la transition, développer les énergies renouvelables, etc.

En matière de ferroviaire justement, que nous propose l’exécutif ?

D’une part, l’ouverture anticipée à la concurrence. Depuis son officialisation en octobre 2022, le processus suit son cours avec cette fois une délibération relative à la gestion de l’étoile ferroviaire de Caen, premier « lot » ouvert à la concurrence. Rudy L’Orphelin a rappelé notre opposition à ce choix, alors que la Région aurait pu, même dans le cadre du droit de l’Union européenne, reconduire le monopole de la SNCF pour 10 ans.

À l’heure du défi climatique, qui nécessite de transformer en profondeur nos mobilités, la Région fait subir aux usager.e.s un choix « aveugle, idéologique, […] sans aucune garantie et sans prendre la peine de répondre aux questions les plus élémentaires sur les attendus d’une telle démarche en termes d’amélioration du service ». Rien sur l’ouverture des gares et des guichets, l’amplitude horaire et le cadencement, la réouverture de lignes fermées au trafic voyageur, la tarification, etc.

Sur le mode de gestion du « lot », la Région écarte l’hypothèse internalisée sans véritable examen et fait le choix d’un contrat de concession, avec des arguments bien sommaires, qui laissera les investissements à la charge de et sous maitrise d’ouvrage du concessionnaire. Pour cela, la Région doit recruter une quinzaine d’agent.e.s, « soit des moyens qui auraient pu être utilement dédiés à définir un plan rail normand à même de répondre aux défis énergétiques et climatiques ». Sans pour autant savoir ce qu’il souhaite en faire, l’exécutif en vante les supposés bienfaits de l’ouverture à la concurrence « au nom d’une doxa libérale qui a pourtant maintes fois montré ses limites. »

Il est malheureusement à craindre qu’une telle démarche ne se solde par les désastres déjà constatés ailleurs en Europe pour le personnel, pour les usager.e.s et pour l’environnement !

Autre volet de la politique ferroviaire de l’exécutif : la réduction des services et du maillage territorial. Marianne Rozet a annoncé notre opposition à un « Plan Gares » empreint d’austérité budgétaire, présenté de manière trompeuse comme « volontariste ». Avec une classification des gares dont le niveau de service est modulé en fonction de la catégorie retenue (entre 1 et 4), il consacre pourtant les suppressions des services actés ces dernières années dans de nombreuses gares normandes : fermetures de haltes, suppression de guichets et d’agents dans les gares, etc. Il acte également l’abandon progressif de certaines gares dans les territoires éloignés des métropoles, pour en faire de simples haltes. Il pénalise ainsi lourdement les zones rurales.

Concrètement, malgré les intentions affichées, « les moyens ne suivent pas pour redévelopper le réseau de lignes ferroviaires et garantir aux usager.e.s un minimum de services qu’ils sont en droit d’attendre dans les gares». Pour les gares de catégories 3 et 4, qui représentent 70 % des gares normandes, la Région ne garantit pas la vente des titres de transport, ni la présence de sanitaires par exemple. Autorité organisatrice, elle laisse en fait à l’appréciation et à la charge des collectivités territoriales la définition des services à proposer aux usager.e.s. Dans la continuité de la politique menée par la droite depuis 2015, la Région abandonne progressivement son réseau et ses usager.e.s.

Nous avons proposé, à l’inverse de la logique de court terme de l’exécutif, d’intégrer dans le Plan Gares les gares et les haltes récemment fermées et celles dont la création est réalisable rapidement, mais aussi de garantir davantage de services aux usager.e.s dans les gares. Cette proposition, refusée par l’exécutif, a vocation à s’inscrire dans une perspective d’amélioration du maillage ferroviaire du territoire, sur les lignes de desserte fine dans les zones rurales comme autour des métropoles, en anticipant en particulier la réalisation de projets de services express régionaux métropolitains (SERM).

Guillaume Hédouin est ensuite intervenu sur le Plan Régional Santé Environnement 2023-2028 (PRSE 4). Un Plan particulièrement important, mais qui « ne semble pas répondre aux enjeux primordiaux de la santé environnementale et ne fait qu’édicter des principes de concertation, de sensibilisation et de « pouvoir d’agir » théoriques et non contraignants ». Ce plan est également sous-doté : 1,5M€. C’est bien faible face aux enjeux, dans une région où un habitant.e sur 6 consomme une eau non conforme concernant les pesticides, où la surmortalité liée aux cancers, aux maladies de l’appareil circulatoire et aux suicides est de 18% chez les hommes et 10% chez les femmes et où seulement 30% des eaux souterraines sont en bon état chimique. Ce plan est également faible « devant l’arsenal déployé par ceux qui souhaitent prolonger le statu quo sur le dos de la santé », alors que « certaines firmes agro-chimiques ne lésinent pas sur le recours aux lobbyistes et aux campagnes de communication pour prolonger l’exploitation de substances nocives. » Firmes qui peuvent s’appuyer sur des soutiens institutionnels, comme le Rassemblement national qui, en séance, défend l’usage des pesticides et relativise leur impact sur la santé et l’environnement, au mépris des connaissances scientifiques concernant les effets des impacts environnementaux des pesticides et sur les alternatives. Mais la majorité, si elle pèse davantage ses mots, n’est pas meilleure sur ce sujet, puisqu’elle refuse toujours de reconnaitre les problèmes posés par l’usage des intrants de synthèse et s’efforce de marginaliser l’agriculture biologique.

Aussi peu ambitieux soit-il, nous ne pouvons pas nous passer d’un plan sur la santé environnementale. Nous avons voté favorablement, « en mettant tous nos espoirs dans un renforcement des moyens qui seront dédiés à la santé environnementale ».

L’exécutif a présenté pendant la séance un bilan, ou plutôt un support de commination sur les actions de la Région en matière d’enseignement supérieur et de recherche. Laetitia Sanchez a regretté « une vision trop utilitariste » de la recherche, avec un « soutien à l’excellence ». « Excellence » définie par les orientations politiques de la majorité. La recherche dans les universités normandes est ainsi invitée à s’inscrire dans un projet politique. Une vision qui nous inquiète ; « la recherche publique est exploratoire, notamment dans le domaine des sciences humaines et sociales, et il faut la valoriser tout autant que les domaines technologiques. »

Le bilan montre également un manque de soutien direct aux étudiant.e.s, de prise en compte de l’importante précarité dont certain.e.s sont victimes, alors que les infrastructures et l’immobilier sont largement financés. Une vision finalement « déshumanisée » de l’enseignement supérieur et de la recherche, à l’image de la politique de la majorité.

L’exécutif a également communiqué sur les actions entreprises en matière de sobriété numérique. Une première indispensable, saluée par Véronique Bérégovoy, alors que le numérique est responsable d’une consommation croissante de ressources et d’importantes émissions de gaz à effet serre (4% par an au niveau mondial, en croissance rapide). Aujourd’hui, la consommation, voire la surconsommation des outils numérique et ses excès « nous oblige à nous interroger sur nos modes de vie et par conséquent à réduire considérablement son empreinte environnementale ». Une vigilance que la Région doit davantage intégrer dans ses politiques, en particulier lorsqu’elles s’adressent à un jeune public (comme les lycéen.ne.s qui reçoivent un ordinateur), mais aussi en interne, avec les agent.e.s comme avec les élu.e.s. Si la communication est essentielle, il conviendra maintenant « d’évaluer les impacts de la démarche de sobriété numérique », avec par exemple un observatoire de la sobriété numérique au sein de la Région. Il sera également important de « trouver l’équilibre entre, d’un côté, l’accès à chacune et chacun au numérique en luttant contre la fracture numérique et de l’autre s’attaquer aux excès, aux mauvaises pratiques pour réduire son empreinte environnementale ».

Le rapport annuel sur l’égalité femmes-hommes de la Région a ensuite été présenté. Laëtitia Malherbe a donc pris la parole pour appeler à élargir l’ambition en la matière, vis-à-vis des agent.e.s et partout où il est possible d’agir, comme dans les lycées.

Au sein de la collectivité, les inégalités persistent : 63 % des salarié.e.s sont des femmes, mais elles n’occupent que 33,5 % des postes à responsabilité ; l’âge moyen d’avancement de grade dans les établissements d’enseignement est de 56,13 ans chez les femmes contre 50,55 ans chez les hommes ; l’écart salarial reste compris entre 8 et 13 % et les temps partiels sont occupés par des femmes à 88 %. « Il conviendrait d’analyser les raisons de ces temps partiels pour proposer des solutions adaptées. » Il manque également des éléments clairs sur la politique de lutte contre les violence sexistes et sexuelles : formations, accompagnement, traitement des plaintes, etc.

Pour ce qui concerne les lycées, « l’expérimentation de lutte contre la précarité mensuelle dans 15 établissements normands est une belle initiative » qui doit être pérennisée. En revanche, rien sur la présence des référent.e.s égalité, dont 40% de lycées étaient dépourvus en 2021 malgré son caractère obligatoire. Les problématiques liées à la parentalité doivent également être mieux prises en compte. En particulier, la mise en place d’un congé parental plus équitable est nécessaire, comme cela doit être fait cette semaine à Lyon, où le congé paternité va être porté à 10 semaines.

Sur le budget primitif pour l’année 2024, Bastien Recher a tout d’abord salué le travail des services pour leurs présentations et pour la qualité des échanges que nous pouvons avoir, notamment en commission des finances. À l’opposé, les consignes politiques quant à la forme du budget posent toujours problème. En particulier, sa structure ne correspond pas aux délégations des vice-président.e.s, qui ne présentent ni n’assument les budgets qu’ils vont pourtant exécuter. Pas non plus de mise en relation entre les autorisations de programme et d’engagement et les crédits de paiement, d’éléments de comparaison avec les années précédentes, ni de chiffres par actions. Une présentation, en résumé, volontairement opaque.

Sur les choix stratégiques de la Région : « austérité, aveuglement et navigation à vue sont les trois caractéristiques majeures qui permettent de qualifier ce budget. » L’emprunt est en effet réhabilité au moment où il est le plus coûteux. Mais lorsque les taux étaient bas, l’exécutif le refusait par principe. Autre problème : le sous-investissements chronique, contrairement à ce qu’affirme l’exécutif dans sa communication. Ce sous-investissement est en effet masqué artificiellement par les achats de rames, comme s’il s’agissait d’une dépense de la Région seule, alors qu’elle n’a réellement eu à débourser qu’un quart des 1,2 milliards d’€. Les dépenses qui dépendent directement de la Région, elles, diminuent, comme sur l’entretien et la rénovation du réseau ferroviaire, sur l’intermodalité et sur les lycées. En réalité, « le faible endettement de la Région est la conséquence directe d’un sous-investissement depuis 2015 », au détriment des Normand.e.s d’aujourd’hui et de demain, qui ne bénéficient d’aucune mesure sociale nouvelle et devront dépenser davantage à mesure que les conséquences du changement climatique vont s’aggraver.

Comme pour l’investissement, le caractère « vert » du budget n’est qu’un axe de communication, avec des encarts dans la présentation, souvent sans chiffres. Car les crédits consacrés à la transition écologique diminuent. Pour les énergies renouvelables (EnR), c’est même une division par deux ! En revanche, l’exécutif prévoit 18M€ pour les formations dans le nucléaire. Celles dans les EnR, elles, bénéficieront d’un guide !

Pour tenter d’être à la hauteur des défis auxquels nos territoires sont confrontés et pour répondre aux besoins des Normand.e.s, nous avons proposé une série de mesures qui auraient permis d’engager un changement positif. Celles-ci ayant toutes été refusées, nous avons voté contre ce budget.

Nos propositions :

  • Supprimer les financements destinés aux projets aéroportuaires, à l’extension du réseau routier et au secteur des croisières pour investir dans le ferroviaire;
  • Supprimer ceux destinés au nouveau programme nucléaire pour développer des formations dans les énergies renouvelables, la rénovation des bâtiments, la réduction et le recyclage des déchets et le réemploi;
  • Supprimer les aides aux investissements dans les établissements d’enseignement supérieur privés pour réorienter les crédits vers l’accompagnement des étudiant.e.s et le logement social;
  • Diminuer le prix des repas et mettre en place une tarification plus progressive dans les cantines des lycées ;
  • Supprimer la cotisation de 10€ pour permettre aux jeunes Normand.e.s d’accéder au volet « loisirs » d’Atouts Normandie;
  • Engager un véritable plan de rénovation énergétique des lycées normands ;
  • Augmenter les investissements destinés à la création et à la rénovation de logements étudiants gérés par les CROUS en Normandie ;
  • Rendre éligible les projets portés par des bailleurs sociaux au Fonds Régional d’Aménagement et de Développement du Territoire (FRADT) ;
  • Investir dans le développement du fret ferroviaire via un plan régional en faveur des installations terminales embranchées (ITE) ;
  • Engager des plans de développement de l’éolien terrestre et off-shore et du solaire photovoltaïque ;
  • Mettre en place un plan d’adaptation du littoral au changement climatique, en créant en particulier des réserves foncières pour anticiper le recul du trait de côte ;
  • En finir avec l’austérité imposée au Parcs naturels régionaux;
  • Mettre en place un dispositif de soutien aux acteurs culturels normands pour les aider à supporter la hausse de leurs dépenses.

La liste de nos amendements : Assemblée plénière – Lundi 18 décembre 2023 – Amendements au budget primitif pour 2024 – Normandie Ecologie – Les élu·es écologistes de Normandie (normandie-ecologie.fr)

La séance s’est achevée avec les délibérations relatives aux affaires internes de la collectivité. Pierre-Emmanuel Hautot est intervenu sur le tableau des emplois et a salué « la pérennisation des postes liés aux missions existantes d’animation et d’instruction des dossiers de fonds européens », auparavant des contrats de projets.

La Région a mis en œuvre un certain nombre de mesures en faveur des agent.e.s, que nous avons soutenues (réduction du délai de versement de l’Indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise ; campagne de déprécarisation des contractuel.le.s, etc.), à l’exception de la « prime pouvoir d’achat », pour laquelle Rudy L’Orphelin a annoncé notre abstention. En effet, les montants ont été modulés à la baisse par rapport à ce que le décret autorisant la prime prévoit : 500€ pour les rémunérations brutes inférieures à 23 700€ par an alors que le maximum est à 800€, 400€ au lieu de 600€ pour celles comprises entre 27 300 € et 29 160€ et rien pour les agent.e.s au-dessus de ce seuil. « Un choix d’économie plus que discutable » dans un contexte de forte inflation.

Laetitia Sanchez et Rudy L’Orphelin

Co-Président.e.s du groupe Normandie Écologie